John Wait La mort dans l'âme C1_Encore plus de surprises...

C1_Encore plus de surprises...

« Pardon, Gosny, tu trouverais sans doute pas ça très glorieux, mais je donnerais toutes les brioches du monde pour quitter cet endroit dans la minute. »


La bataille avait beau s’être conclue depuis un moment, la forêt avoir retrouver sa sérénité, mon cœur refusait de se calmer. Croisons les doigts pour que mes compagnons ne l’entendent pas.

Je marchais dans les pas de Burr tout en gardant mes distances de peur que son armure me prenne pour un ennemi et me transperce façon fromage. Malgré ces précautions, il pila sans prévenir et je faillis lui rentrer dedans. Il grommela je-ne-sais-quoi à propos de « ses jumelles ». Je levais la tête et compris.

Pour quelqu’un d’inattentif, les formes environnantes pouvaient passer pour une suite de rochers aux silhouettes effilées. En y regardant mieux, il s’agissait d’une cage thoracique démesurée. Elle formait une allée d’arches squelettiques au-dessus de nos têtes. La carcasse d’un arkosaure, sans l’ombre d’un doute. Je surpris mon reflet dans la pâleur des os.


— Waw, c’est quoi ce truc !


Les charognards du coin avaient fait leurs jobs : la carcasse était prodigieusement lustrée.


— Probablement la victime d’un grand carnivore, répondit Burr, premier degré.


L’intérêt de Zesso s’éveilla aussitôt :


— Genre un Tyranus ?

— Les Genovae ne devaient pas les avoir chassés, ceux-là ? s’étonna Kélis.


— Il y en a moins qu’à une époque, c’est certain. Et sur les terres de Stalion n’en parlons pas, songea Burr en passant la main dans sa barbe,mais ailleurs, il arrive encore de croiser la route de spécimen plutôt maousse comme celui-ci.


Il caressa l’os de ce qui avait dû être l’articulation d’une patte avant et haussa les épaules :


— On arrête pas la nature avec un peu d’alter.


Il se tourna vers nous et sourit devant nos mines ahuries :


— Rassurez-vous ! Vu son état, cette carcasse traîne dans l’coin depuis un bon bout de temps. Son prédateur doit être loin. Nous ne risquons pas grand-chose à faire une halte ici. Je sais pas pour vous, mais moi, j’ai besoin de souffler un chouille.


J’étais assez chaud aussi. On marchait depuis deux heures minimum, avions fait la course avec des arkosaures, sans compter le combat – durant lequel, certes, je n’avais guère transpiré, si ce n’est de trouille, mais qui m’avait bien secoué psychologiquement – .


Zesso s’empressa d’examiner le crâne de la carcasse – crâne qui n’était pas loin de faire sa taille –.

Kélis choisit la côte la plus élancée du squelette et se blottit dans sa courbe.

Burr, lui, s’assit en tailleur et se lança dans l’examen des plates de son armure.

Les voir aussi détendus amplifia ma nervosité. Était-ce une si bonne idée de rester sur place au final ?


Je me mis à tourner en rond sous cette drôle de cage. Kélis m’interpella :


— Ne prends pas les opinions Zesso au pied de la lettre, Nak. Ce type est fâché contre le monde entier.


Je m’arrêtais devant elle.


— N’empêche qu’il a raison, bougonnai-je. J’étais incapable de réagir tout à l’heure.

— Y’avait de quoi !

Pourquoi sa bienveillance à mon égard continuait-elle de me surprendre ?


Je la considérais, négligemment vautrée sur sa côte de Tyranus, bras croisés derrière la tête.


— Ça t’arrive d’être déstabilisé, toi ?


Son esprit sembla délibérer si, oui ou non, il était raisonnable d’afficher ses failles à ce garçon de campagne, elle, Suralter parmi les alteran. Elle dut se dire que cela ne présentait aucun risque, car elle finit par concéder :


— Ça m’arrive.


