John Wait La mort dans l'âme C4_Yeux qui brillent

C4_Yeux qui brillent

Si ma réflexion le contraria, le régent n’en montra rien. Cela m’encouragea à continuer.


— Qu’est-ce qui pousse les Arkoprim à s’en prendre à Stalion depuis tout ce temps ?


L’évidence de ma question prit le régent par surprise:


— Tu as eu des cours d’Histoire Nak ?

— Oui, bien sûr, mais…

— Alors, tu connais l’Histoire. Tout ça est une question de jalousie. Un comble, je l’admets. Qui prétend que la jalousie est une émotion fondamentalement humaine n’a jamais vu personne s’offenser. Mais que veux-tu ? Ce peuple nous en veut pour l’alter et nos alteran depuis des millénaires. Ils sont persuadés que les Genovae ont appelé l’Alfaroc à s’échouer sur notre monde afin de renverser leur race alors même que nous n’étions que des hommes et qu’ils n’étaient que des animaux. Vois-tu le non-sens de leur spéculation ? On ne pourra pas leur faire changer d’avis. Les choses sont ainsi, il faut vivre avec.

— Pourtant ils sont aussi réceptifs à l’alter ! Certains d’entre eux sont doués de parole ! Ils ont même bâti une civilisation !

— Tu parles d’une minorité Nak. Les rares arkosaures ayant survécu à la catastrophe sont restées à peu de chose près identiques aux bêtes qui foulaient notre terre à l’arrivée de la météorite. Une grande partie de leur espèce a été rayée de la carte par la pluie de feu qui a suivi l’explosion. Alors que nous, humains, pourtant bien moins nombreux, sommes parvenus à échapper a l’apocalypse en nous murant dans les profondeurs des grottes.


Un frisson me raidit la mâchoire. J’imaginais ces hommes archaïques assister au déluge des éléments, la trainée de feu scindant le ciel, suivi de l’impact de l’Alfaroc fendant la terre sur des kilomètres, les nuages de poussières et de gaz s’élevant pour obstruer le ciel. Puis l’explosion. Le vacarme assourdissant de la déflagration qui fait trembler les âmes, le temps qui se fige. Cette pierre venue de l’espace qui éclate et se disperse en millier de débris, en milliards de particules, portées par le vent sur l’entièreté du globe, faisant pleuvoir la lave depuis le ciel, carbonisant tout ce qui a le malheur de se trouver sous son point de chute. Les malheureux arkosaures balayés par cette série de cataclysme. L’atmosphère incendiaire qui les brûle, qui les asphyxies.

Pour échapper à la chaleur abrasive, au chaos de tempêtes et de flammes qui a sévi, les humains ont eu le réflexe de s’enfoncer dans les entrailles de la terre, jusqu’au néant. Mais l’alter lui s’était libéré et s’est propagé partout, s’incrustant dans les interstices de la roche, rattrapant certains hommes, les contaminants…


Après le drame assourdissant, la nature s’était remise péniblement de l’évènement. Elle dut se réinventer.

La vie avait repris, doucement. Mais le monde avait changé.

Les arkosaures n’étaient plus les maîtres de la terre. Les humains les plus infectés par l’alter, ceux qui avaient voulu retrouver la lumière du dehors trop tôt, ou qui ne s’étaient pas enfoncés assez loin dans les souterrains, étaient devenus de véritables réceptacles à l’alter. Chaque atome de leur organisme était baigné de ce pouvoir venu d’ailleurs. Ils en étaient tellement imprégnés qu’ils « débordaient », propageant l’alter malgré eux, certains dans un rayon de plusieurs kilomètres, devenant ces êtres d’exception que l’on appela Genovae. Les maîtres de notre nouvelle civilisation. La Race Mère.



Cette suite d’évènements frappa ma pupille en une fraction de seconde, mélange d’imagination et de représentations croisées sur des peintures, des textes, des gravures. Ces fragments d’images se superposaient les uns aux autres à un rythme frénétique comme si cette expérience était inscrite dans mon génome, comme si le traumatisme dormait en chacun en nous.

Le régent m’observa profondément. Il savait.

Au loin dans le camp, un soldat chantonnait une mélodie grivoise.


Patiemment, le régent reprit son histoire à l’endroit où mon esprit s’était arrêté.


— Grâce à l’alter, l’équilibre des races s’est renversé. Les Genovae ont répandu l’alter chez leurs frères et sœurs.


«Certains frères.» précisai-je dans ma tête, avec une pointe d’aigreur.


— L’humain s’est affranchi de sa condition et est allé plus loin que tous ses ancêtres. Pour la première fois de son existence, il a pris l’ascendant sur les arkosaures. Mauvais joueurs, ces derniers, une fois doués de conscience et de parole grâce au même alter qui a donné aux hommes ses pouvoirs, sont devenue une véritable nation, les Arkoprim. Et alors, ils ont accusé l’homme d’être à l’origine du massacre de leurs animaux d’ancêtres.


Le professeur Joan ne s’était jamais attardé sur la question, mais il me semblait qu’à cette même époque, les alteran s’étaient mis à chasser les arkosaures jugés « problématiques » - comprendre les plus gros et les plus carnivores -. Mais le régent n’en parla pas.


« Les Arkoprim nous voue une haine farouche. Quand on sait comme ils sont capables de traiter leurs propres ancêtres, ça laisse songeur, mais que veux-tu. Alors, dis-moi Nak. Doit-on se laisser faire ? Devons-nous transformer ce don venu du ciel en fardeau ?

Il pointa la constellation qui s’étendait, impassible, au-dessus de nos têtes.


— Contrairement à ce qu’ils prétendent, nous n’avons pas appelé l’Alfaroc. Comment aurions-nous pu ? Ce sont les Astres qui nous l’ont confié.


Que répondre à ça ?


J’avais beau connaitre l’histoire de ce conflit, je ne me sentais pas plus concerné pour autant. C’était le conflit d’une autre époque, presque d’un autre monde.

C’était aussi un débat sans fin que je n’étais pas sûr de gagner face au régent.

Mon attention glissa discrètement sur le côté, espérant apercevoir la silhouette tapie dans la nuit, mais le régent se tenait devant.


— Tu ferais mieux d’aller dormir et de réfléchir à ce qu’on s’est dit, fit-il en me tapotant l’épaule.

J’acquiesçai piteusement.

Il partit comme il était venu, disparaissant au détour d’une allée.


Quand le bruit de ses pas finit d’être absorbé par la pénombre, Dyf se mit à ricaner :

« Et beh ! On est tout chamboulé ? »

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