Fyctia
2_Le grand voyage
Des crêtes rocheuses émergeaient ici et là, s'élevant au fur et à mesure que nous avancions.
Après avoir grimpé de longues heures, le terrain devint brusquement plat. Nous avions en réalité atteint un vaste plateau. Devant nous s’étendaient des kilomètres de landes. Les arbrisseaux et les fourrés y abondaient. Fréquemment, nos montures franchissaient le fil de ruisseaux presque asséchés qui serpentaient entre leurs pattes.
La lande était bordée de sommets rocheux aussi majestueux qu’intimidants derrière lesquels défilaient de manière paresseuse d’énormes nuages blancs. Était-ce la chaîne d’Icefor ? Sur les cartes du professeur Joan, ces montagnes n’étaient que des petits triangles dessinés à l’encre noire marquant la frontière entre Stalion et Alastar. Dans la réalité, leur écrasante immensité me stupéfia. Même le kromodon de Burr qui dépassait ses semblables d’une tête paraissait ridicule à l’échelle du reste.
Au loin, un groupe de petites silhouettes longeait la crête d’un relief rocheux. Avait-on fini par rattraper les Champions des autres villes ? En observant plus intensément les silhouettes, je compris mon erreur.
Il s’agissait d’un troupeau. L’excitation me frappa comme une flèche.
Je levai un doigt vers eux et bredouillai :
— Des arkosaures ?
— Des descendants très lointains alors, commenta le blond. Les arkosaures franchissent rarement les frontières de Stalion. Nos alteran les en dissuadent. Ces créatures-là sont des kromodons sauvages.
Je plissai les yeux. C’était bien des kromodons ! Ils ressemblaient au pépère qui me portait en ce moment même, mais en plus petit, en moins charpentés.
— On en croise encore quelques troupeaux sur les hauteurs et dans certaines forêts. Ne te fie pas à leurs tailles. S’ils paraissent moins impressionnants que leurs cousins domestiqués, ils sont plus agiles, et leurs crocs bien plus affutés, crois-moi !
Effectivement, seule la distance donnait cette impression de langueur dans leur déplacement.
— Pour être honnête, conclut le blond, j’espère que nous retrouverons le bataillon de Champions avant qu’ils ne s’intéressent à nous.
Son souhait ne tarda pas à être exaucé.
Quelques kilomètres plus loin, un regroupement d’hommes apparut sur une parcelle moins cahoteuse que le reste de la lande. Ils portaient tous la combinaison noire et le gilet au col jaune des Champions, mais chacun possédait une arme différente. Certaines ne ressemblaient en rien aux armes présentées par Don Milouzi aux entraînements. Il y avait même des Champions qui se trimballaient sans armes, sans doute des alteran comme Kélis.
Après une brève estimation, je dénombrai une trentaine de personnes. Sans trop savoir pourquoi, je m’étais attendu à en trouver bien plus.
— La majeure partie des Champions se trouve déjà sur place, à Alastar, précisa Kélis devant mon étonnement.
Elle avait maintenu son kromodon derrière le mien tout au long du trajet.
— Nous sommes le dernier bataillon à rejoindre Alastar.
À notre arrivée, les Champions s’empressèrent de se mettre en rang. Le Grand Rek n’y prêta guère attention. Il me fit signe de le rejoindre et annonça :
— Je vous présente votre nouveau compagnon, Nak, le Champion de Bourg Ballon. Il s’est porté volontaire pour participer au sauvetage de nos Reines bien aimées. J’ai eu des échos de son courage, aussi je pense qu’il comptera comme une recrue de choix dans nos rangs.
Comme un écho à son annonce, une salve d’applaudissements s’éleva au-dessus de l’attroupement de Champions.
Au moins, ils semblaient contents de me voir.
À mon grand soulagement, le régent ne s’attarda pas sur le récit peu reluisant du garçon qui avait rechigné à rejoindre son armée.
— Bien, reprit-il. Je sais votre impatience à écraser les Négassiens, cependant, vous devrez patienter encore un peu. Il reste un village auquel me rendre avant de passer la frontière. Aussi, le temps jouant contre nous, je vous enjoins à reprendre la marche dès maintenant vers Alastar. Je vous rejoindrais avant la frontière.
— Pour nos reines, aboyèrent les Champions en cœur.
Kélis, Burr et le blond descendirent de leurs kromodons.
Le capitaine amena le sien à mon niveau :
— Descends de ce kromodon, Nak. À partir de maintenant, tu vas te servir de tes pieds.
Un homme aux cheveux filandreux s’approcha de ma monture d’un pas chaloupé. Il l’agrippa par la bride et leva vers moi de petits yeux noirs enfoncés dans leurs orbites. Ils abritaient une lueur mauvaise. Je m’empressai de quitter mon kromodon. L’homme m’observa avec dédain et quand ma botte toucha terre, il racla le fond de sa gorge et cracha un glaviot à mes pieds. C’est là que je remarquai sa jambe de bois - qui expliquait le balancement de sa démarche. La prothèse à la forme sommaire était gangrénée par des plaques de petits champignons grisâtres.
Il beugla avec un ton de défi :
— Qu’est-s’qui y’a ? Ça t’dégoute ?
Malheureusement pour lui, sa jambe de bois ne me faisait ni chaud ni froid. Vu le travail de ma mère, il n’était pas le premier estropié à croiser mon chemin. En revanche, son glaviot et sa mine patibulaire remplirent leurs offices. Je décidai que sa compagnie n’était pas indispensable à mon bien-être et me dirigea vers les Champions sans demander mon reste.
— C’est ça, casse-toi, j’ai du boulot, moi.
Il me tourna le dos et s’affaira à sangler de larges sacoches autour des kromodons délestés de leurs cavaliers. La charge fut minutieusement répartie de chaque côté des bêtes afin de ne pas les déséquilibrer.
— T’as rencontré Mosley, dit Burr en me voyant arriver. Dommage, j’ai l’impression qu’il te déteste.
Il partit dans un grand éclat de rire devant mon air dépité.
— T’inquiète pas, va. Mosley déteste tout l’monde. C’est comme ça.
3 commentaires
Gaëlle K. Kempeneers
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Il y a 7 mois
John Wait
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Il y a 7 mois
Gaëlle K. Kempeneers
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Il y a 7 mois