John Wait La mort dans l'âme C2_Feux de camp

C2_Feux de camp

Il me considérait enfin et je sentis son regard glisser sur moi, scrutant le moindre détail. Mes yeux ne purent se détourner des siens, intrigué par le jeu des ombres sur son visage qui tremblaient à la lueur des flammes. Il mit fin lui-même à ce drôle d’échange en reprenant son bâton tordu.


— T’es arrivé comment dans c’bourbier ? demanda-t-il mais son intonation donna l’impression que ça ne l’intéressait déjà plus.


Pour ne rien arranger, je répondis à côté.


— Comme vous tous, j’imagine ? Le recrutement du Grand Rek.


— Fais pas l’idiot Bourg Ballon ! Qu’est-ce qui l’a décidé justement notre Grand Rek, à choisir un type de ton pedigree ?


Je préférai ne pas m’attarder sur ce que suggérait « un type de mon pedigree » dans sa bouche et envisagea, une seconde, de lui dire la vérité : que je ne comprenais pas moi-même.


Je sentis Burr s’agiter à mes côtés. Allait-il donner sa version des faits ? Préférant garder le contrôle sur mon histoire, j’entrepris de raconter ce qui m’avait conduit là, dans cette forêt perchée à des kilomètres de chez moi.— J’ai tranché le bras et la jambe d’une femme pour sauver un ami.


Cette phrase sonnait atrocement mal.

Je rajoutai :


— Elle faisait plusieurs mètres.


Genre, ça pouvait justifier quoi que soit.

Zesso ricana et une bouffée de honte gonfla dans ma poitrine. Mes joues se réchauffèrent, la chaleur du feu de camp n’y étant pour rien.


— Sauf qu’en faisant ça, j’ai aussi détruit la maison de mon ami, grommelai-je, la tête rentrée dans mes épaules.


Pourquoi m’étais-je senti obligé de le préciser ? Qu’est-ce qui m’attendait après ça hormis des moqueries ?


Je piochai le carré de viande dans mon bol et l’avala tout rond.

Quand je relevai le visage vers eux, ils avaient l’air étonnamment admiratifs.


— Et bien mon bonhomme, déclara Burr en se frottant les mains, je suis pressé de voir tes talents sur le champ de bataille !


Si Dyf ne boudait pas dans son coin, il m’aurait sans doute rétorqué qu’il avait fait tout le travail et il aurait eu raison. Heureusement, j’étais à peu près sûr d’être le seul à entendre mon épée si ça devait se produire.


— Ouais, bah, quand je serais en train de buter du Negassien, tiens-toi loin d’moi, tu veux bien ? lança Zesso. J’aimerais garder ma paire de fesses intacte.


La plaisanterie amura Burr. Kélis, moins. Je la discernais mal, d’autant que ma vision était déformée par les flammes, mais elle ne manifestait guère de réaction à notre conversation. Elle se contentait de réchauffer ses mains en les tendant vers le feu. Quelque me chose me disait qu’elle n’en perdait pas une miette pour autant.

À l’inverse, ma moue devait être assez explicite, car Burr et Zesso me dévisagèrent, intrigués :


— Bah alors Bourg Ballon, t’as pas l’air fier de ton exploit !

— Pas tant.

— Tiens donc ! C’est quoi l’problème ?

— Rien, mais, je me serais bien passé de participer à cette guerre.


De l’autre côté du feu, Kélis haussa un sourcil.

Je m’empressai d’ajouter – histoire que mes nouveaux compagnons ne me tombent dessus dès le premier soir :


— Bien sûr, qu’il faut sauver nos reines d’Alastar, mais… l’idée de devoir buter du Negassien comme tu dis, me réjouit pas des masses.

— Au début ça chatouille un peu l’âme, murmura Burr. À force, on s’y fait,


C’était censé me rassurer ?


— Doit bien exister un autre moyen.

— De régler ce conflit millénaire ?

— À l’origine, les hommes et les arkoprim vivaient en communion, non ?

— Ça, c’était avant l’arrivée de l’Alfaroc et de l’alter…


Zesso prononça le mot comme s’il parlait d’une maladie contagieuse.


— C’était y’a tellement longtemps, soupira Burr.

— Je trouve juste ça… – je pris un instant pour soupeser le mot que je m’apprêtais à lâcher –, vain.


Vu que personne ne me trancha la tête, je crus bon de continuer, même si une vague de scepticisme se mit à flotter autour du feu de camp.


— Une fois qu’on aura détruit leur forteresse et qu’on aura sauvé nos reines, – si on a d’la chance hein, bin on aura rien réglé du tout. On aura juste fait plus de morts.

— OK, Monsieur Bourg Ballon est contre la violence, railla Zesso, apparemment fier de sa propre conclusion.

— Dit comme ça…

— T’as des principes, c’est ça ? Des convictions !


Le ton soudain plus vif de sa voix couvait quelque chose.


— Euh… oui, enfin, pas plus qu’un autre…

— Et tu refuses de tuer. Tu ne veux pas faire partie de ceux qui propagent la guerre, continua Zesso avec l’air concentré de celui qui essaye d’entendre mon point de vue.

— Ça ne fait que prolonger ce conflit entre nos deux pays, me mis-je à argumenter.


Il ne me laissa pas terminer :


— Alors quoi, c’est à cause de ton enfance ?

— Mon enfance ?

— Un deuil compliqué à gérer ? Ta petite sœur s’est fait assassiner ? Ton peuple s’est fait massacrer ?

— Ma petite… Mais je n’ai pas de petite…


Zesso parlait de plus en plus vite, me laissant à peine l’occasion de répondre. Kélis continuait à feindre la neutralité, et Burr paraissait concentré plus que de raison par la pointe de ses bottes. Nisa ronflait.


— Non ! Il ne m’est rien arrivé de spécial ! Pourquoi ? Il faudrait ? Je vais pas vous mentir, la vie à Bourg Ballon, c’est somme toute assez peinard.


La vision passagère de mon village m’apporta un brin de réconfort, vite balayé par le soupir excessif de Zesso. Il se remit à titiller les braises d’un air sadique.


— C’est joli de jouer le pacifiste… quand on a le choix. Mais crois pas que tous les endroits du monde sont aussi « peinards » que ton village.

— C’est pas s’que j’ai dit…


Il se redressa, planta son bâton dans le sol et son regard dans mes yeux.


— Tu veux mon avis Bourg Ballon ? T’as juste les miquettes à l’idée d’aller au front.

— Rien à voir !


Comme s’il était honteux de flipper à l’idée de se retrouver plongé sur un champ de bataille.

Son petit jeu commençait à me chatouiller les oreilles. Qu’est-ce que je lui avais fait pour qu’il me prenne la tête à ce point ?


— C’est juste contraire à ce qu’on m’a toujours inculqué ! Toutes leurs vies, mon père a nourrit les hommes et ma mère les a soignés. Je les admire pour ça ! Je ne peux pas trahir leurs efforts !

— Conneries ! Une fois sur Alastar, quand un Bronks s’apprêtera à t’écraser la tête après avoir tranché dix de tes compagnons sous tes yeux, tu pourras te coudre un beau slip avec ton admiration !

— Il ya toujours un moyen… grommelai-je.

— Pour l’moment, tu trouves juste le moyen d’nous faire chier, alors salut la compagnie ! Moi, j’vais pioncer et rêver qu’j’enfile ces traîtres de Negassien par brochette !



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