Fyctia
C6_...de Somor
Bouffée de chaleur dans tout mon corps. Battement de cœur étourdissant. Pulsion libératrice. La puissance dans mes bras, dans mes mains, jusqu’au bout de mes phalanges.
« Ouiii ! Vas-y morveux ! »
Les fulgurozor n’étaient pas encore à ma portée, pourtant, je dessinai une courbe sèche avec ma lame, marquant une délimitation protectrice entre eux et moi. Une vibration sourde s’extirpa de l’épée. Le souffle souleva des gerbes de feuilles mortes sur sa trajectoire. Les fulgurozor semblèrent comprendre, trop tard.
Deux têtes volèrent. Deux vies.
« Joli coup ! »
Mués par un reliquat de volonté, les corps sans tête des fulgurozor continuèrent péniblement leurs courses sur quelques foulées avant de s’emmêler les pattes. Ils s’effondrèrent comme des masses.
L’espace d’un instant, plus rien n’exista autour de moi que les conséquences de mon acte.
Une vague de spasmes secoua les corps décapités, résolus à ne pas lâcher l’affaire. Puis, comme si une main apaisante s’était posée sur leurs corps, ils acceptèrent enfin de s’immobiliser. Pour l’éternité.
Ils étaient morts.
D’un simple geste, j’avais ôté deux vies.
Sur la lame noire que je brandissais comme un totem protecteur, je discernai mon reflet effrayé. Ça avait été si simple.
Je me sentis dépassé, possédé par ma propre lame…
« Tu vois quand tu veux, maintenant, écoute-moi… »
Le chaos dans ma tête.
— Ça va, tu n’as rien ?
La voix de Kélis me fit aussitôt redescendre, me télescopa dans l’instant présent. Elle m’avait rejoint et fixait Dyf du coin de l’œil avec un mélange de respect et de méfiance.
— Moi ? Non, je… les autres ?
De l’autre côté de la rivière, Burr avait fini par rejoindre la terre ferme et… était en pleine discussion ! Les hommes étaient descendus du talus, ils portaient des combinaisons noires et or…
Je m’étais planté. Ce n’était pas des Negassiens, c’était des Champions de Stalion – un rayon de lune fit scintiller les reflets blonds de la chevelure d’Ojinn –. Encore plus fou, je reconnu en m’approchant, celui qui conversait avec Burr. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le Grand Rek en personne était venu, ses deux Gardes-Rois, aux épaulettes frappées de l’écaille de Stalion, rivés à ses côtés.
Zesso paraissait aussi ahuri que moi par leur présence.
— Le régent s’est déplacé pour nos belles gueules ! annonça-t-il lorsqu’on l’eut rejoint.
— La preuve qu’il se soucie de ses hommes, asséna Kélis.
— Et de ses femmes ! répliqua-t-il en évitant les éclairs lancés par le regard de Kélis.
Je tendis l’oreille vers Burr et le Grand Rek.
— …Ichon m’a rapporté les craintes d’une sentinelle, disait le régent. On soupçonne une offensive imminente sur notre garnison.
Burr acquiesça en désignant le cadavre des fulgurozor.
— On confirme.
Le visage du Grand Rek se ferma un instant. Il plongea dans ses pensées avant de reprendre, calmement.
— Le capitaine est resté au camp pour les accueillir. Je souhaiterais juste revenir sur une chose troublante. La présence de ces gamins dans cette forêt à cette heure de la nuit. J’aurais aimé que vous m’en fassiez part, Burr. Ils n’ont rien à faire ici.
— C’est une punition de Mosley. Je pensais que vous étiez au courant.
— Je dois vraiment m’occuper de son cas, maugréa le régent en lissant les fourches de sa moustache.
Oh, oui, occupez-vous de Mosley !
Burr se racla la gorge et reprit :
— Si je puis me permettre, vous auriez du rester au camp également. Ici, vous êtes à découvert. Vous l’avez dit, cette forêt comporte trop de risque, et d’avantage pour un homme de votre rang.
— Votre inquiétude m’honore, Burr, mais c’est encore à moi de décider où je me rends et à quelle heure.
— Oh, je ne voulais pas…
— Si tout l’monde s’avère sain et sauf, empressons-nous de…
— Pas tout le monde.
Ça avait été plus fort que moi.
J’avais coupé la parole au Grand Rek.
En public.
Sa garde rapprochée ne cacha pas si sidération. Ojinn me fusilla du regard.
Le régent releva lentement la tête vers moi, feignant de remarquer ma présence.
— Comment ?
L’aurore et ses ombres fauves masquaient son expression.
Je gonflai ma poitrine pour me donner un semblant d’envergure :
— La sentinelle Doums a été tuée par une de ces créatures… il était venu nous sauver.
Ma gorge se noua.
— Nak.
Le régent s’approcha, la pupille empreinte d’empathie.
— Je te l’accorde, c’est dramatique.
Ses iris couleur acier se durcirent. Il ajouta, une colère contenue faisant vibrer sa voix :
— Mosley a fait une grave erreur.
Il me dévisagea avec intensité, assez longtemps pour me mettre mal à l’aise. Soulagé de me voir en bon état, il posa sa main sur mon épaule – c’était devenu une habitude –.
— Et toi, comment vas-tu ?
J’étais trop perturbé pour badiner quelque chose de potable. Devais-je me montrer honnête ? Si oui, par où commencer…
— T’es-tu servi de ton épée ?
Pourquoi me demander ceci ? Il m’avait vu, non ? Et les cadavres des fulgurozors gisaient aux abords de la rivière. J’acquiesçai devant l’évidence, tête baissée.
— C’est bien. C’est très bien. J’ai confiance en toi, Nak, et je suis soulagé de voir m’accorder la tienne en retour.
Sur ces mots, il se détourna, déjà appelé par d’autres préoccupations.
Je ne savais pas comment prendre cette drôle d’affection qu’il me témoignait. Était-ce déplacé ? Kélis passait du temps avec lui derrière la toile de son pavillon. Agissait-il de la même manière avec elle ?
— Retournons au campement, dit-il. Nous avons une bataille à gagner.
0 commentaire