Fyctia
C2_...de Somor
— Qu’est-s’tu racontes !
— Bin, j’en sais rien, d’un coup, t’as l’air vachement soucieux de ce que pourrait penser « la petite Aquamar ». T’es jaloux ouu ?
Son attitude changea du tout au tout. Ses traits se durcirent, sa voix perdit sa légèreté. Il pencha son visage si proche du mien que c’en fut malaisant et pointa le doigt sous le bout de mon nez :
— Sous-entends encore une fois un truc du genre et tu finis ta journée dans un médicophage, capiche, Bourg Ballon ?
— Oh, pardon si je t’ai offensé, mais c’est toi qu’a lancé le sujet.
Son bras déserta mes épaules.
— C’est fascinant ce talent que t’as pour te rendre détestable.
Il s’éloigna, à peine, sa réplique expédiée.
Je lorgnais vers Kélis. Elle ne prêtait pas attention à notre conversation. Quelque chose m’interpella cependant. L’extrémité de ses phalanges scintillait. Ma nervosité ne fit qu’amplifier.
Elle se tenait prête à dégainer ses flèches d’alter au premier détail suspect.
Un calme oppressant régnait sur ce No man’s land. Rien que le bruit de succion permanente de nos bottes dans la boue et le cri traînant des kromodons. Doucement, le paysage se parait des nuances de gris précédant la nuit.
Nous croisâmes à plusieurs reprises des grappes de soldats crispés et grelottants autour de brasero. Ils étaient plusieurs postés ainsi à intervalle régulier autour de la garnison. Leur mission : surveiller le périmètre pour éviter les attaques-surprises. Depuis combien de temps poireautaient-ils ici, sans bouger, sous les averses incessantes ?
Enfin, la végétation reprit le dessus sous nos pieds.
Burr se dirigea vers le dernier brasero. Deux guetteurs détrempés profitaient de sa faible chaleur. Derrière eux, un kromodon particulièrement massif tentait d’échapper à un essaim de moucherons en se roulant dans la gadoue.
— Dan, Doum’s, salua Burr en s’asseyant à leur niveau et chacun d’eux hocha la tête à l’appel de son prénom.
— Burr, ça fait plaisir d’te voir ici. On pensait qu’on nous avait oubliés là-bas, maugréa Doums en pointant le camp d’un coup de menton.
Ils étaient dans un drôle d’état. ma mère les aurait surement qualifiés de débraillés.
Dan, qui paraissait encore plus à bout que son acolyte, reprit en grommelant dans sa barbe hirsute :
— On est plantés là comme deux ribols à attendre des ordres alors qu’on est les plus exposés !
— Les Négassiens ont montré signe de vie ? interrogea Burr d’une voix soucieuse, prenant soin d’éviter le débat.
— Ils sont tout le temps là à nous observer ces salauds! gronda Dan en haussant ses yeux humides vers le ciel. Là-haut - en désignant les abords de la forêt de Somor -, là-bas ! Ils nous matent en permanence. Ces rats attendent leurs heures.
Il enfonça la moitié de son visage dans le col de sa combinaison. La pluie laissait des trainées claires sur leurs visages crasseux.
J’observais la lisière de la forêt entourée de souches et de bois mort, là où les soldats avaient coupé les arbres pour bâtir notre palissade.
— Dan est devenu complètement parano depuis qu’il a choppé la fièvre, expliqua Doums. En même temps, ça fait un mois qu’on glandent là. J’ai les couilles qu’on dirait des glaçons, y manque plus qu’le rosé !
— J’suis pas parano, j’te dis ! s’emporta Dan.
Une quinte de toux l’interrompit.
Burr lui claqua sa paluche dans le dos, ce qui n’arrangea pas grand-chose.
— Que mes jumelles soient bénies ! Si on croise un d’ces zouaves, il verra de quel bois on se chauffe ! rugit-il.
Les deux soldats approuvèrent d’un air pensif.
Le beuglement d’une créature retentit au loin dans la forêt.
— Vous savez si y’a des Arkoprim avec eux ? demanda Zesso.
Doums haussa un sourcil.
— ‘M’étonnerait. Si vraiment ils ont rien à voir avec c’t’affaire comme il paraît, y’a zéro raison qu’ces hommes-lézards lèvent la moindre griffe tant qu’on les emmerde pas. Les histpires des Négassiens, c’est plus les leurs. J’les soupçonnerais même qu’ça les fasse bander de voir les Staliens et les Négassiens se foutre sur la gueule !
— Tu crois ça bande un Arkoprim ? demanda Dan soudain très investi dans la conversation.
— Évidemment qu’ça bande ! Sinon comment veux-tu qu’y s’reproduisent ?
— Mouais… j’demande à voir.
— Et bah t’iras tout seul ! J’ai franchement pas envie d’savoir à quoi ressemble le machin d’ces zygotos !
— Bon, les gars, c’est pas qu’on s’ennuie, mais on va vous laisser, fit Burr en claquant son genou. Promis, dès qu’on revient à la garnison, je parle de votre cas au capitaine et on vous rapatrie illico.
— T’es un chef Burr, dit Doums.
— Un vrai de vrai, approuva Dan.
Et il se remit à tousser.
Le crépuscule achevait de s’éteindre lorsque nous entrâmes dans la forêt de Somor. Le bois et la roche se teintèrent d’un bleu froid.
À chaque pas qui m’enfonçait un peu plus en son cœur, je maudissais Mosley et ses fichus postillons. Chaque partie de mon corps me criait de faire demi-tour.
L’humidité ambiante me glaçait les os. Pourtant les arbres étaient si haut, les frondaisons si denses, qu’aucune goutte de pluie ne nous atteignait. Seul l’éternel clapotis tapotant les feuillages trahissait la présence de l’averse.
— Mosley ne nous a jamais ordonné d’y entrer ! avais-je seriné à mes compagnons alors que nous longions la lisière de la forêt.
Zesso perdit patience - qu’il avait fort limité -.
— Réfléchis, p’tite tête ! Tu vois des endroits dans ce cratère où l’ennemi pourrait se mettre à couvert ? Si nos ennemis se planquent, c’est forcément là d’dans !
Voyant la situation s’envenimer, Kélis avait enfin dénié prendre la parole :
— Zesso a raison? Après, pas la peine d’aller trop loin non plus.
Ce qui fit jubiler Zesso qui lui enjoignit de taper dans sa main :
— Kéké, t’es la voie de la raison !
— Il faut bien que quelqu’un s’en charge, avait-elle soupiré en ignorant sa main.
Les plates de l’armure de Burr s’entrechoquèrent, ce que signifiait que le colosse riait.
— Je suis d’accord avec la petite, avait-il fini par trancher. Ça sert à rien de patrouiller ici indéfiniment. Si les Négassiens sont dans l’coin, c’est forcément à l’abri de cette maudite forêt.
« Et voilà ! Personne te respecte ! »
Merci Dyf pour ton soutien inconditionnel.
Maintenant qu’on progressait dans ce cocon de végétation ténébreuse, Burr ne rigolait plus du tout.
— Ok, les p’tits pères, on tend l’oreille et on ouvre l’œil et pas l’crevé ! avait-il ordonné. Ces Négassiens peuvent se tapir partout, dans un talus ou l’ombre d’une pierre. Et ils ne sont pas le seul danger. Il y a aussi… les animaux.
Je surpris Zesso esquisser un sourire à ces mots.
3 commentaires
Gaëlle K. Kempeneers
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Il y a 7 mois