Fyctia
C2_Yeux qui brillent
L’annonce fit son effet et personne n’osa la contredire.
— Pourquoi ferait-il ça ? l’interrogea Kélis soudain alarmé.
— C’est évident, sourit Latyf en écartant les bras. Dans l’espoir d’obtenir leur pouvoir. De devenir des Genovae.
— Là, ça s’rait bien la merde, souligna un soldat à la lèvre gercée.
— Il y a tellement d’alter en transit dans le corps des Genovae, celui d’un humain ne pourrait jamais le supporter.
— Justement -Latyf brandit son doigt en l’air pour couper Kélis.- ! Ils ont dû trouver la technique qui marche à coup sûr. Où ils s’en rapprochent.
— Ce s’rait vraiment bien la merde ! analysa Lèvres Gercées.
— Pensez-y ! renchérit Latyf. Des années durant, l’alter a rendu les Genovae tout-puissants. Mais la nature fonctionne pas comme ça. Faut bien qu’y ait une contrepartie quelque part.
— Les Astres ne jouent pas avec les mêmes règles que les nôtres, rétorqua Kélis.
Ojinn surgit de l’obscurité, une paire de buches sous le bras.
— Les Genoavae se sont entretués lors de luttes intestines durant des décennies avant d’être haïs par toute une partie du peuple, c’est déjà pas mal comme contrepartie, dit-il.
Il n’était guère client des commérages de Latyf - surtout lorsqu’ils s’attardaient sur Siara et Ariana. Rien de très étonnant pour un habitant de Stali, la capitale de Stalion. Comme Kélis, il avait grandi dans le culte des Genovae.
Après l’avoir nourri, il vint s’asseoir autour du feu.
— Devoir rester cloitrée dans leurs palais, aussi c’est pas top, dit le soldat gercé.
— Ça leur évite de se mélanger au peuple, grommela Zesso.
— Au contraire, elles font ça pour le protéger, contra Ojinn en le foudroyant du regard.
Puis, il revint sur Latyf qui savourait les réactions provoquées par son petit numéro :
— D’où tiens-tu tes infos ?
Elle pointa son nez vers le ciel comme si elle humait une odeur qu’elle serait la seule à pouvoir sentir.
— Une intuition qui traîne dans l’air.
Ojinn soupira :
— Super. Voilà une source fiable. Rassurez-vous, il n’y a aucune chance que les Negassiens puissent tuer un Genova.
— Tu répètes juste ce qu’on t’a appris, mais t’es comme nous, t’en sais rien, gronda Latyf en se penchant devant lui.
— Excuse-moi de m’appuyer sur des faits millénaires plutôt que des « intuitions qui traînent dans l’air ».
Elle le toisa longuement en croisant les bras, puis, avant de lui tourner le dos, lâcha :
— Si j’ai raison, alors, tout est perdu.
Passé une certaine heure, nous fûmes sommés de rejoindre nos paillasses.
« Interdis de veiller jusqu’à tard dans la nuit si vous n’êtes pas habilités à monter la garde. »
Selon Mosley, le Grand Rek réclamait un silence total.
Selon Mosley.
Alors que nous remontions vers nos tentes par petit groupe, Burr, qui marchait devant moi, glissa à Zesso :
— Fais gaffe à pas claironner ce genre de théorie trop fort avec le Grand Rek ou l’capitaine dans les parages, mon bonhomme. Sans parler de cette vieille carne de Mosley. Il pourrait t’accuser de vouloir monter une mutinerie dans nos rangs.
Renfrogné, mains dans les poches, Zesso grogna un son indistinct avant de prendre le premier virage se présentant à lui.
— Il ne pourra pas toujours éviter les conséquences de ses paroles, soupira Burr.
Quelques pas plus loin, Ojinn, Latyf sur ses talons, surgit devant nous, nous barrant le passage. Une lueur de panique dansait dans ses pupilles.
— C’est vrai s’qu’on raconte ? « Il » a dit ça ? Zesso a sous-entendu être du côté Negassien ?
