Fyctia
C4_...de surprises...
Le charme se brisa net lorsque la voix scanda à nouveau ses ordres. Une voix de femme. Je crus deviner à quelle silhouette elle appartenait. Elle enchaînait les allers-retours devant ses hommes encapuchonnés. Dans sa main, elle tenait la bride de la créature la plus terrifiante que je n’avais jamais vue. À peine plus haute que son maître, l’arkosaure mesurait bien six mètres de long. Il ressemblait à un oiseau géant auquel on aurait retiré le plumage pour le remplacer par une cuirasse d’écailles argentées.
Alors que mes parties génitales se repliaient à l’intérieur de mon entrejambe, Zesso me glissa à l’oreille :
— Oublie les Negassiens pour le moment, Bourg Ballon, ceux à qui tu dois échapper, c’est les Fulgurozor.
— Les fulgurozors…
La fine lèvre du monstre trembla, révélant une rangée de dents aussi acérées qu’un poignard. J’eus l’impression qu’on me versait un bac d’eau bouillante dans l’estomac.
Et ça, c’était avant de voir l’immense griffe recourbée comme une faucille qui ornait ses pattes arrière en guise de deuxième orteil. Ses petits bras représentaient le seul truc qui ne donnait pas envie de se liquéfier sur place. Le dieu fou qui avait créé cet animal l’avait fait dans un unique but : tuer.
L’élégante précision de ses traits projetait sur moi une fascination morbide. Son anatomie gracile contrastait avec la précision saccadée de ses gestes. Quand le fulgurozor secoua sèchement sa tête pour chasser un insecte, je sursautai, comme s’il s’était tenu à une poignée de centimètres de moi.
— Maudits félons ! Qu’est-ce qu’ils fichent ici ? maugréa Doums en se penchant à mes côtés.
Il marqua sa question par un crachat.
— Je rappelle que nous sommes chez eux, chuchota Zesso.
Burr serra les dents.
— Ça paraît évident. Ils vont attaquer la garnison.
Stupeur et tremblements.
Burr s’enfonça dans le mur de buissons qui nous séparait des troupes ennemies.
— Si seulement on pouvait saboter cette machine de mort…
— Attention, Burr, ne t’éloigne…
Il y eut un drôle de bruit, pareil au souffle qu’on glisse au creux de ses mains pour les réchauffer. Un souffle chaud qui souleva brièvement mes cheveux.
« Nak, mon gars, ça va pas t’plaire. »
Non.
Tout sauf ça.
Je me retournai doucement. Tout doucement. Pour repousser le moment où le cauchemar se concrétiserait.
Mon regard croisa celui de Kélis, pétrifiée de terreur elle aussi. Je vis Zesso, les yeux écarquillés, le reflet de sa lame pointant au coin de sa manche.
— Non, non, non, pleurnichai-je à voix haute.
« Surveille tes arrières, car tu ne verras pas la Mort arrivée ! » m’avait prédit la Roussine.
Je savais maintenant à quoi ressemblait la mort.
Des écailles argentées. Une griffe recourbée. Des rangées de dents tranchantes. Maintenant qu’il se tenait à quelques centimètres de moi, de nouveaux détails m’apparaissaient. Son iris de lézard jaune vif dont le centre tirait sur le vert autour de ses pupilles fines. Un museau couvert de cicatrices. Et deux fentes noires se dilatant au rythme du souffle qui avait soulevé mes cheveux.
Ce que personne n’avait remarqué, c’était l’homme capuché dans une tunique bleutée qui montait le fulgurozor.
Un picotement vif s’éveilla dans mon poignet, si intense que ma main parut tout engourdie.
Le cavalier leva la tête vers les innombrables soldats et vociféra :
— Cinq Staliens !
Un mouvement de foule se déclencha derrière les buissons. La cheffe scanda une série d’ordres brefs. La clameur d’un cor s’éleva vers la cime des arbres. L’instant d’après, un écho lointain lui répondit. Les Negassiens se mettaient en branle.
Excité ou stressé par cette agitation, le fulgurozor qui me faisait face jeta son museau vers le ciel et mugi à l’envolée, provoquant la fuite de quelques volatiles dans les branchages environnants.
Ce serait probablement l’unique occasion et je la saisis ! Même si mes jambes se résumaient à un amas de coton, je parvins à déguerpir en contournant la bête, aussitôt imitée par mes compagnons.
Le fulgurozor réalisa que son festin lui échappait et reprit son attitude prédatrice. Un pivotement de tête et les mâchoires de la bête se refermèrent sur le pauvre Doums. La tête de la sentinelle disparut dans des lignées de crocs déjà tachés de sang, son cri résonna contre les parois de la gueule.
Je m’apprêtais à pousser mon propre cri d’horreur quand on me tira par la manche. Ma dernière vision fut cet horrible monstre secouant frénétiquement le pauvre Doums comme un vulgaire sachet de thé.
C’est Burr qui m’avait attrapé. Il planta son regard dans le mien et son gros doigt sur mon nez.
— Cours, gamin ! Et surtout, ne te pose aucune question.
Kélis et Zesso couraient loin devant, comme s’ils savaient exactement où ils allaient. Quant à moi, je chancelai un pas sur deux, esquivant cailloux et ornières, la vision brouillée par la naissance de larmes abondantes.
Derrière nous, le cavalier Négassien s’énervait sur sa monture sans doute trop occupée à se régaler, et pas assez à nous prendre en chasse.
— On a… on a abandonné Doums, réalisai-je, pris de panique.
— Ne te retourne pas ! tonna froidement Burr.
Ne te retourne pas, me répétai-je pour m’autoconvaincre. Ne te retourne pas.
Pas question de réfléchir ou je perdrais mes moyens. Je devais me contenter de fuir. À en perdre haleine. Je braquai mon attention sur Kélis, ordonnai à tout mon corps de se focaliser sur elle et sa course. De la suivre où qu’elle aille. Ainsi concentré, c’est sans doute l’unique raison qui m’empêcha de me pisser dessus.
1 commentaire
Gaëlle K. Kempeneers
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Il y a 6 mois