John Wait La mort dans l'âme C3_Marche au Val de mort

C3_Marche au Val de mort

On me prenait pour qui ?

Voyant le nuage de pensées déprimantes se profiler, je préférai demander au gros guerrier :


— Et vous alors, vous ne m’évitez pas ?

— Boh, non. Le prends pas mal, je compte pas sur toi pour me sauver la mise.


Il partit dans un rire gras qui fit tressauter les plates de son armure. Burr était le seul à porter sa grosse armure cuirassé à la place des combinaisons.


— C’est pas votre première guerre…

— Ah ça. Tu peux l’dire. J’ai tout fait, je crois. Tuer des hommes, des alteran, des bronks, des arkoprim, des negassiens… À vrai dire, j’ai tué toute sorte de créatures. C’est mon truc. J’y prends pas un plaisir particulier, mais c’est ce que je sais faire. Et je sais pourquoi je le fais. Défendre les miens - il m’observa du coin de l’œil -. J’ai peut-être la chance de m’poser moins de questions que toi. Moi, dès l’annonce de Stalion sur ce fameux recrutement, j’ai pris mon armure et j’ai marché jusqu’à Stali pour être enrôlé d’office chez les Champions. Je savais que c’était là que je serais utile. Heureusement ma réputation me précède, et le capitaine Ichon que je connais bien a soutenu ma candidature.

— Vous devez me trouver ridicule, répondis-je maussade.

— Allons, pourquoi me vouvoyer, bonhomme ? Quelqu’un qui croit en ses convictions ne sera jamais totalement ridicule à mes yeux. Malheureusement, même si tes paroles sonnent bien, elles seront vaines une fois à Alastar.


Je déglutis avec peine en m’imaginant plongé dans la fureur d’un assaut.


— Y’a juste un truc dans ton histoire que j’arrive pas à cerner, dit-il. T’as bien découpé cette géante à Bourg Ballon !

— C’est pas moi, c’est mon épée qui a pris l’initiative.

« Merci de rectifier la vérité. »

— Ton épée ? Alors c’est vrai, tu possèdes une lame incarnée. Oh, oh oh ! Que mes jumelles soient bénies, ça, c’est pas banal ! Même pour moi qu’ai vu plus d’une bizarrerie, j’ai jamais croisé masse porteurs de ce genre de machins. Par contre, j’ai entendu pas mal d’histoires à leurs propos. Si tu as tranché cette créature aussi aisément sans y mettre du tien, imagine la puissance que tu pourrais déployer si l’initiative venait de ta propre volonté !

« C’est s’que j’me tue à lui dire ! » beugla Dyf comme s’il participait à la conversation avec nous.


Je préférais ne rien imaginer du tout.

De toute manière, j’étais trop essoufflé désormais pour continuer la conversation - on se trouve les excuses qu’on peut- .


Nous finîmes par franchir cette maudite passe exténués de fatigue, le manque d’oxygène dû aux hauteurs n’aidant en rien. Au fil du temps, mes jambes s’habituaient doucement à crapahuter à longueur de journée, mais cette partie de grimpette avait été un vrai coup dur pour toute la garnison. Pourtant, le Grand Rek ne concéda aucune pause malgré de timides protestations dans les rangs.

Burr dut sentir mon agacement :


— Je crois qu’on arrive à la frontière, enfin, au morceau gagné par Stalion. On y fera certainement une halte.

— Je dis pas non.

— J’ai entendu dire que ça s’était bataillé dur pour gagner cette zone. Depuis, ils ont renommé cet endroit le Val de mort.

— Yey.



À partir de ce moment-là, Burr sembla préoccupé. Il lui arrivait même de s’arrêter, de plisser les yeux pour sonder les crêtes environnantes.

Une conversation qu’il avait tenue dans la matinée avec Zesso me revint en tête. Ce dernier s’étonnait de ne pas croiser d’arkosaures depuis notre arrivée à Icefor. J’éprouvais la même déception au fond de moi. J’avais beau fouiller du regard chaque parcelle de paysage traversée, je n’aperçus jamais, ne serait-ce que l’ombre d’une créature.

Pourtant, Burr avait assuré à Zesso :

— S’il y a une chance d’en voir à Stalion, c’est bien dans l’coin ! Ces montagnes sont des lieux de reproduction pour certaines de leurs bestioles volantes.


Quelque chose m’incitait à penser que ce n’était pas les arkosaures qui tracassaient Burr. En tout cas, pas les sauvages.

Son inquiétude finit par être contagieuse. J’avais moi-même l’impression de surprendre de vagues silhouettes se mouvant autour des cols environnants. Dès lors, j’eu la désagréable sensation de me sentir observer, d’entendre les pierres chuchoter sur mon passage, que la montagne elle-même tramait un plan sournois à notre égard.


— Les Arkoprim, ils sont si terribles que ce qu’on raconte ?


Je demandais clairement à être rassuré.


— Ah, tout dépend du point de vue, répondit Burr en penchant la tête. Sans doute qu’eux-mêmes se décriraient autrement. Reste que lorsqu’ils sont décidés à te faire la peau, ils montrent une détermination admirable.

— Et nous on va chez eux.

— Et oui, dit-il en souriant.


Burr pointa le menton vers le ciel afin d’humer l’atmosphère. Il souffla d’une voix caverneuse :


— Quelque chose me dit qu’ils sont déjà au courant de notre arrivée.


Ma gorge se noua et j’eus l’étrange impression de sentir mon épée frétiller dans mon dos.



Depuis le départ de Bourg Ballon, nous n’avions jamais cessé de prendre de la hauteur - de manière indicible ou de façon radicale comme à la Passe des Gallis - . Quelques heures après notre terrible ascension, nous atteignons enfin les premiers sommets.

Après avoir été encerclés des jours entiers par ces titans de pierres, nous foulions leurs têtes chauves.

Le ciel, qui, toute ma vie, s’était contenté d’être un simple plafond, se déployait désormais autour de nous en trois dimensions. Je pouvais saisir un nuage en tendant la main.

À cet instant, un semblant d’entrain regonfla le régiment et certains entonnèrent même une chanson paillarde.


Kélis qui avait pris de l’avance dans la Passe, était revenue vers moi, l’air de rien. J’ignorais pourquoi elle s’accrochait autant à moi - certes, j’étais fascinant, mais à ce point ? - . Par la force des choses, je m’étais - relativement - accoutumé à sa présence.


Le sommet franchit, nous avons amorcé la descente avant de retrouvés les chemins serpentant à travers la pierre et les broussailles noires.

Peu de temps après, le régent nous fit signe de s’arrêter. En me hissant sur les pieds afin de voir par delà les têtes de ceux qui me devançaient, j’aperçus une quinzaine de soldats aux couleurs de Stalion dans leurs tuniques rouges campant aux abords du chemin. Un poste de contrôle de fortune avait été monté quelques mètres en amont à l’aide de lambris de bois et de morceaux de cordes.

Devant le régent, les soldats frontaliers se conduisirent avec toute la déférence attendue en présence d’un supérieur - et là, on pouvait difficilement faire plus supérieur -, mais les détails ne trompaient pas. Ces hommes étaient à bout.


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