Fyctia
Chapitre 4° Vadim
L’entraînement me fait suer. Des pompes, des squats, des planches, des développés couchés. Je n’en peux plus. Je ne suis plus capable. Et pourtant, il me faut continuer. M’entraîner. Encore et encore. Toujours plus. Jusqu’à ce qu’on estime de moi que je suis prêt. Il me faut avancer, continuer. Encore. Ne pas abandonner. Même si c’est dur. Je. Dois. Réussir. Pour ma famille. Pour les autres.
Lorsque notre chef nous fait signe d’arrêter. Je pousse un soupir de soulagement. Les mains moites et les jambes en coton, je rentre me changer, en compagnie des autres. Dans les vestiaires, certains me regardent mal, de jeunes recrues écarquillent les yeux sur mon passage. Être tatoué sur le ventre et les épaules, ça doit les impressionner. Aucun tatouage n’a plus d’importance que celui que j’ai dans le cou. Juste devant la jugulaire. Il s’étend jusqu’à mon cœur.
C’est le sien.
Je me suis fait tatouer notre phrase. Celle qu’on s’est promise.
В жизни, в смерти, во веки веков мое сердце принадлежит тебе.
Dans la vie, dans la mort, pour toujours et à jamais, mon cœur t’appartient.
C’est ce qu’on s’est dit, avant que je parte faire mon service militaire. Je lui ai promis que ce serait le dernier de ma carrière, car nous fonderions une famille ensemble. Durant tout le trajet en train, je m’imaginais un petit enfant dans les bras. Un enfant qui aurait ses yeux bleus, mes cheveux en bataille, mon menton bien défini et ses pommettes hautes. Il aurait un sourire angélique, des petites dents qui commenceraient à pointer et nous formerions enfin un tout. Enfin, c’est ce que je pensais. Quand je suis revenue, la maison était vide de ses affaires. Son frère était mort. Sa famille ne savait pas où elle était partie. Disparue. Elle ne m’avait pas attendue. La peine fut lourde à porter. Tous mes rêves s’étaient effondrés en l’espace de quelques minutes. Elle ne m’avait pas attendue. Était-elle tombée amoureuse d’un autre homme ? Était-elle déjà mariée ? Avait-elle des enfants ? Pourquoi n’est-elle pas restée pour moi ? Cet amour n’était-il pas censé durer ? Ces questions ont tourné pendant des mois et des mois dans ma tête. Cela fait six ans que je n’ai plus aucune nouvelle. Six ans, et la vie me paraît terne. On pourrait me dire que je suis fou, et j’acquiescerai. Je le suis. Je la cherche dans les rues, je scrute les yeux des gens à la recherche des siens. Je suis fou. Fou d’amour, fou de peine, fou. Mais je la veux à mes côtés. La vie me paraît terne. Alors, depuis, je continue à m’entraîner. On attend toujours ma réponse, si je reviens dans l’armée, ou non. Je ne compte pas rompre ma promesse, même si elle est introuvable. Je la tiendrai, coûte que coûte. Parce que je suis persuadé qu’un jour, je la retrouverai. Et j’attendrai que ça soit dans une semaine, un mois, un an, un siècle, j’attendrai. Je n’aimerais personne d’autre. La vie me paraît terne sans elle.
Je sors dans la ville, les décorations embellissent les rues. C’est bientôt Noël. Il va falloir que j’appelle mes parents pour leur dire de venir. D’habitude, je vais chez eux, mais depuis que j’ai déménagé à Moskva, le trajet devient long à parcourir. Pour une fois, ils pourraient le faire ! Je me promets de les appeler demain.
Les devantures des maisons et des magasins sont décorées aux couleurs de Noël. Contrairement à beaucoup d’autres pays du monde, notre Noël est basé sur le calendrier Julien. C’est donc du 6 au 7 janvier qu’il se déroule. Dans ma tête, ça ne concorde pas : Noël ne peut pas être avant le Nouvel An. L’échange de cadeaux est après le Nouvel An, pour fêter cette nouvelle année et repartir de zéro, en recevant des cadeaux.
Je passe devant de multiples magasins, des tenues de Noël y sont exposées, de potentiels cadeaux, des stands de nourriture. Je respire un grand coup, m’imprégnant des senteurs environnantes. J’aime Moskova, j’aime ma ville, j’aime Noël. Voir les gens se rapprocher, renouer des liens. Faire plaisir à sa famille et à ses amis, s’amuser comme des enfants. Manger, se goinfrer et passer la nuit sur la Place Rouge à regarder les feux d’artifice et les étoiles. C’est ça, Noël. Et ça n’a pas de prix de fêter ça. J’observe les familles entrer et sortir des boutiques, les bras chargés, je vois les enfants courir dans les rues, heureux et insouciants. Du coin de l’œil, j’aperçois un couple en train de s’embrasser sous le gui. La magie de Noël réchauffe les cœurs, échauffe les esprits.
J’avance parmi les ruelles, je me promène tranquillement. Personne ne m’attend chez moi, contrairement aux autres personnes que je vois presser le pas. Peut-être est-ce mieux de vivre seul avec le célibat. Mais j’envie ces couples s’embrassant, ces enfants avec un grand sourire. J’aimerais être une de ces personnes, avec la femme de mes rêves. Mais elle n’est pas là. Fête-t-elle Noël avec son mari ? Je l’imagine entourée de sa famille et avec un enfant dans les bras. Un petit bébé. Je soupire. Non, je ne veux pas penser à elle. Je ne dois pas penser à elle. Je ne veux pas que les souvenirs remontent. Sinon, je vais devenir nostalgique. Je n’aime pas la nostalgie. Il faut avancer dans le présent, regarder vers le futur. Ne pas se retourner vers le passé. C’est passé, on ne peut pas le changer, on ne peut rien y faire. Le mieux est de continuer, malgré tout.
Mais je m’arrête. Devant une vitrine d’un magasin de vêtements. Je tourne la tête. Vers un mannequin. Parce que son visage m’a interpellé. Il a l’air tellement réaliste. Ce n’est pas ça qui m’a choqué. Ce sont ses yeux. Bleu. Bleu pur. Bleu. Un bleu que je n’ai vu qu’une seule fois. Qui hante mon esprit. Et mon cœur. Surtout mon cœur. Un bleu glacé.
Des yeux bleu glacial.
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