John Wait La mort dans l'âme C2_Marche au Val de mort

C2_Marche au Val de mort

Si le menu laissait à désirer, une franche ambiance de camaraderie régnait à l’heure des repas.

La soirée s’éternisant, chacun se retirait pour rejoindre son couchage.

De mon côté, une fois sous ma couverture, j’essayais de faire réagir Dyf. Rien, pas un mot, même pas une petite insulte pour la forme. Esquiver les sautes d’humeur de ce bout de métal n’était pas désagréable, mais je voulais m’assurer qu’il n’était pas cassé pour une raison ou une autre. Peut-être, le lien nous unissant ces quelques jours s’avérait déjà éteint. J’en doutais. Parfois, un picotement, similaire au réveil d’un membre engourdi, traversait mon poignet gauche, là où je portais la marque bleue. Ça arrivait la plupart du temps lors des discussions avec les Champions.


— Arrête de bouder, lui murmurai-je. Tu ne peux t’en prendre qu’à toi si tu t’retrouves ici, avec des Staliens. Je suis à peu près certain de ne pas t’avoir glissé dans mon sac chez la Roussine.


À peu près.

En y songeant, la grosse voix bourrue de Dyf surgit dans mes pensées tel un génie jaillissant d’une lampe magique.


« Rêve pas. Si j’avais eu le choix de couper les ponts avec toi, je l’aurais fait minute une, tu penses bien. »

— Tiens, un revenant.

« Maintenant que tu as établi la connexion avec moi, grosse andouille, je suis obligé de rester lié à toi… jusqu’à ta mort. »

— L’enfer !

« Tu l’as dit. »

— Au moins, j’ai réussi à te faire réagir, chuchotai-je victorieux.

« Tais-toi, je dors. » bougonna-t-il - il s’agissait de son mode de communication le plus naturel -.

— Bonne nuit alors.

« C’est ça. »

Sa voix retourna se loger dans un coin de ma tête. Et ma bouche de sentir le fer oxydé.



Le lendemain fut la pire journée de notre périple.

Il était à peine onze heures du matin et le soleil dardait déjà ses rayons tranchants sur nos visages luisants. Depuis trop longtemps, nous traversions la passe des Gallis, une étroite gorge rocailleuse aux parois vertigineuses. Ses crêtes ne laissaient apparaître qu’un trait de ciel aveuglant, semblable à un sentier céleste.


Nous évoluions la plupart du temps sur une pente raide constituée de grosses pierres blanches à l’équilibre précaire. Elles dégringolaient à peine nos bottes se posaient dessus. On aurait dit qu’un gigantesque éboulement avait été provoqué pour freiner notre progression. Le défi consistait à ne pas tomber, à ne pas se bloquer la jambe entre deux cailloux et à éviter les chutes de pierres provoquées par ceux de devant. Bref, un calvaire.


Tout le monde galérait, hormis les kromodons de nos supérieurs qui semblaient détenir un flair magique pour jauger le chemin le plus stable à emprunter. Et hormis le Champion Mystérieux - le nom dont s’était retrouvé affublé le dernier champion à nous avoir rejoint -. Ce dernier, dissimulé sous son voile, avait eu la faveur de chevaucher un kromodon au côté du capitaine Ichon ! Résultat, la grogne s’était amplifiée dans nos rangs. Ce Champion ne partageait jamais le temps de pause avec nous. Il n’apparaissait pas non plus aux veillées. Il restait au côté du capitaine et même du Grand Rek. Rapidement, on supposa qu’il dormait sous le pavillon de celui-ci. Personne n’avait idée de la raison d’autant de privilèges, pas même Latyf, toujours première sur les ragots.


Burr non plus n’éprouvait guère de difficultés dans cette ascension. Il marchait à un pas régulier, rythmé par l’entrechoc des plates de son armure en maudissant dans sa barbe chaque caillou qu’il croisait.

Les pierres s’enfonçaient sans résister sous le poids de ses grosses bottes cloutées. Je me retrouvai vite à marcher dans ses pas, sautant sur chacune des pierres calées par le passage du guerrier. L’ascension du versant devint un brin moins pénible. Bientôt, plusieurs de mes collègues m’imitèrent et il se forma une grande file indienne serpentant derrière Burr, son meneur inconscient.


Ojinn encourageait les troupes. On n’en finissait plus de jurer, de grimper dans la rocaille montagneuse et d’avaler les gouttes de sueur qui s’échouaient sur nos lèvres. Pour ajouter à mon plaisir, Nisa, la fille qui ronflait au pied du feu de camp le premier soir, marchait à mes côtés. Elle ne m’inspirait pas grand-chose avec son air vague et sa mine léthargique. Je ne parvenais jamais à saisir à quoi elle pensait. Sa vision paraissait sans cesse embuée, floue.


Un embryon de conversation se forma malgré tout à un moment :


— Tu savais qu’avant on était des lézards ? me demanda-t-elle de sa voix pâteuse.

— Tu veux parler des arkosaures ? Les ancêtres des Arkoprim ? Je crois pas que..

— Mmmh… J’aurais bien voulu être un lézard.

— Ah ?

— Un qui vole. Où qui mange des œufs.

— Ah.

— Ou un mélange des deux.


Ses yeux s’étrécirent comme pour mieux se projeter dans sa condition de lézard volant mangeur d’œufs. Avant qu’elle ne revienne parmi nous, j’accélérai mine de rien ma démarche. Plongée dans ses fantasmes, elle finit par se faire distancer par une bonne partie de la troupe. Quant à moi, je parvins à la hauteur de Burr.


— Alors, Nak, ça galope ? s’enquit-il lorsqu’il me vit.

— C’est un grand mot, soufflai-je.


J’avais la désagréable impression que les veines de mon arrière-pied n’attendaient qu’un faux pas pour éclater.


— Y’en a une qui s’en sort plutôt bien, dit-il en pointant Kélis d’un geste du menton.


Elle bondissait devant nous, de pierre en pierre, tel un petit animal des montagnes.


Si elle n’était jamais très loin de moi, à l’inverse, Zesso ne m’avait adressé la parole depuis un moment. Pas une mauvaise nouvelle en soi vue l’estime qu’il me portait.


— Dites, Burr, vous savez où est Zesso ?

— Je crois qu’il t’évite.

— Oh.

— Faut le comprendre Nak. Dans quelques heures, on arrivera en territoire ennemi. Ça ne sera plus la même rigolade. On a besoin de pouvoir compter sur ceux qui nous entourent.

— Je vois pas le rapport, grimaçai-je.

— Je t’explique. À la guerre, on tue pour sauver sa vie, mais aussi, pour sauver celles des autres. C’est pour ça qu’il est conseillé d’évoluer en binôme une fois dans l’action. Ainsi, chacun surveille les arrières de son prochain.

— OK. Et ?

— Vu tes paroles du premier soir au feu de camp, tu sembles peu enclin à te soumettre à la loi de la guerre. Pour Zesso, ça doit pas très encourageant de se projeter à tes côtés sur le champ de bataille.

— Il mélange tout, marmonnai-je, vexé.


Mais la sentence de Burr m’avait refroidie. L’impression désagréable de me sentir incompris. Naïf. Lâche. Privilégié. Le portrait qu’on me renvoyait en pleine figure ne se révélait pas très flatteur.


J’avançais, la barre au ventre.

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