John Wait La mort dans l'âme C1_Yeux qui brillent

C1_Yeux qui brillent

À la nuit tombée, on voyait s’allumer d’énormes braseros aux carrefours des allées quadrillant le camp. Ses occupants s’y rassemblaient pour la veillée.


L’ambiance de celle suivant l’annonce du Grand Rek s’annonçait agité, entre l’imminence de la bataille, la rivalité bourgeonnante soldats/Champions et, évidemment, l’intendant Mosley.

Personne n’aimait Mosley et ça tombait bien, Mosley détestait l’espèce humaine en général. Seul le régent trouvait grâce à ses yeux. Sans doute, car il s’avérait difficile de contester la supériorité hiérarchique de ce dernier.


Toujours sur nos côtes, l’intendant traquait le moindre écart, distribuait les corrections à la chaîne et rapportait ses moindres contrariétés à ses maitres avec la servilité d’un chien zélé qui quémande sa gratouille sur la tête. Dès que le son de sa jambe de bois raclant la terre nous parvenait, le volume des conversations diminuait, ce qui donnait une drôle d’atmosphère où tout le monde semblait comploté. Conséquence, Mosley devenait encore plus parano.


Une tension particulière régnait autour du brasero où j’étais installé, mon épée calée sous mes fesses, entre Burr et Kélis.

Les rumeurs montaient autour de la forêt de Somor depuis que celle-ci avait été officialisée comme potentiel réservoir à Négassien. Certains soldats prétendaient même y avoir vu des arkosaures, chose probable vu les cris étranges qui s’échappaient la nuit depuis les bois endormis. Quelle taille faisait ces animaux pour que leurs cris nous parviennent aussi distinctement? Ce serait une bonne nouvelle si je ne le découvrais jamais. Ça empêchait certains d'entre nous de dormir, mais pas Zesso, ces créatures étant le seul truc qui parvenait à remporter son affection. Ce dernier venait de s’asseoir de l’autre côté du brasero.


Plus personne ne voulait jouer la sentinelle aux abords de Somor. Heureusement, les Champions étaient plutôt épargnés par les tâches de guet et de patrouille en général. La majeure partie de notre temps était consacré à l’entraînement.

Forcément, les lambdas le prenaient mal et les plaintes fusaient sur la cible la plus évidente : le Grand Rek.


— Le régent ne quitte pas sa tente ! À croire qu’il a peur de nous !

— Il a surtout peur de tomber sur un Negassien, ouais ! Qu’est-ce qu’il pourrait faire contre eux ? Il a même pas d’alter !

— Bah, toi non plus.

— Ouais, mais moi, je joue pas au roi !


Zesso ne résistait jamais à glisser quelques pics envers nos dirigeants, les Genovae, ou le royaume tout entier.

Il dut sentir crépiter cette ambiance abrasive, l’occasion parfaite pour jeter un peu d’huile sur le feu. Kélis et Burr le dévisagèrent d’un air suspicieux, mais le laissèrent faire son numéro. Zesso lui-même semblait s’écouter plus qu’autre chose, quitte à s’emporter un peu trop. Quitte à déraper.

Au début tout allait bien. Les lambdas approuvaient ses saillies avec un entrain toujours plus enjoué, accueillant ses envolées Zessoesque avec satisfaction, trop content d’entendre un Champion taper sur leur supérieur. Galvanisé par cette attention, Zesso tourna lentement autour du feu, prenant son assemblée à partie, poussant le bouchon un peu plus loin à chaque tirade.


— On va pas s’le cacher, fit-il, un grand sourire barrant son visage. Si nos reines meurent, c’est la merde. C’est la fin des Genovae. La fin de la Race Mère. La fin du royaume. Personne ici ne souhaite ça.

— Ouais !

— C’est vrai !

Même Burr approuva en tapant sur son genou.

— Mais si on prend un peu de hauteur, rien qu’un brin, n’est-ce pas la route qu’emprunte Stalion depuis un moment ? Je veux dire, Rek Wan va sans doute tout donner pour les sauver, mais…

— Le Grand Rek, corrigea Kélis. Ou le régent si vraiment, c’est trop dur à articuler pour toi.

— Ça va Kéké, on dirait Mosley ! railla Zesso - éclat de rire général -! T’es pas obligée de lui cirer les pompes, il nous entends pas d’où il est, au chaud dans sa tente. Tu veux lui prouver quelque chose ou quoi ?


Kélis se renfrogna, vexée par cette remontrance publique.


— Où j’en étais… ? reprit Zesso, deux doigts posés sur son front. Ah, oui ! Voilà où je voulais en venir. Nos reines sont les dernières représentantes d’une lignée qui nous a imposé, toutes ces décennies, son propre système - Selon moi, c’est à ce moment là qu’il a commencé à perdre une partie de son auditoire. - J’dis pas que les Genovae l’ont bien cherché, que si leur lignée en est là aujourd’hui, c’est la faute de leur égoïsme…

Zesso anticipa les

réactions de l’assemblée en levant les bras pour apaiser les premiers murmures réprobateurs. Il savoura son effet, ménagea un suspens bien senti et, en claquant du poing, ordonna :

— Réfléchissez.


Tout le monde fronça des sourcils.


— Si les Negassiens n’avaient pas retourné leur veste envers Stalion durant l’Ère Pourpre pour partir à Alastar fricoter avec les Arkoprim, - il marqua un autre temps, laissant l’assemblée assimiler son cheminement -, peut-être, je dis bien peut-être, que si les choses s’étaient passées autrement, nous nous battrions aujourd’hui… à leur côté !


Seul le craquement du bois enflammé accueillit sa déclaration. Il venait de pétrifier son public.

Si les Staliens insensibles à l’alter ne toléraient pas une chose, c’était d’être comparé à ces traitres de Negassiens, de quelque manière que ce soit.

Burr ne tapait plus sur sa cuisse. Le guerrier qui supportait mal le malaise voulut détendre l’atmosphère en livrant un rire sonore.


— Ah, ah, Zesso ! Toujours dans la provoc’. Si les choses s’étaient passées autrement, nous ne serions simplement pas là.

— Ouais ! Kachtane à raison ! brailla un soldat édenté.


Zesso commença à comprendre son erreur.

Latyf avait sagement écouté le discours dans son coin. Elle attendit que Zesso retourne s’asseoir pour prendre la parole. Elle se leva à son tour et toisa ses auditeurs avec la confiance de celle qui en sait plus que les autres. Tout le monde se tût alors, car, tout le monde savait que quand Latyf parlait, ça croustillait. Même si la plupart du temps, elle se contentait de colporter des potins ou des déductions fallacieuses, on ne disait jamais non à un peu de piment. Dans un silence avide, elle annonça :


— Moi je sais pourquoi les Arkosaures ont demandé aux Negassiens de capturer nos Reines.


Une branche craqua sous les flammes du brasier et une gerbe d’étincelles tourbillonna. Latyf n’aurait pas pu rêver meilleure ambiance pour délivrer sa théorie.


— Va z’y, raconte Latyf ! Nous fais pas languir !

Elle baissa la voix, forçant l’assemblée à tendre l’oreille :


— Je pense qu’ils ont trouvé la manière de tuer un Genova.

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