Fyctia
C4_...dans la forêt...
« Mesure ta chance de croiser des arkosaures de cette envergure en pleine nuit. Les bestioles de ce gabarit attendent le jour pour se balader et profiter de l’énergie du soleil d’habitude. » m’expliqua Dyf.
— Il en existe des plus gros que ça ? balbutiai-je à voix haute.
— Évidemment, dit Zesso.
La dernière créature, la plus longiligne de toutes, s’ébroua dans l’eau en soufflant bruyamment. Autour de lui, ses mouvements provoquaient des remous irisés par la lueur de la lune sur la surface de l’eau. Le deuxième chillozor jeta un coup d’œil à droite, à gauche puis, leva la queue.
— Non, il va quand même pas…, s’offusqua Kélis.
Si. Le chillozor, bien à l’aise dans son petit étang, déféqua allègrement, allant jusqu’à pousser un râle de contentement.
— C’est vraiment un gros caca.
— Finement observé, dit Kélis.
Oubs. J’avais dit ça à voix haute.
Un frisson de honte contracta mes omoplates.
— Au moins, il est propre, il fait ça dans l’eau, s’amusa Burr.
— Il nous laisse sa carte de visite, dit Zesso. Ça m’étonnerait pas qu’ils aient senti notre présence. Ils veulent marquer leur territoire. Matez ça !
Il oscilla vers moi, l’œil ému.
— Le dernier arrivé ! Il est si vieux que sa peau est couverte de lichen !
Pour la première fois, Zesso s’adressait à moi sans donner l’impression de vouloir vomir. Il s’en rendit compte également, car, il me tourna le dos aussi sec. Et s’empressa d’ajouter, pour changer de sujet.
— Sans la chute de l’Alfaroc, ces animaux seraient encore les maîtres du monde.
— Oui… mais nous n’aurions jamais eu accès à l’alter, crû bon d’ajouter Kélis.
— Rien de personnel Kéké, mais, ça n’aurait pas été mieux pour tout le monde ?
Il avait retrouvé son ton revanchard.
Le chillozor mâle se dressa sur ses deux pattes arrière, tendit la tête vers les étoiles et… roucoula. Comme un oiseau. Alors pas exactement comme un oiseau car le son était beaucoup plus enveloppé, plus grave, plus profond, mais dans l’idée, c’était ça. Son roucoulement trouva un écho.
Un cri perçant résonna au-dessus de nos têtes, brisant notre béatitude.
— Ils sont là, fit Burr.
On dressa la tête vers les étoiles.
Au début je ne vis rien d’autre qu’un ciel de nuit éclairé par une grosse lune blanche. Puis, un mouvement attira mon attention.
Telle une onde à la surface d’un lac.
De longues silhouettes effilées sillonnaient le ciel.
— Des pétrodons ! s’écria Zesso sans cacher sa joie.
— Bien vu, mais ceux-là n’ont rien de sauvage, grommela Burr.
Il voyait juste. Des silhouettes encapuchonnées montaient les arkosaures aux ailes déployées et tenaient dans leurs mains, ce qui s’apparentait à des rênes.
— Des Négassiens ! En arrière !
Le ton sec de Burr me fit sursauter.
Je m’agenouillai dans les fourrés bordant la clairière et vit l’expression de Burr se décomposer tandis que son œil glissait par-delà mon épaule.
— Kélis, non !
Les pieds plantés dans le sol, Kélis tendait sa main vers les ombres volantes. Ses doigts scintillaient. La voix de Burr la déconcentra, mais trop tard. Trois traits de lumière filaient vers le ciel à vive allure.
Le premier chillozor se dressa sur ses pattes antérieures, intrigué par ces étoiles filantes jaillies des buissons. L’instant d’après, un corps inanimé venu d’en haut froissait la surface de l’étang, juste devant l’arkosaure.
