John Wait La mort dans l'âme C3_Feux de camp

C3_Feux de camp

Sans prévenir, Zesso balança son drôle de bâton dans les flammes qui s’écrasa dans une gerbe d’étincelles et parti sans demander son reste.


Burr, qui jusque là se contentait de contempler le vide, se leva à son tour, tenant son assiette contre son ventre.


— Bon, je crois que pour la bonne ambiance, c’est râpé, dit-il d’un sourire gêné. Je vais voir à un autre feu si on ri… enfin, si ça se passe mieux.


Je n’allais pas le retenir. Rester seul, c’était peut-être pas plus mal au final. Sauf que je ne l’étais pas. Kélis restait toujours rivée de l’autre côté du feu à me fixer tel un fauve.Je fis mine de ne rien remarquer et me releva, récupérant bol et épée. Une fois debout, mes pieds s’empressèrent de me rappeler combien ils étaient douloureux.

Nos regards finirent par se croiser, inévitablement.


— Quoi ? Je comprends rien, c’est ça ? balançai-je d’un ton revanchard que je regrettai aussitôt.


Elle laissa flotter ma question dans l’air, afin que je me sente bien nul.


— Non, fit-elle au bout d’un moment. Je comprends ton point de vue. Même s’il est naïf.

— Ah. Parce que toi t’es contente d’être là ?


Elle prit une seconde de réflexion puis délivra son discours comme si elle s’était retenue toute la soirée – ce qui était sans doute le cas.


— J’en suis même honorée. Zesso dirait surement qu’il ne faut pas attendre autre chose d’une alteran d’Aquamaru, ce qui, au passage, est une vision très orientée. Après, je ne peux pas lui en vouloir. Certains humains ne sont guère à l’aise avec les alteran et Zesso fait visiblement partie de ce camp. Ils craignent plus nos exploits qu’ils ne les admirent.

— C’est que pour les simples humains, l’alter est une notion assez vague.

— Alors qu’à Aquamaru, c’est un art, une science, une religion !


Ses yeux s’illuminèrent. Pour la première fois, je la sentis habitée par quelque chose.


— Siara, Ariana, pour nous, c’est plus que des reines. Sans elles, nous ne pourrions jamais maitriser l’alter, ni le ressentir. Si on perd nos reines, le rayon Genova disparaît… on perdrait le lien… ce serait dramatique.


Sa voix se cassa quand ces mots franchirent ses lèvres et elle serra son poing sur sa poitrine :


— Je ne veux même pas imaginer la médiocrité que revêtiraient nos existences sans alter.

— Oh. On s’y fait, soupirai-je.


Cette fille avait le don de me rabaisser sans même le vouloir.


— Ne t’inquiète pas, ajoutai-je. Selon notre professeur, il est quasiment impossible de tuer un Genova si on en est pas un nous-même… Ça serait un comble que des Negassiens y parviennent.

— …

— Je disais ça pour être sympa.

— Je sais.


Mon pouvoir de soutien moral était visiblement aussi développé que ma sensibilité à l’alter.

Derrière nous, les ronflements de Misa redoublèrent. Quelle chance elle avait de pouvoir dormir ainsi dans ces conditions.


— Grâce au choix du Grand Rek, je porte les couleurs d’Aquamaru dans la mission la plus importante qui nous ai jamais été confiée. Tu l’as vécu comme un piège ? Pour moi, c’est la chance d’une vie. Je lui en serais toujours redevable. Et je ne suis pas la seule ici.


Ça avait le mérite d’être clair. C’est sûr qu’à côté, je faisais un peu pitié avec mon histoire de parents qui font des brioches.


— D’ailleurs tu sais quel est l’alter du Grand Rek ? demandai-je.

— Mmmh, – elle fronça les sourcils –, je ne suis pas sûr qu’il en ait un.

— Quoi, tu veux dire que le premier interlocuteur de la Lignée Genova n’est pas sensible à l’alter ?

— En tout cas, pas que je sache.


Incroyable. Cette nouvelle avait un côté un peu réconfortant bizarrement.


— Reste que pour moi, devoir faire la guerre pour sauver nos reines n’est pas une question de valeur, reprit Kélis, décidément habitée par le sujet. C’est un devoir. Un devoir d’autant plus inévitable que les Negassiens et les Arkoprim ne nous laissent plus vraiment le choix.


Son intensité me fit sourire.


— Tu me fais penser à quelqu’un.

— Ça n’a pas l’air d’un compliment, grommela-t-elle.

— Ah, si, c’est mon meilleur ami !

— Oh.


Elle baissa les yeux et se mit à farfouiller au fond de la sacoche qui pendait contre ses hanches. Elle en sortit une longue banderole de tissu à l’aspect rudimentaire et me la tendit.

Je pris le tissu, un peu désarçonné, et m’employa d’un geste appliqué, à m’essuyer le pourtour de la bouche avec.


— Imbécile ! dit-elle en me l’arrachant des mains. C’est des bandages à enrouler autour des pieds ! Tu devrais voir ta tête ! Tu fais que de grimacer depuis que t’es debout !


Bim ! Celle-là, elle est encore pour ta face, Nak.

Elle me rendit le tissu avec méfiance.


— T’en fais pas, dit-elle, au début c’est pénible, mais tes bottes vont se faire et ton corps va s’habituer. Tu dors où ?


Waw. Elle maitrisait également l’art de la transition.

Je lui désignai l’arbre piteux au pied duquel j’avais étendu mon couchage. Elle m’accompagna au cas où je me perde sur les vingt mètres qui nous séparaient de l’endroit.

Personne n’osa réveiller Nisa en quittant le feu de camp.


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