Fyctia
C1_Marche au Val de mort
PART II ALASTAR
À la frontière entre deux états. L’éveil et le sommeil.
Je pense à Courgette. À Mirek. À Gosny avec qui je discutais sur le chemin de l’école. Même au professeur Joan et ses lunettes trop grandes. Avec délectation, je songe à la brioche encore fumante, à peine sortie du four, que mon père a posé sur la table de la cuisine pour mon Premier Repas. Au confort de mon hamac. Au grincement des cordages qui se tendent sous le mouvement du ballon…
— TU VAS FINIR PAR T’LEVER BOUGRE DE CON !
Frôlant l’arrêt cardiaque, j’ouvris grand mes yeux en moins de deux. Je me retrouvai nez à nez avec Mosley l’intendant, sa chevelure filasse me chatouillant le nez. Autrement dit, je passais du rêve au cauchemar éveillé.
il vociféra :
— T’as raté la ration du matin, idiot, ça t’apprendra à roupiller comme un bien heureux !
Je me concentrai sur la veine de son front à deux doigts de péter.
— Allez, mets tes bottes, r’joint tes potes, on lève le camp !
Il conclut son discours par un crachat et partit agresser d’autres dormeurs récalcitrants.
Je mis un certain temps à recoller les pièces du puzzle et comprendre où je me trouvais.
Mon lit de fortune, la forêt, ces personnes en uniformes, le blason de Stalion sur une oriflamme… très vite, mon cerveau remit chaque élément en place. Pas de Gosny, pas de Courgette, pas de Bourg Ballon. Pas de brioche.
Il fallait se rendre à l’évidence et entamer le deuil de ma routine.
Surprise. La nuit m’avait apporté plein de voisins. Des dizaines de couchages, dormeurs inclus, s’étaient étalés autour de moi. Les soldats dormaient proches les uns des autres pour maintenir un semblant de chaleur - pour se rassurer aussi, j’imagine -.
Tout le monde émergeait de son sommeil avec la même difficulté.
Faible raison de se réjouir : dans la lumière dorée du matin, la forêt semblait moins inquiétante. L’atmosphère humide et vivifiante s’avérait même agréable, le bruit des oiseaux n’avait plus rien d’effrayant.
Jamais une journée ne m’avait paru aussi neuve.
La troupe se mit en branle bon gré mal gré sous les ordres du capitaine Ichon qui patrouillait parmi nous. S’il nécessita un peu de temps pour retrouver l’entrain de la veille, la marche reprit. Imperturbable.
À la lisière de la forêt, nous avions repris notre rythme de croisière. L’arrière de mes jambes ne tarda pas à me lancer.
Que du bon en prévision !
Nous avons passé cinq jours à marcher sous l’œil des montagnes, traversant combes, vallées, bois, ravins, rivières. Des endroits que je ne n’aurais jamais imaginé en rêve.
Le cortège progressait bien et son entrain aurait pu s’avérer enthousiasmant si notre destination n’était pas une mort certaine.
Le sixième matin, le Grand Rek et sa garde avaient rejoint la troupe, sans trompette ni discours.
— Ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient, sourit Burr.
Et personne ne posa plus de questions. Enfin, en apparence. Dans les rangs, se chuchotaient toute sorte de rumeurs. La plus crédible étant celle de Latyf, une femme basanée à qui il manquait plusieurs dents.
— Ils sont arrivés avec l’aube, affirma-t-elle de sa voix éraillée. Moi, j’étais de guet alors je les ai vus ! Ils étaient pas seuls. Ils se trimballaient avec un enfant ou en tout cas, quelque chose de pas grand, je peux pas trop dire, un voile blanc cachait sa tête. Au début, j’ai même sorti mon arc ! De loin, je pensais qu’un esprit les suivait.
On la croyait, on la croyait pas. À chacun de trancher. C’était de toute façon, la marche à suivre pour chaque anecdote qui circulaient lors des veillés.
Pour preuve, parmi les Champions, quasi personne n’avait mis les pieds à Alastar, pourtant, tout le monde avait des histoires sur le sujet. De préférence bien flippantes. Où les Arkoprim étaient décrits comme hideux, repoussants, voire tortionnaires.
— Vous parlez des Arkos ? Mais connaissez-vous les Bronks ? Paraît qu’ils sont pire !
— Encore plus grand donc encore plus laid, et surtout trop limités pour connaître la pitié.
— Les Bronks n’ont aucune clémence ! Ce sont de vraies machines à tuer !
— Ouais. Paraît que les Arkoprim les encouragent à exploiter cette partie de leurs caractères, si vous voyez s’que j’veux dire !
— À mon avis, z’ont pas b’soin d’beaucoup forcer. Ces lézards sont encore plus arriérés que leurs ancêtres !
— Ah, ça, si les Arkoprim étaient restés au stade d’arkosaures, on en serait pas là aujourd’hui.
— Tu l’as dit ! Y’a du rab’ ?
Je compris vite que la grande majorité des Champions n’avaient aucune idée de ce dont ils parlaient. Ils se contentaient de reprendre des rumeurs, des légendes, plus ou moins similaires selon les régions de Stalion. Des histoires qu’on se racontait depuis l’enfance, pour se faire dresser les poils entre amis, essayer d’impressionner les autres ou, simplement, tromper l’ennui. Ma mère me rabâchait de ne pas prêter attention à ce genre de racontars, mais que voulez-vous ? Qui n’aime pas une bonne histoire ?
Ici, c’était un brin différent. Je le réalisais au fil des soirées. Mes camarades le faisaient pour se donner du courage, aussi ambivalent que ça puisse paraître.
Le seul à savoir de quoi il parlait, c’était le colosse en armure de plates, Burr Kaszstein.
Il donnait l’impression d’avoir pris part à toutes les batailles menée par Stalion depuis sa venue au monde et personne ne le remettait en question. Les cicatrices, la lueur folle qui dansait dans ses yeux lorsqu’ils se lançaient dans ses récits parlait pour lui. Certes, la taille de ses bras, environ trois fois les miens pour rappel, y étaient peut-être aussi pour quelque chose. Tout le monde le considérait avec déférence, bien qu’il n’en abusa jamais. Chaque veillée, nous écoutions sagement ses nombreux récits tous plus sanglants et héroïques les uns que les autres. Un seul détail lui assurait d’être la cible de plaisanterie : son nom de famille jugé imprononçable. Kaszstein.
La vanne qui revenait le plus souvent consistait à lui dire :
— Te fatigues pas Burr, tu prends des risques pour rien. À quoi bon un tel palmarès si on porte un nom pareil ? Aucun barde ne parviendra à faire rimer ta légende ! Tu ferais mieux de rentrer chez toi, à l’abri, dans ton fauteuil.
Perso, j’avais l’impression qu’au nom de la blague, personne ne prenait la peine de montrer le moindre effort pour bien le prononcer.
Hormis ce détail, ses faits d’armes laissaient rêveurs et inspiraient le respect. Même Mosley, ce vieux cul, n’osait pas trop porter la voix sur lui - surement, car il suffirait à Burr d’une seule main pour soulever l’intendant par le crâne -.
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