Fyctia
Chapitre 8° Vadim
Chercher des cadeaux pour mes parents. C’est ce qui m’obnubile. C’est ce qui m’obnubilait. Avant. Avant de la voir. Avant de voir son visage dans le miroir. Ses cheveux blonds tombant autour de son visage et sur ses épaules, sa bouche d’un rosé parfait et ses yeux bleus. Et je suis resté immobile. Figé. Non, ce ne peut pas être elle. Non, c’est impossible. Non, elle est à Saint-Pétersbourg. Non, je ne peux pas l’avoir retrouvé. Non, c’est impossible. Mais, боже мой ¹², qu’elle est belle ! J’ai rêvé tant de fois de nos retrouvailles, de ce que je lui dirai, mais maintenant les mots se sont échappés de ma bouche.
Je reste bouche bée, mes yeux dans les siens et je nage, nage, nage pour retrouver la sortie. Je me noie dans son regard profond, je ne peux plus respirer. Je suffoque, je reste pris, coincé sous la glace. Je. Ne. Peux. Pas. En. Sortir. Je. Ne. Peux. Pas. M’échapper.
Je la vois m’observer. Mais il n’y a aucune étincelle dans son regard. Ne se souvient-elle pas de moi ? A-t-elle oublié tout ce qu’on a vécu, tout ce qu’on s’était promis ? Me suis-je trompée de personne ?
— J’adore votre robe, si jamais vous hésitiez à la prendre, je vous la conseille fortement, elle vous met en valeur. Votre conjoint sera ébloui par tant de beauté ¹³, je murmure avant de m’en aller.
Je pars, sans un regard en arrière, je sors du magasin. Si ce n’était pas elle, je viens de me foutre la honte de ma vie. Mais au moins, je ne la reverrai plus jamais. Et pourtant, mon cœur me dit de faire demi-tour, d’aller la retrouver et l’embrasser. Je lutte. Je ne peux pas. Il ne faut pas. Elle ne se souvient pas de moi. Elle m’a oublié. Elle m’a oublié. Elle m’a oublié.
Cette pensée tourne dans ma tête à toute allure. Elle a oublié tout ce qu’on a vécu étant plus jeunes. Tout. Elle aurait eu une réaction sinon, non ?
Je rentre chez moi, tant pis pour les cadeaux de mes parents. Elle hante mes pensées. Elle hante mes souvenirs. Elle me hante. Je ne fais rien. Rien à part ressasser notre « discussion ». Rien à part échapper quelques larmes. Je ne pleure pas, généralement, mais je suis un être humain, comme tout le monde ici présent. De nos jours, les stéréotypes ont amené de nombreuses perceptions de soi et des autres, des filles et des garçons. Mon professeur au primaire me l’a répété si souvent : un homme ne pleure pas. Un homme n’est pas aussi faible qu’une femme. Un homme laisse ses émotions de « fille » à l’intérieur, mais peut laisser sortir sa colère. Pas de larmes. Non, nous ne sommes pas faibles. Mon père m’a tenu un autre discours, et c’est là que j’ai appris ce qu’être un homme signifiait : un vrai homme c’est un être humain, sans artifice, qui n’essaie pas de se faire passer pour celui qu’il n’est pas. Un vrai homme, c’est celui qui a le courage d’exprimer le fond de sa pensée, d’exprimer ses émotions et d’être comme il le souhaite. Un vrai homme, c’est le pouvoir de dire que, oui, j’ai le droit d’être triste, en colère, joyeux, amoureux, peureux. J’ai écouté mon père. Ça m’en a valu des coups dans le dos et des moqueries, mais au moins, je suis vrai. Et pour une fois, je laisse échapper ma rancœur, mon amour, ma tristesse, ma peur, ma colère. Il y a un homme, dans cette ville, qui m’a pris MA Valentina. Il y a six ans, c’est MOI qu’elle aimait. Et maintenant, elle m’a oublié. Elle m’a laissé de côté. Elle se prépare pour Noël avec un autre que MOI. Et je ne le supporte pas. Je ne peux pas imaginer une autre personne que moi la voir dans cette robe qu’elle essayait. Je ne peux pas l’imaginer allongé à côté d’une autre personne que moi. Je. Ne. Peux. PAS !
Il faut que je la retrouve. Il faut que je lui raconte les moindres détails de nos souvenirs. Il faut qu’elle revienne avec moi.
Je m’installe à table et commence à la dessiner. Je dessine sans trop m’en rendre compte. J’appuie la pointe de mon crayon sur la feuille et trace des lignes. J’y inscris un visage. Un visage avec une fine bouche, mais des lèvres qui donneraient envie d’embrasser le papier. Deux grands yeux, innocents, mais magnifiques. Quelques taches de rousseurs qui m’ont fait l’aimer immédiatement. Je la dessine dans cette robe bordeaux, qu’elle avait essayée. J’essaie de reproduire la texture, mais l’art n’a jamais été mon point fort. Je dessine ses hanches, ses jambes, ses mains. Je colorie sa robe, ses lèvres, sa peau, ses yeux. Mais sur le papier, elle est terne, sans vie. Mais ici, elle n’a pas l’air de ressentir une quelconque émotion. Et pourtant, elle en ressent tellement. Toutes différentes, mais que j’ai toutes aimées. Elles me manquent. Ses émotions, mais aussi son corps et son visage, ses paroles et sa voix, ses câlins et ses baisers. Elle me manque toute entière. J’espère dans le vide, je le sais. J’espère quelque chose qui n’arrivera probablement pas.
Je ne suis même pas sûr que mes recherches des années précédentes ont mené leur fruit. Je ne sais même pas si j’ai contacté la bonne personne, il y a à peine un mois, en y déposant mon document. Et si elle était partie ? Et si elle n’y travaillait plus ? J’attends juste un appel d’elle. J’attends juste d’entendre sa voix. Sa voix qui me faisait fondre. Sa voix qui me laissait transi. L’a-t-elle reçu, mon document, celui que j’ai envoyé dans sa maison d’édition, pour qu’elle le lise ? L’a-t-elle aimé ? S’est-elle reconnue dans le personnage d’Ivana ?
Je soupire et me dirige vers la douche. Cette femme causera ma perte, un jour. Mais je ne pense pas que ce jour soit arrivé. Mais si j’étais resté un peu plus longtemps, j’aurais vu le soleil percer à travers les nuages, et j’aurais vu ce mince rayon de soleil éclairer une passante devant mon appartement. Et je l’aurais vu, marcher pour rentrer chez elle, trois immeubles plus loin.
¹² oh mon dieu
¹³ Les dialogues en italiques sont en russe.
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