Fyctia
Chapitre 3 (suite)
Je décroche.
En sentant mon chat, Luna, sauter sur moi, mon doigt s’est abaissé de lui-même sur le bouton. Ce n’était pas volontaire ! Et pourtant, je ne peux pas raccrocher, pas maintenant que j’ai décroché.
⁸— Allô ?
— …
— Valentina ?
— …
— Valentina, c’est toi ?
— Maman ? j’appelle.
— Oh, Valentina !
— Heu… Salut ?
Je suis gênée, je ne sais pas quoi dire.
— Valentina, ma chérie !
— Ouais.
— Ça fait tellement longtemps ! Ta voix a changé, j’ai raté tant de temps ! J’aurais dû être à tes côtés.
— Maman… Que se passe-t-il ? Ça fait cinq ans qu’on ne s’est pas parlé, et tu m’appelles d’un coup, un samedi matin à 6 heures ! Ça ne te ressemble pas, tu prônais le réveil à 9 heures !
Je l’entends rire derrière le petit écran qui nous sépare.
— Oui, je sais, mais je me disais que je pourrais t’appeler… Tu… Tu es occupée ?
— Non, maman, je prends mon petit déjeuner.
— Je… Comment ça va, mon amour ?
— Ça va bien, et toi ?
— Ça va aussi. Je me demandais ce que tu étais devenue, depuis… depuis tout ce temps ?
— Je travaille en maison d’édition, je lis des textes et les transfère au directeur s’ils me plaisent et ont du potentiel. Et… toi ? Papa ?
— On va bien, chérie. Ton père est en train de se doucher.
Il y a un moment de silence et je sais très bien qu’elle ne m’appelle pas par hasard.
— Je ne te crois pas vraiment quand tu dis m’appeler pour prendre de mes nouvelles. Tu ne le ferais pas juste après cinq ans. Quelle est ta vraie raison, maman ?
— Valentina, ma chérie, je sais que c’est une sujet que tu détestes aborder, que tu détestes, tout court. Mais, tu sais, depuis cinq ans, ton père et moi fêtons Noël avec la famille, et pourtant, ce n’est plus la même chose depuis que ton frère et toi n’êtes plus présents. Je me disais que ce serait génial que cette année, nous nous retrouvions pour Noël, qu’en dis-tu ?
— Maman, tu sais ce que j’en pense. Je ne peux pas faire la fête, alors que c’est ma période de deuil. Je ne peux pas. La joie et la tristesse ne peuvent pas cohabiter au même moment. Surtout dans un moment aussi important. Je suis désolée, maman…
— Val, mon bébé, ça fait si longtemps que tu es loin de moi. Je me sens seule. Ton absence me pèse sur le cœur, j’ai l’impression d’avoir perdu mon deuxième enfant. Je sais que tu n’aimes pas cette fête, et je te comprends, ma princesse, car pour moi aussi c’est difficile de manger et ouvrir des cadeaux alors que je sais pertinemment qu’il manque une personne assise à nos côtés. Mais je me dis que Mat n’aurait pas voulu nous voir nous apitoyer trop longtemps et gâcher Noël, qu’il aime tant. Je t’en prie, Val, juste cette année, juste pour revoir ma fille, ma princesse, mon bébé d’amour.
Nouveau silence, ponctué par ma respiration hachée. D’un côté, je veux accepter, mais, de l’autre, le souvenir de mon frère me retient encore.
— OK, mais vous venez. Je ne me déplacerai pas.
Et sur ce, je mets fin à l’appel et me prends la tête entre les mains. Qu’est-ce que je viens de faire ? Je viens d’accepter de fêter Noël avec ma famille. Fêter Noël. Non, non, non. C’est impossible. Et pourtant, je ne peux plus refuser. Je ne peux plus faire marche arrière.
⁸Les échanges en italiques sont en russe.
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