Fyctia
Chapitre 6° Vadim
On est samedi, je traîne au lit. Pas besoin d’aller courir ce matin, pas besoin d’aller à la salle. Rien. Juste dormir, pour une fois.
Mais je me lève tout de même : nous sommes samedi et il faut que j’appelle mes parents et que je remplisse mon réfrigérateur. Je n’ai pas envie de mourir de faim. Alors, en soupirant, je me lève de mon lit et m’habille avec ce qui passe sous ma main. Ça fera l’affaire. Puis, je me fais griller quelques morceaux de pain et y tartine de la confiture de fraise. C’était sa préférée. Ouais, même manger de la confiture, j’en deviens nostalgique. Je range la table et appelle mes parents. Au bout de deux sonneries, mon père décroche.
¹⁰ — Vadim ! Comment tu vas ? me demande-t-il.
— Ça va, papa, et toi ? Et maman ?
— On va bien ! Ta mère n’arrêtait pas de se demander quand tu allais appeler ! D’habitude, tu t’y prends plus tôt que ça, fils.
— Ouais, je sais, mais j’étais vraiment occupé par les entraînements. Ça me prend de plus en plus de temps, il faut que je sois au maximum de mes forces pour passer les tests.
— C’est dur, en effet. Mais tu es obligé de les repasser ? Tu les avais déjà faits !
— Il y a sept ans, oui. Mais depuis, je ne me suis plus engagé, et maintenant il faut que je prouve que je peux continuer à être dans l’armée.
— Oh, ouais. Bon, tu devrais les réussir, normalement, m’encourage papa.
— Oui, c’est facile. Mais bref, pour Noël…
— Noël. Tu viens encore cette année ?
— J’avais plutôt pensé que vous viendriez, pour une fois. Tu sais, c’est compliqué en ce moment de me déplacer, avec tous les entraînements et les cours de théorie que j’ai. Vous pourriez venir visiter Moskova ! C’est absolument magnifique, surtout en période de fête !
— Je vais en parler à ta mère et je te reviens sur ça, mais j’aimerais beaucoup venir ! Et rencontrer une femme, aussi ! me taquine-t-il.
Je ris. Ce n’est pas un vrai rire. Il n’y a rien de drôle. Je le salue au plus vite et m’empresse de raccrocher, prétextant quelque chose à faire. On s’attend toujours à ce qu’un homme de mon âge, qui s’est engagé dans l’armée russe et qui a un tatouage symbolique sur le cou, soit en couple ou même fiancé. Et pourtant, non, le passé est trop présent et je me rattache à lui. Je ne devrais pas, je le sais. Je devrais avancer et vivre dans le présent, qu’importe qu’elle soit partie. On me dirait que ce n’est pas la bonne, qu’elle ne me mérite pas et que je trouverai largement mieux. C’est ce que m’ont répété mes amis. Jusqu’à ce que je balance la table par terre et gueule un coup que, non, je ne l’oublierai pas et qu’ils arrêtent de me faire chier avec elle. Je ne me suis pas excusé. Mon cœur avait trop mal d’être autant malmené, détruit à répétition. Oui, je le savais, elle ne m’aime plus, elle devait avoir un amant, elle ne me mérite pas — faux, je ne suis pas un trophée et elle non plus, je déteste cette phrase —, je devrais en aimer une autre. Mais est-ce seulement possible ?
Je prends mon carnet et un stylo et réfléchis aux cadeaux. Il est temps que j’y pense. Noël est dans à peine 16 jours et je n’ai toujours rien prévu. Je fais quelques recherches et finis par décider d’offrir quelques babioles. Mes parents en sont accros ! Je fais aussi une liste de courses et mets le tout de côté, sur le meuble de l’entrée.
J’aime Noël.
C’est la phrase qui me passe par la tête lorsque je regarde les flocons tomber derrière la vitre. J’aime cette fête et ces rassemblements. Mais j’aimais encore plus ces jours-ci lorsqu’elle était à mes côtés. Je me souviens qu’elle pouvait passer des heures entières à regarder tomber la neige. Je me souviens qu’elle aimait prendre des photos de nous dehors, avec un chocolat chaud dans les mains. Je me souviens qu’elle voulait écrire une romance de Noël sur nous deux. Sur notre histoire. Je me souviens d’elle, de ses yeux bleu glacé dans lesquels je me noyais, de ses cheveux blonds que j’aimais toucher, de sa peau pâle, tellement qu’on dirait qu’elle ne sortait que très peu, de son cœur, si pur, si beau, si amoureux. J’aimais l’entendre s’accorder avec le mien. J’aimais la sentir à mes côtés dans le lit, quand les nuits étaient froides. J’aimais voir ses sourcils se froncer lorsqu’elle écrivait. J’aimais voir ses mimiques lorsqu’elle lisait. Je me rappelle de tout, d’elle. Est-ce qu’elle pense, elle aussi, à moi ? Est-ce qu’elle est, elle aussi, en train de regarder par la fenêtre, les flocons s’écraser au sol ? Est-ce qu’elle se souvient, elle aussi, de nos bons moments ensemble ? Est-ce qu’elle se rappelle, elle aussi, que cela va faire six ans pile demain après-midi, qu’on s’est vus pour la dernière fois ?
¹⁰ Les échanges en italique sont en russe.
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