John Wait La mort dans l'âme C2_La garnison de Stalion

C2_La garnison de Stalion

Les jours suivants, j’eus envie de fuir à plusieurs reprises pour être honnête.

Retourner à Bourg Ballon, ses collines rassurantes, retrouver mes amis, ma famille, ma routine. Quitter la boue, la pluie, la paranoïa et les dilemmes existentielles.

Je me surpris à observer les allées et venues du camp, relever dans un coin de ma tête les failles de la palissade où je pourrais me faufiler. À mon grand dam, je fus trop lâche pour agir.

Je n’avais aucun plan. Admettons, je parvenais à tromper la vigilance de mes collègues et à quitter le camp. Alors quoi ? Je me tapais l’intégralité du chemin retour de mémoire ? À l’allée, j’avais suivi le cortège sans réfléchir. Sans compter qu’au bout d’un moment, chaque montagne, chaque forêt, chaque caillou devient le même.

Au mieux, je me donnais une demi-journée pour me paumer, deux pour me faire repérer par les escouades volantes des Arkoprim (celles que redoutait Burr lui-même). Selon sa description, les ailes de ces reptiles étaient si grandes que leurs ombres recouvraient la montagne. OK, c’était peut-être exagéré. De là à vouloir découvrir la vérité…

Au mieux, j’avais cinquante pour cent de chance de mourir de faim façon gros naze, cinquante pour cent de chance de finir percé par une lance Negassienne.



Il se passa une chose étrange. Inattendue. À force d’observer tout ce petit monde, je me pris à mon propre jeu.

Outre les panoramas inédits, je découvrais de nouvelles choses comme jamais auparavant dans ma vie. Une personne originaire d’une région dont j’avais, au mieux, entendu parler, au pire, qui m’était totalement étrangère, avec leurs points de vue, leur particularité, leurs traditions…

La vraie vie n’avait rien à voir avec les leçons du professeur Joan. Elle comportait trop de détail, trop de nuance, trop d’imprévus pour être résumée dans un livre.

Ici, j’étais spectateur. Rien d’autre. Juste un touriste perdu au milieu d’hommes et de femmes entièrement dévoués a leur objectif. Laver l’affront de notre royaume. Un royaume dont j’ignorais presque tout.

Je m’habituai à la vie militaire de l’armée de Stalion, réglée comme du papier à musique, le va-et-vient des troupes, la fascination exercée par le Grand Rek. La stimulation était permanente et je me perdais aisément dans la contemplation de cet univers qui se déployait chaque minute sous mes yeux.

Gosny aurait adoré assister à tout ça. J’essayais d’emmagasiner le plus de choses pour lui raconter à mon retour. Au cas où je me tirais de ce cauchemar.


Les paysages, les nouvelles cultures, tout ça, super, mais, n’exagérons rien. Le gros de nos journées au camp consistait principalement à attendre, et/ou, à s’ennuyer - les entrainements matinaux étaient les seuls moments, hors des repas et des corvées, où nous étions actifs -. Ils débutaient aux aurores et s’étiraient en réalité jusqu’au début de l’après-midi. Les Champions s’entrainaient entre eux, séparément des soldats « lambdas » - un surnom donné par les Champions -. Les deux bataillons se mélangeaient rarement.


Le but des entrainements consistait à affiner nos bases et tester nos dispositions aux combats. Je ne m’en tirais pas si mal dans les duels ou les mêlées. J’éprouvais plus de difficulté lors de la seconde étape de l’entrainement.

Elle consistait à s’harmoniser entre Champions en cherchant des manières de combiner les capacités de chacun. Déjà, pour manier mon épée avec agilité, j’aurais eu besoin d’une nouvelle paire de bras. « L’équilibre parfait » entre la lame et mon corps qui s’était opéré à l’instant où s’était scellé le lien entre Dyf et moi ou lors de l’assaut contre Lizee paraissait bien loin.

Secundo, les autres Champions ne se battaient pas pour être mon partenaire. Merci Zesso, la rumeur sur ma lâcheté présumée avait fait le tour de la garnison.

Heureusement, Kélis existait.


Elle ne rechignait jamais à se mettre en duo avec moi pour affronter les avatars que produisait le capitaine Ichon en guise d’adversaires. Ceux-ci ne possédaient ni visage ni consistance ; il s’agissait de simples silhouettes d’alter dorées censées représenter nos assaillants. Même s’ils agissaient à la manière de véritables combattants, leurs coups ne présentaient pas de réels dangers. Ils se contentaient de nous traverser. Ensuite, à nous de jouer le jeu en s’allongeant au sol pour signaler notre défaite.


Malheureusement, je ne voyais pas de quelle manière accorder les talents d’archère de Kélis et mes talents (?) de bretteur au diapason. Postée dans mon dos, elle arrosait les avatars qui fondaient dans ma direction. Quant à moi, les pieds vissés au sol, j’essayais de les atteindre en portant des coups d’estoc laborieux. La moitié les évitait sans peine. Jamais je n’avais eu à manier une arme aussi lourde.

Kélis prit cette maladresse pour un manque de volonté.


— Mets-y du tien, Nak ! Pense à nos reines, ça te motivera !


Genre, c’était ça le problème.


Zesso ne manqua pas l’occasion :


— T’es sûre d’avoir misé sur le bon kromodon en choisissant ce gus ? » souffla-t-il à Kélis.


Remarque à laquelle elle répliqua d’un ton cinglant :


— Ton avis sur mes choix, je me porte mieux sans !


Ce qui eut le mérite de le calmer.


Zesso n’était pas le seul à nous juger du coin de l’œil. Le capitaine Ichon qui supervisait nos entrainements me surveillait de près. Plus les jours passaient, plus les heures d’entrainement défilaient, moins il cachait ses doutes à mon égard – pour ne pas dire sa déception.


Un matin pourtant, je me réveillai le cœur gonflé d’espoir. Ma nuit de sommeil venait de m’inspirer une idée brillante -j'en étais persuadé-.


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