Fyctia
C5_...dans la forêt...
Mon poignet continuait de me lancer. L’apparition du fulgurozor, à moins que ce soit celles des Négassiens, devait titiller mon amie la lame incarnée.
« Dyf, qu’est-ce que tu fais ? C’est pas le moment ! »
« C’est pas le moment de rester en vie ? » répondit la voix de son habituel ton grinçant.
Je manquai de trébucher sur une racine. Converser avec son épée en pleine course poursuite était la meilleure manière de me planter.
« Sors-moi d’ce fourreau et déchaînons les enfers sur cette bande de minables ! »
« Je t’en supplie, ferme-là !
Mes compagnons commençaient à me distancer sévèrement.
« Me dis pas que c’est à cause des inepties que tu racontes à tes collègues à longueur de journée, comme quoi, monsieur veut garder les mains propres ! »
« C’est parfaitement ça ! Et si tu pouvais arrêter de m’écouter en permanence comme un psychopathe, mon intimité te remercierait !
"Pour ça, désolé, mais nous sommes liés, tu n’as pas vraiment l’choix. Si tu penses que ça m’fait plaisir de t’entendre déblatérer des âneries à longueur de temps. »
« Ma vie est une mauvaise blague. »
D’ailleurs, ma vie faillit se terminer ici. Le sifflement d’une boule d’orage perça mon oreille. Elle termina sa trajectoire devant Burr, Kélis et Zesso qui stoppèrent net leurs courses.
— Une crystobombe, s’écria Zesso en se jetant dessus.
À peine saisi, il la renvoya d’où elle venait. Elle siffla au-dessus de moi, laissant une traînée d’un bleu électrique sur son passage. Puis le silence, durant quelques secondes. Et enfin, la déflagration, le tumulte subitement libéré de son étreinte de verre, suivit du cri des victimes.
Malgré les ordres de Burr, je me tournais vers l’explosion. Alors, je les vis. Trois queues qui dépassaient des fourrées, zigzaguant à toute allure dans notre direction. Les Negassiens avaient lâché leurs créatures de morts à nos trousses !
Je voulus prévenir mes compagnons, mais ils étaient déjà repartis.
Je repris ma course, haletant, la gorge sèche. Dans mon dos les fulgurozor se rapprochaient. La transpiration me piquait la cornée, mon poignet devenait douloureux. À quoi bon fuir ? Je ne courrais jamais plus vite qu’eux. C’était foutu. Une suite de hasard m’avait conduit dans cette maudite forêt et j’allais mourir bêtement, dévoré par des lézards géants. Tu parles d’un destin !
Kélis m’ordonna de me dépêcher. Je souhaitais juste me laisser tomber. Abandonner. Je n’avais jamais décidé d’être là. Je ne voulais pas participer à ça. Et si nous arrivions au camp ? Celui-là était peut-être déjà réduit à feu et à sang.
Je zigzaguai entre des taillis, manquai de trébucher contre une souche dissimulée par la végétation. Un fulgurozor poussa un cri rageur à quelques mètres de moi. J’entendais leurs griffes raclées le sol, les feuilles projetées par la puissance de leurs pattes. L’envie d’abandonner s’envola.
J’évitai une souche, puis une autre. Ces maudites souches, toujours dans le passage… or, si les souches se multipliaient, c’est qu’on s’approchait de la garnison. En effet, Kélis et Zesso venaient de plonger leurs pieds dans un cours d’eau. La rivière ! Longée par un énorme talus. Il suffisait de la franchir et avec de la chance…
Une étincelle d’espoir électrisa ma poitrine.
Kélis avait déjà franchi le cours d’eau, Zesso rejoignait la rive à grands pas. Burr montrait plus de difficulté à se mouvoir dans le courant, les bras tendus comme un funambule, penchant tantôt à gauche, tantôt à droite. L’eau lui arrivait au niveau des hanches. Kélis s’était arrêté et l’encourageait.
— Allez Burr !
La voix de Dyf résonna dans mon esprit.
« Ne m’oublie pas, morveux. »
La vision de l’énorme bras de Lizee tournoyant dans les airs émergea dans mon esprit tandis que je m’enfonçais dans la rivière, provoquant des trombes d’eau sur mon passage. Elle était glaciale, heureusement nos combinaisons imperméables limitèrent la sensation. Et puis, quand on a trois monstres sur ses cotes – sans compter un possible bataillon de Negassiens au complet –, un petit bain de minuit n’a rien de rédhibitoire.
Avec un peu de chance, la température de l’eau calmerait l’ardeur des fulgurozor. Les animaux redoutent l’eau n’est-ce pas ?
Alors les animaux peut-être, mais les fulgurozor, rien à cirer. Ils s’élancèrent sans ralentir dans le lit de la rivière.
— Nak, attention ! s’écria Kélis, chargeant du bout de ses doigts une salve de flèches.
Zesso revint sur ses pas. Ses doigts se refermèrent sur l’épaule de Kélis. Il tentait de la ramener vers lui. Je n’avais pas besoin d’entendre ses paroles pour en deviner la teneur.
« Abandonne ce merdeux, sauvons notre peau Kélis ! »
Je me tournai vers mes poursuivants, au bon moment pour voir les flèches cribler le fulgurozor le plus proche. Il s’écroula dans une gerbe de feuilles dorées. Malheureusement les deux autres évitèrent les traits lumineux de justesse, comme s’il s’agissait d’une formalité.
Dans une poignée de seconde, ils seraient sur moi.
« T’es fichu mon gars ! »
Dyf avait raison. J’étais fichu.
Soudain, plusieurs formes sombres émergèrent au sommet du talus qui bordait la rivière où se débattaient mes compagnons. Une dizaine d’hommes. Leurs silhouettes noires se découpaient devant les lueurs de l’aube naissante. L’étau négassien se refermait sur nous. Kélis et Zesso semblaient n’avoir rien remarqué. Ce dernier s’occupait d’extirper Burr vers la plage caillouteuse, Kélis, elle, chargeait ses prochaines flèches.
Mon doigt tremblant s’éleva dans leur direction.
— Là-haut ! m’écriai-je.
Kélis et Zesso firent instantanément volte-face, Burr, au bout des rotules, et à peine dégagé du courant, leva sa barbe vers les hauteurs du talus.
Un feulement dans mon dos me ramena au danger le plus imminent.
Mon corps se tendit. Je saisis la poignée de mon épée à deux mains.
« Enfin ! »
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