Le claquement du corps rencontrant l’eau, l’explosion d’écume tout autour surprit la créature qui, dans un geste de recul, poussa un long beuglement. Un mouvement de panique agita la famille chillozor. Les derniers à se tenir sur quatre pattes se redressèrent. Chacun poussa un râle. Se répondaient-ils les uns les autres où mettaient-ils en garde ces arrivants venus du ciel.
Le premier chillozor, lui, fixait le buisson d’où venaient de surgir la lumière. Tout le monde s’arrêta de respirer. Le chillozor se mit à courir. Avec tout l’effort qui lui réclamait son gros corps. Seul le poids de l’eau le ralentissait. Puis il sortit de l’étang.
Burr défonça mes tympans :
— Barrez-vous !
Je ne demandai qu’à obéir et traça comme un dératé, me contentant de courir en ligne droite. Le paysage devint flou. La paisible forêt n’était plus, réveillée par notre course, notre souffle haletant, nos bottes frappant le sol, craquant le lit de feuilles, rudoyant la végétation. Derrière nous résonnait la débâcle des chillozors. Au-dessus, le même cri perçant revint, celui qui avait tout déclenché. Celui d’un pétrodon.
La menace planait, invisible au dessus de nos têtes. Il fallait espérer que la ramure des arbres nous protège en retour.
Dyf s’esclaffait :
« Regarde les cavalés face aux arkosaures les Champions de Stalion ! »
Zesso se déplaçait avec l’agilité de celui qui connaitrait ces bois par cœur, appréhendant le moindre relief, le moindre obstacle. Kélis, fidèle à son habitude, semblait à peine frôlé le sol. Burr ne déméritait pas. Il les talonnait malgré le poids de son armure et de son propre corps. Je me tenais derrière lui, le suivait comme un étendard dans ce paysage brouillé par la vitesse et la panique.
Quand le tremblement de nos poursuivants s’étouffa, on ralentit pour prendre notre souffle.
— Je suis désolé, bredouilla Kélis. J’ai cru…
Burr l’interrompit.
— Non, ne t’excuse pas. Tu as réagi vite. Juste, tu as réagi mal.
Elle baissa les yeux, piteuse. Zesso eut l’air désolé pour elle.
De mon côté, la parano me perforait la raison. L’impression de voir les taillis bougés, d’entendre les feuilles bruisser. Mes yeux sautaient de tronc en tronc, chacun d’entre eux devenant le protecteur d’un potentiel danger embusqué. Pourquoi s’était-on arrêtés au juste ?
Perçant l’obscurité, une flèche surgit de nulle part, filant se loger entre les omoplates de Burr.
Mon sang ne fit qu’un tour. Le colosse ne trembla pas, sauvé par son armure. La pointe de la flèche n’avait pas dépassé les plates métalliques. Burr balaya le carreau d’un geste désinvolte, un voile de violence obscurcissant son visage.
— Restez derrière moi, ordonna-t-il.
Son armure émit un petit cliquetis mécanique. Ses sourcils broussailleux s’inclinèrent.
— Ils approchent.
« Il a raison. »
Kélis et Zesso s’immobilisèrent, corps tendu, prêt à passer à l’action. Nous protégeant de sa carrure, Burr serrait les poings, jambes écartées, tête baissée telle une bête ruminant son assaut.
Un silence vicieux s’enroula autour de nous, amplifiant chaque craquèlement de végétation. Les arbres formaient une arène naturelle. Ma mâchoire se contracta au point d’éclater mes dents. Mon poignet gauche picota. L’instant d’après, mes doigts se refermaient sur le pommeau de mon épée. Un feulement métallique souligna la sortie de son fourreau.
« Enfin un peu d’action ! T’as intérêt à assurer ! »
Une fois braquée devant moi, je vis la lame vibrer. Je réalisai trembler de tous mes membres.
Le cri lointain d’un chillozor s’éleva quelque part avant de se diluer dans les hauteurs de la forêt.
L’instant d’après, six hommes encapuchonnés perforaient les taillis, lame aux poings.
1 commentaire
Gaëlle K. Kempeneers
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Il y a 7 mois