Elle laissa filer un nouvel instant de silence, le visage tourné vers la cime des arbres, feignant la désinvolture. Après avoir débattu avec elle-même, elle ajouta :


— Parfois, je rêve que je ne suis plus une alteran.

— Co… comment ça ?

— Ce n’est qu’un rêve idiot, soupira-t-elle, l’air ailleurs. Mais il revient souvent. Dans ce rêve, je suis élue Suralter, les gens chantent mes louanges, vantent mes talents. Ma mère pleure de joie, mon père essaie de rester digne, mais ses fossettes le trahissent quand il me regarde. Et pour une fois, mes deux frères me considèrent comme leur égal.

— Jusque là, c’est assez fidèle à la réalité, j’imagine, non ?

— Oui – elle ramena un pied sous ses fesses –, sauf que dans ce rêve, les gens, mes proches, tout le monde, ignorent une chose. C’est que tout ceci… est un gigantesque mensonge. Car en vrai je n’ai plus accès a l’alter.

— Naaan ! Mais, et tes flèches de lumière alors ?

— Quand je dis « en vrai », c’est dans mon rêve, idiot ! T’as bien vu comment j’ai aligné ces pourritures tout à l’heure !


Évidemment. C’était si clair. Voyons, Nak, quel idiot tu fais.


— Réfléchis ! Pourquoi ça arriverait dans la vraie vie ? Tant que le rayon Genova fonctionne, le lien entre les alteran et l’alter perdurera ! C’est dans mon rêve que ça déconne et j’ignore la raison. C’est un rêve ! C’est le principe de ne rien y comprendre ! Bref, je peux continuer ?

— Oui, oui…


Elle croisa ses bras sous sa poitrine et ses yeux verts se rembrunirent.


— À chaque fois, c’est pareil, je ne sens plus l’alter mais j’arrive à faire style. Je le cache à mes parents, à mes frères, à mes amis, aux autres. Sauf qu’ils finissent toujours par griller mon mensonge. Tu verrais la déception dans les yeux de ma mère, le sentiment de trahison dans ceux de mon père. Les autres alteran d’Aquamaru prétendent que j’ai volé mon rang de Suralter, que ce n’est pas ma place. Mes frères me taillent. Je les supplie d’arrêter, de me laisser le temps de retrouver mon lien à l’alter. Et puis, je me réveille. Je respire à mille à l’heure. Parfois même je… je… — Nos regards se croisèrent –, enfin, tu vois quoi, t’es pas le seul à te poser de questions.


Une personne qui aurait pu lire quelque chose à travers ce rêve, c’est la Roussine.

Kélis lorgna en direction de Zesso. Il venait de fourrer sa tête dans ce qui avait été la narine de l’arkosaure.


— Tu te sens pas légitime c’est ça ?


Elle continua de fixer Zesso, feignant de ne pas m’avoir entendu.


— Pourtant si t’es la meilleure Alteran d’Aquamaru comme tu dis…

— Ce n’est pas moi qui le dis, trancha-t-elle. Ce sont mes maîtres. Et le Grand Rek en personne a adoubé ce choix en m’élisant Championne d’Aquamaru.

— Oui, oui ! Je t’ai vu à l’œuvre Kélis, c’était classe ! Et je suis sûr que les autres sont d’accord avec moi. Tu l’as dit, le régent t’as choisi toi ! Pour une bonne raison, pas pour te faire plaisir. Tu n’as pas à te sentir frauduleuse.

— Tu peux pas comprendre.

— Pourquoi ? Parce que je suis un humain lambda ? Parce que les Astres n’ont pas consenti à me prêter leurs pouvoirs ?


Marrant la façon dont ce sujet me rendait susceptible.


— C’est pas çaaa…

— Bah alors, c’est quoi ?

— Arf, j’aurais mieux fait d’me taire. Tu compliques toujours tout. Et tu essaies de me consoler et je déteste ça !


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