— Ah, ah, nan ! Tu le connais, il a juste un peu abusé, s’esclaffa Burr - un peu trop fort pour être honnête -.
— Il y a quand même des choses qu’on ne peut pas dire, trancha Ojinn en secouant la tête.
— De là à le traiter de Negassien, grogna Kélis qui n’avait rien raté de la conversation.
— On ne va pas faire comme si c’était le seul à avoir cette défiance envers les Genovae, dit-elle d’un ton las. Ça ne l’empêchera pas d’accomplir son devoir.
Si j’avais dû miser sur un défenseur de Zesso, j’aurais jamais parié un kopeck sur l’Aquamar.
Ojinn n’eut pas l’air convaincu, mais ne trouva rien à redire.
— C’est vrai que j’vois mal ce Zesso prêter allégeance à qui que ce soit, admit Burr. C’est le tempérament des gars d’la Guigne ! Il est avec nous par défaut…
— … mais il est avec nous, trancha Kélis.
Ce qui marqua la fin de la conversation.
Les groupes finirent par se disperser au fil des allées.
Kélis ne ratait jamais l’occasion de m’accompagner à ma tente, plus ou moins ouvertement. Parfois, nous marchions ensemble en passant la journée en revue et ces instants se révélaient agréables. L’autre partie du temps, je sentais juste sa présence se glisser dans les ombres. C’était le cas ce soir. De mauvais poil après mon échec auprès du capitaine et l’ambiance tendue de la soirée, je décidai de la semer.
Je me mis à déambuler de plus en plus vite et de manière incohérente parmi les tentes du campement, évitant les cordes à linge au dernier moment.
Soudain, une voix rocailleuse bien connue émergea dans mon esprit :
« Il me plaît bien ce Zesso, il a les idées claires ! »
— Ah ! Tu sors enfin de ton silence. Pourquoi la circonstance ne m’étonne pas ? soupirai-je en pivotant aléatoirement au détour d’une allée.
Avant de réaliser.
Dyf détestait les Genovae. Le premier soir, il s’était même vanté de les avoir chassés durant l’Ère Pourpre.
— Dyf… tu serais pas un Negassien ?
« Respecte-moi ! Ils sont à peine digne d’être nos alliés. »
— … tu es… un Arkoprim ?
« C’est nous qui devrions trôner sur Stalion ! Pas ces humains imbus d’eux-mêmes sous prétexte qu’ils descendent de la Race Mère ! Sans cette foutue météorite, les Genovae n’existeraient même pas. »
Visiblement, j’avais dit le mot magique.
— T’exagères. Je te rappelle à quoi ressemblaient tes compatriotes avant la chute de l’Alfaroc ?
« Réfléchis à la manière dont tu vas conclure ta phrase mon mignon où j’te tranche la tête. »
Je n’allais pas résoudre ce conflit séculaire ce soir. Je pris mon intonation de voix la plus conciliante :
— Je comprends mieux pourquoi t’es dégouté d’être affilié à moi.
« Tu l’as dit. »
— N’empêche, tu voudrais pas faire un effort aux entraînements ? T’as ni bras ni jambes, mais tu pèses ton poids et j’arrive jamais à trouver le bon équilibre. Je sais qu’on peut s’accorder mieux que ça.
« T’as qu’à pas être un gros naze. »
Et bien, on avance.
— Si ça peut te rassurer, je n’ai rien contre les Arkorprim. J’en ai jamais rencontré à vrai dire.
« Alors, qu’est-ce que tu fous avec l’armée qui veut les anéantir ? »
— J’ai pas eu le choix, combien de fois je dois le répéter ? Et puis, cette fois, c’est eux qui ont commencé !
« Moé. »
Même si personne n’était supposé pouvoir nous entendre, je jetai un coup d’œil aux alentours. Au cas où.
« Donc, t’es plutôt du côté de ton copain ? »
— Zesso ? À propos des Negassiens ?
« Voui. »
Voilà une question qui méritait réflexion.
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