Fyctia
C3_Encore plus...
— Vous le regrettez parfois ? demandai-je. D’avoir répondu présent aux suivantes.
— Cesse de me vouvoyer ! Je suis pas la reine Ariana. Et non, j’ai jamais eu de regret. On m’a donné un destin et je l’ai embrassé, voilà tout.
Il haussa les épaules.
— Je saurais pas quoi faire de mes regrets. J’ai croisé de belles personnes, j’ai vu du pays. Parfois, je m’dis qu’avoir passé davantage de temps à voir mes jumelles grandir m’aurait pas déplu. M’enfin. On peut pas tout avoir.
— Je suis sûr qu’après cette histoire, tu pourras profiter d’une bonne retraite avec tes filles.
— C’est gentil bonhomme.
Il ferma les paupières et des plis rieurs se formèrent à la commissure de ses yeux. Songeait-il à cette vie douce au côté de ses filles. Loin de la fureur et des cris.
Un craquement venu des fourrés environnants brisa l’instant de quiétude. À la frontière de mon angle mort, l’un des buissons se mit à frémir. La seconde d’après, mes trois compagnons se tenaient à l’affût, la posture rivée en direction de l’agitation.
Quoi maintenant ? Un Negassien, un arkosaure ? Les deux ?
Burr leva sa main d’avance pour tempérer Kélis. Elle cligna des paupières, elle ne commettrait pas deux fois la même erreur.
— Pas d’panique les gars ! C’est qu’moi et ma vieille trogne !
Émergea des fougères d’un pas désinvolte, la sentinelle Doums, réjouit de nous avoir trouvés.
— Vous voilà vous ! s’exclama-t-il en tapant des mains. C’est qu’vous en faites du boucan ! On a entendu les bestioles beuglées depuis la forêt. Avec Dan, on s’est dit : « Oh. Là, ça sent l’trou d’balle ! » Illico, Dan est parti prévenir le cap’taine Ichon et moi, j’ai rappliqué en éclaireur.
— Vous ne deviez pas rester en binôme ? demanda Kélis.
— T’inquiètes gamine, à force de patrouiller dans l’coin, cette forêt c’est un peu mon salon. Quoiqu’celui d’chez moi fasse encore plus flipper. T’façon maint’nant j’suis pu tout seul vu qu’vous êtes avec moi ! Ah, ah ! — Kélis fronça un sourcil – ! D’ailleurs, qu’est-c’vous branlez sous cette carcasse ? Z’êtes perdus ou quoi ?
— Des Negassiens, annonça Burr. Vous aviez raison, ils rôdent par ici, ils nous sont tombés dessus.
— Ça valait pas le coup de risquer ses fesses pour s’en assurer, c’était obligé !
— Je comptais continuer le chemin pour en découvrir davantage.
— Oulah ! Franch’ment, mauvaise idée poto ! J’entends déjà l’capitaine brailler « Doucement sur les initiatives » ! Mon avis, la situation est plus craignos que prévu. Si d’autres peigne-culs rôdent autour de notre garnison, c’est à RekWan de choisir la marche à suivre. Allez, j’vous rapatrie au camp fissa pendant que vous m’conterez vos aventures.
— D’accord, approuva Burr les lèvres serrées.
— Suivez-moi. Le jeu, c’est de trouver la rivière et c’est gagné. Suffira d’suivre son fil, elle passe à côté du camp.
La carcasse de l’arkosaure se trouvait derrière nous depuis un moment.
Je bénissais Doums en silence d’être venu à notre rencontre.
Après quelques minutes de marche, ce dernier ralentit le pas. Une chose l’intriguait. Il plissa les yeux pour scruter le sol. Les feuillages absorbaient les rayons de lune et on n’y distinguait rien à trois mètres.
J’ouvris ma sacoche pour en sortir le bocal à luciole « emprunté » à la Roussine. Les environs se teintèrent d’une lueur bariolée, révélant de larges troncs noueux aux branches basses.
Burr fit volte-face vers moi et m’arracha le bocal des mains.
— Qu’est-ce que tu fabriques, Nak ?
— On y voit rien et…
— Si tu peux voir alors, tu peux être vu. Crois-tu que c’est le moment pour être vu mon bonhomme ?
Je baissai la tête.
— Non, Burr.
— Fais-moi disparaître ce truc immédiatement !
Penaud, je rangeai le bocal aux lucioles dans ma sacoche.
— Boulet, ricana Zesso.
— Bingo ! Ton ânerie a au moins servi à une chose, dit Doums, son visage sale déformé par un large sourire.
Il pointa son doigt osseux devant nous. Le talus de brindilles, de limons et de feuilles mortes laissait émerger un chemin à certains endroits.
— Je reconnais ce chemin, il traverse la rivière en amont ! Y’a plus qu’à s’laisser guider.
Je me sentais honteux de ma gaffe. Je n’avais pas réfléchi, j’aurais pu nous mettre en danger.
Des pépiements me parvinrent sur ma droite et une colonie d’arkosaures de la taille d’un livre jaillit d’un sous-bois pour traverser le chemin. Sans doute habitués à se faufiler entre les pattes de leurs géants de congénères, ils ne nous prêtèrent aucune attention. Je manquais d’en écraser une poignée en voulant poser mon pied et me retins au dernier moment. Il fallut attendre qu’ils finissent de traverser pour reprendre ma route.
Ce fut le seul évènement notable du trajet avant que Doums ne nous fasse signe de nous arrêter.
Il tendait l’oreille en maugréant dans sa barbe.
— Écoutez ça les potes – il tapota son lobe – ! C’est notre rivière que j’entends clapoter pas loin !
On marqua une pause pour percevoir le flot de la rivière. L’expression de Burr s’assombrit.
— Il n’y a pas que la rivière.
Je l’entendis aussi. Une voix, au loin. Incisive. Elle donnait des ordres…
— Je l’savais ! bougonna Burr dans sa barbe avant de disparaître dans les fourrés d’un pas décidé.
Le regard de Kélis oscilla entre nous et les buissons. Elle pesait clairement le pour et le contre. Nos faces ne durent pas l’inspirer, car elle fila dans la direction de Burr sans demander son reste. Zesso lui emboîta le pas. J’hésitai une seconde, et les suivis à mon tour. Doums fut bien obligé de nous accompagner. Je l’entendais geindre dans mon dos :
— Arrêtez ! Faites pas les débiles. J’ai assez d’un Dan pour ça. Qu’est-ce que vous fabriquez ? Mêlez-vous d’vos oignons !
Personne ne prêta attention à ses alertes, trop occupé à éviter les bosquets de ronces qui nous entaillaient les mains.
La voix se rapprochait. Son écho ricochait sur le tronc des arbres imposants. Une lumière vacillante faisait trembler des ombres. La lueur caractéristique des flammes.
Burr s’accroupit derrière un buisson aux larges feuilles. C’est en le rejoignant que je les aperçus.
La lumière était bien celle de flammes. De torches précisément. Dont le halo miroitait sur les combinaisons bleu ciel de leurs porteurs. Les combinaisons Negassiennes.
Il ne s’agissait plus d’une bande réduite comme rencontrée auparavant. Sans même y réfléchir, je me surpris à les compter, mais je m’embrouillai vite la vingtaine passé. Ils étaient trop nombreux. C’était un véritable bataillon, bien aligné, bien armé, bien vénère. Sur le côté, une baliste montée sur trois roues – une grande à l’avant, deux petites à l’arrière - attendait sagement, des sphères plein le rail de chargement. J'étais hypnotisé par le spectacle de cette tempête orageuse grondant dans ces boules de verres.
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