John Wait La mort dans l'âme C2_...dans la forêt de Somor

C2_...dans la forêt de Somor

— Je n’essaie pas de…, c’est juste que c’est débile de ressentir ça sans raison.

— Maintenant je suis débile ?

— Roh, fais pas semblant de pas comprendre.

— Et toi, laisse tomber.


Le ricanement de Dyf résonna dans ma tête.


— C’est un simple rêve, un foutu rêve ! J’ai voulu te raconter ça pour te remonter le moral, te changer les idées. Être sympa quoi ! Zesso se montre un poil cash de temps en temps.

— Un poil.


Elle prit soin d’ajouter :


— Cela ne veut pas dire qu’il a toujours tort. Bon, tu peux me laisser tranquille, s’il te plaît ? J’ai besoin de récupérer après avoir altériser.


J’obéis docilement. J’étais bon pour me retrouver avec une flèche dorée dans les fesses si j’insistais.


Je rejoignis Burr, assis en tailleur au centre de la carcasse. Je ramenai mes jambes sous mon menton et enroulai mes bras autour pour contenir les derniers tremblements qui parcouraient mon corps.

Cet échange agité avait eu le mérite d’apaiser mes angoisses. Elles n’avaient pas disparu, cependant elles n’hurlaient plus façon corne d’alerte dans ma tête.


Burr continuait de scruter son armure dans les moindres recoins. Sentant que je ne ratais pas une miette de sa petite affaire, il s’amusa :


— Tu t’y attendais pas à ça, hein ?


À ce que son armure se transforme en masse, puis en boule à pointe ? Non, c’est vrai.


— Alors vous êtes un alteran vous aussi ?

— Moi ? Oh, oh, que mes jumelles soient bénies si j’avais pensé un jour être pris pour un alteran !


Visiblement, ce soir, j’étais condamné à tomber à côté de la plaque.

J’attrapai machinalement un bout de bois qui traînait parmi les feuilles mortes et entrepris de le briser en deux, en quatre, en six…


— Burr, je me posais une question – quitte à passer pour un idiot, autant y aller franco, je devais savoir. — Elle est un peu bête, mais… Quand vous parlez de vos jumelles… vous parlez bien de…

— De mes filles oui.

— OK. C’était juste pour savoir.


J’eus un peu honte d’avoir imaginé autre chose.


« T’inquiètes, je me posais la même question. »


— Mes magnifiques filles. Et pour répondre à ta question mon bonhomme, non, je suis un simple guerrier. Je sais me bastonner, c’est déjà pas mal.

— Bien sûr. Mais alors cette armure ?

— Et alors ton épée ? fit-il en me lançant un clin d’œil appuyé.

— Vous marquez un point, admis-je. Ne me dites pas que vous l’avez trouvé dans une cave vous aussi ?

— Ah, ah, non. Cette armure vient d’un pays lointain, si lointain, je parierais pas mes jumelles que t’en connais le nom. Dis-moi Nak, si je te parle de la nation de DessRoc ?


Son histoire de jumelles continuait de me perturber. Quant à DessRoc, ce nom ne m’évoquait guère plus qu’un mot sur une carte.

Burr passa vivement les mains sur son torse, ce qui annonçait la fin de son examen et la bonne tenue de son armure.


— Leur peuple est passé maître dans l’art d’altériser les objets pour que les profanes comme toi et moi puissions profiter des bienfaits du Rayon Genova. La plupart des artefacts du genre que l’on trouve à Stalion ou ici viennent de DessRoc

— Tu penses que mon épée vient de là-bas ?

— Ça, j’en sais rien, bonhomme, j’en doute. Dyf le Pourfendeur était un gars d’Alastar.


« Pourquoi il parle de moi comme si j’étais mort, çui-ci ? »


L’évocation de ces terres étrangères me laissa une impression désagréable. C’était pourtant clair. Les effusions de l’Alfaroc avaient touché le monde entier, pas que Stalion. Tant que les Genovae maintenaient le lien, il existerait des alteran qui alterise chacun à leurs manières. Ça semblait évident, mais je ne m’étais jamais posé la question.


L’écho des rires provoqués par ma remarque sur les arkosaures lors de mon premier déjeuner avec le bataillon des champions me revint en tête. Une honte aiguë me tordit le bide.

Depuis mon départ de Bourg Ballon, je réalisais chaque jour l’ampleur de mon ignorance. Ma vision du monde se limitait au cours du professeur Joan.

Normal d’être pris pour un idiot.

Zesso, Kélis. Peut-être même Burr. Ils me voyaient comme le petit gars naïf de la cambrousse bien gentil avec ses croyances. Des valeurs fragiles une fois confrontées à la complexité du monde.


Il ne restait du bâton qu’un tas de bouts de bois minuscules. J’écartai les mains et les laissais tomber par terre.

Que ce soit Burr qui baroudait là où le menaient les batailles, Kélis et Zesso qui vivait au cœur du pays, près de Stali, où tout se passait, tous étaient conscient d’être le rouage d’un mouvement plus large qui me dépassait complètement.

Pire, dont je n’avais jamais rien eu à faire.


Il avait fallu me retrouver en territoire ennemi, dans une forêt glauque d’Alastar en plein milieu de la nuit, entouré de compagnons venus de tous les coins de Stalion, pour que cela me saute à la figure.

Mon esprit vacilla, la sensation qu’un poids écrasait mes épaules, et je priai qu’il m’enfonce assez dans le sol pour y disparaître.


Loin de se douter de mes considérations, Burr farfouillait la sacoche attachée autour de sa taille. Il en sortit une lamelle de viande sèche. Il la coupa en deux et m’en donna un morceau. Je refusai. Il haussa les épaules et l’engloutit.


— J’aurais voulu avoir une miche de ton père pour accompagner ça, dit-il avec un nouveau clin d’œil.


Il mastiqua longuement son dernier morceau de viande en songeant à haute voix.


— C’est un beau métier, boulanger. J’aurais pu tenter si j’n’étais pas parti me battre à l’apparition de mon premier poil pubien.


J’étais perdu dans mes pensées, toutefois, l’image d’un Burr plus jeune que moi, s’en allant à la guerre, s’imprégna dans ma tête.

— Vous étiez déterminé…

— J’ai pas vraiment eu le choix à vrai dire. Mon père était fauché et il me détestait pour ça. L’enflure quand j’y repense. C’était à lui d’y penser avant d’engrosser la première fermière venue. Vu la suite de son existence, c’est une leçon qu’il n’a jamais comprise.


Il soupira.


— Quand Stalion a recruté des volontaires pour nettoyer la Pointe d’Ill de ses clans dissidents, il ne vit que des avantages à m’envoyer guerroyer. Soit je revenais les bras chargés d’or, soit il me revoyait jamais et ça f’sait une bouche de moins à nourrir. C’était pas mon idée, je t’avoue. Cette fois-là en tout cas. Je peux pas en dire autant pour les autres batailles… J’ai été de toutes les guerres. Au final, je sais pas si elles ont arrangé grand-chose.


Burr ne montra aucune émotion tandis qu’il me racontait son histoire, mais derrière ses gros sourcils blancs, ses souvenirs le troublaient. Lui, comme moi, n’avions pas eu le choix.

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1 commentaire

Gaëlle K. Kempeneers

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Il y a 7 mois

Un petit moment plus calme. C'est bien de pouvoir se poser un peu. Nak se remet en question...
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