Fyctia
C3_Surprises...
On serpenta parmi des troncs droits et lisses qui semblaient avoir été disposés avec assez d’écart pour laisser les promeneurs s’enfoncer sans peine dans les profondeurs de la forêt. Peut-être un sentier se cachait-il quelque part, mais le lit de feuilles mortes accumulées au fil des saisons sur lequel nous marchions prenait soin de le dissimuler. Il libérait une brume légère, diffusant une agréable odeur de terre fraîche. Moins cool, elle métamorphosait aussi les environs en silhouette fantomatique.
Restons sereins.
Déjà, évitons de ressasser les paroles de Doums.
« Ils sont tout le temps là. À nous observer en permanence. »
« Ils attendent leur heure. »
Ça marchait bof.
Rien ne perturbait l’apparente tranquillité de la forêt assoupie. Nous étions les seuls en mouvement dans ce décor figé. Personne n’osa briser la chape de silence, même pas Zesso.
Ce dernier tenait ses oreilles décollées aux aguets. Je le soupçonnais de guetter une preuve de la présence d’un arkosaure. Malheureusement, eux non plus ne montrèrent nul signe de vie. Seuls quelques oiseaux timides faisaient valoir leurs chants à l’abri des cimes.
On progressa ainsi pendant une bonne demi-heure - qui m’en parut le double -.
Peu à peu, la forêt devint plus touffue. La brume se transforma en fine vapeur quasi imperceptible. Les angles des rochers, parsemés de gouttes d’eau, se firent plus acérés. La végétation se densifia également. Les arbres se rapprochèrent, troncs et branches osaient des angles plus tortueux. Notre ligne de vision devint plus opaque, le par terre, plus accidenté, et il fallait faire gaffe à ne pas glisser le pied sous une racine ou à le cogner contre une pierre enfouie.
« Alors, morveux, on a les miquettes qui bourdonnent ? Peut-être un petit coup d’épée pourrait déblayer le paysage ?»
Je connaissais l’ambiance nocturne des forêts. J’avais souvent traversé le bois de Lune à la nuit tombée avec mes compères du Bourg Ballon dans le but avoué de se faire peur. On se racontait des histoires flippantes, on s’imaginait qu’un arkosaure à dents longues rôdait dans les parages. De belles frayeurs m’avaient fait détaler le cœur battant vers le village. Là, ça n’avait rien à voir. Ce n’était pas un jeu. La peur qui m’étreignait les intestins n’était pas une raison valable pour tout arrêter et rentrer se glisser sous sa couverture - même celle d’une paillasse inconfortable de camp militaire - . J’aurais voulu soumettre l’idée à mes compagnons, que peut-être, ça y est, on s’était assez avancés.
Je n’osais rien dire.
Pas moyen de passer pour un froussard, surtout devant Zesso. Pas question de lui donner de nouvelles raisons de me descendre. Alors, je fermai ma bouche. Même si mes lèvres tremblaient. Dans les deux cas, je manquais de courage.
Burr leva le bras.
Kélis et Zesso se stoppèrent net.
Au loin, là où les feuillages et l’obscurité nous bouchaient la vue, émana le brame puissant d’une créature.
Burr se tourna lentement vers nous les yeux écarquillés et posa un doigt fébrile devant sa bouche.
— Inspirez un grand coup, ne faites aucun geste brusque et approchez, souffla-t-il. Et surtout, en silence.
Devant lui, un mur de végétation offrait une percée où la lueur du ciel étoilé semblait accessible.
La cadence de mon cœur accéléra à mesure que je m’avançais.
Je m’attendais à tout. Surtout au pire.
Derrière le mur de verdure, je découvris l’orée d’une petite clairière où dormait un étang. Les astres venaient se refléter sur sa surface lisse. C’était certes un bien joli spectacle, mais pas aussi fascinant que ce à quoi je m’attendais. Au moins l’étang ne voulait sans doute pas nous tuer, lui.
C’est là que l’ombre bougea.
Une ombre gigantesque qui se mouvait lentement.
Je déglutis en réalisant ce qui s’offrait devant moi. L’ombre dépassa les fourrés et, sous la lune, les lignes de sa silhouette se précisèrent. Plus je plissais les yeux, plus ma mâchoire se décrochait. Ils étaient enfin là. Devant moi.
— Putain d’merde, murmura Zesso dont la mâchoire était à deux doigts de tomber elle aussi. Putain de putain de putain d’merde.
— J’aurais pas dit mieux, jubila Burr. Ouvrez grand les yeux mes bonhommes. C’est un spectacle rare.
Paré de son humble splendeur, un arkosaure venait d’apparaître au milieu de la clairière.
Une créature immense, aussi haute que deux Burr. Sa petite tête au museau plat paraissait ridicule par rapport au volume de son corps. L’énorme queue, aussi longue que le dos arrondi qu’elle prolongeait, se balançait au ras du sol à chacun de ses pas. La créature marchait sur quatre pattes, mais c’était sans conteste ses pattes arrière, plus costaudes, qui supportaient le gros de son corps imposant. La surface de sa peau se constellait de minuscules écailles grises aux reflets mauves.
— C’est un chillozor, déclara Zesso.
Si nous étions ébahis par l’apparition de l’animal, Zesso lui, semblait transformé. Ses yeux brillaient d’un éclat enfantin. La rancœur, la malveillance, toutes ces émotions qui le définissaient selon moi semblaient n’avoir jamais traversé son visage. Il était heureux, simplement.
Il y avait quelque chose de noble et de paisible dans la démarche du chillozor qui rappelait l’attitude des kromodons. Sauf que cet animal était beaucoup plus gros, donc, beaucoup plus lent. Sa langueur laissait aux spectateurs que nous étions, le temps d’apprécier le délié de chacun de ses mouvements.
Burr me tapota soudain l’épaule. Sa barbe tressaillait sous l’émotion.
— Que mes jumelles soient bénies, je crois qu’ils sont plusieurs.
J’eus l’impression de voir les oreilles de Zesso s’écarter un peu plus.
Burr avait raison. Surgissant des fougères qui bordaient la clairière, un nouveau chillozor arriva derrière le premier. Il était plus petit, avec un je-ne-sais-quoi de plus trapu.
Zesso fit un pas en avant, écartant les feuilles qui le gênaient.
— C’est le mâle !
— Comment tu sais ça toi ? demandai-je.
— On a des livres dans les favelas, Bourg Ballon.
— C’est pas s’que je sous-entendais.
— Fermez-là vous deux ! gronda Kélis.
Deux autres Chillozor suivaient le second à la file indienne. Le premier d’entre eux pénétra dans l’eau calme de l’étang. Quand celle-ci lui caressa le ventre, l’arkosaure ébroua son large cou. Ils avaient visiblement planifié un bain de minuit.
— Que mes jumelles soient bénies, s’exclama Burr une énième fois.
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Gaëlle K. Kempeneers
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Il y a 7 mois
John Wait
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Il y a 7 mois
Gaëlle K. Kempeneers
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Il y a 7 mois