John Wait La mort dans l'âme 3_Adieu Bourg Ballon

3_Adieu Bourg Ballon

Je suis rentré chez moi, la mine basse.

Ma mère et mon père attendaient dans le salon. La table était mise. Un plat fumant fumait.

Mes parents se sont tournés vers moi à peine la porte ouverte. Le regard de ma mère s’est aussitôt posé sur le paquetage sur lequel était cousu le blason de Stalion.


Son visage se délia et elle fondit en larmes.

Celui de mon père était dégouté.


— Ainsi tu t’es engagé dans l’armée ? dit-il un ton glacial.

— J’ai pas vraiment eu l’choix, marmonnai-je, agacé.

— Tu te moques de moi, Nak ?


Ma mère s’assit sur le rebord de la table de la cuisine, ses épaules secouées par les sanglots, et me dévisageait comme s’il elle ne me reconnaissait pas. Pourtant, le régent lui avait parlé. Elle croyait quoi ? Que j’allais lui tenir tête ?


— D’où sort cette épée ? demanda-t-elle, des larmes dans la voix.


Je n’osai rien répondre. Pria pour qu’elle ne fasse pas le rapprochement avec la Roussine. Était-elle au courant pour le trésor dans sa cave ?


Je leur racontai une version allégée de l’histoire. Une version où ne figurait pas les détails genre : « en faîtes, c’est une épée volée qui à la fâcheuse tendance à causer dans ma tête », ou, « il y a une heure, j’ai tranché en deux une femme géante » je faisais confiance aux ragots de Bourg Ballon pour leur apprendre bien assez tôt ma confrontation avec Lizee.


Mon père haussa encore le ton.


— J’ai travaillé sans relâche toute ma fichue vie, précisément pour t’éviter ce genre de choses ! Et tu viens me dire que tu pars à la guerre, juste parce que Monsieur a trouvé une épée.

— Il n’y peut rien ! C’est le Grand Rek qui a décidé, répliqua ma mère d’un ton abattu. On ne remet pas en question les ordres du régent.

— Je vais lui dire deux mots moi à ce Rek Wan ! Il ne me prendra pas mon fils, je te le dis.

— Reviens-là, dit-elle en lui saisissant le bras. Ses hommes ne te laisseront sûrement pas l’approcher dans ton état. Je te connais, tu vas dépasser les bornes !

— Mais notre fils n’a rien d’un soldat ! Et ce n’est pas un engagé d’office ! Il doit avoir le choix ! C’est vrai ou pas ?

— En temps normal, oui.

— On a tout fait pour le mettre à l’abri, ils ne peuvent pas…


Sa voix vacilla comme une flamme exténuée. Au détour d’un mot, il risquait, soit, de fondre en larmes ou de frapper un mur.


— Je sais, concéda ma mère.


Elle alla s’asseoir sur une chaise et enfouit son visage entre ses mains.

Je compris qu’il était temps pour moi de disparaître. Rien de ce que je pourrais babiller ne changerait les choses. Je m’éclipsai dans ma chambre.


La dispute continua longtemps et dut empêcher certains voisins de fermer l’œil.

Pour moi, il fut impossible de trouver le sommeil.

Tout était allé si vite. Le recrutement, Lizee, moi qui fends la maison de Mirek en deux, le face-à-face avec le Grand Rek.

Et maintenant, c’était acté. J’étais officiellement désigné Champion de Bourg Ballon. Tout ça à cause de cette épée maudite.


— Tu ne m’as attiré que des problèmes depuis que je t’ai récupéré, grommelai-je. Tu m’as mis dans un sacré pétrin.

« Tu t’y es fourré tout seul mon gars. »



Je m’endormis un peu avant l’aube.

Une heure plus tard, ma mère toqua à ma porte. Les souvenirs de la veille ressurgirent aussitôt. Une boule cotonneuse gonfla au creux de ma gorge.

J’espérais qu’il se soit produit un nouveau rebondissement durant la nuit, que finalement, merci, mais nous n’avons plus besoin de toi, nous avons trouvé quelqu’un de bien plus qualifié pour sillonner un champ de bataille.


La toile du ballon grinça. Un moment, je me laissai bercer par ce chœur de sons familiers : le craquement des cordes, les perches qui pendent dans le vide, le hamac qui couine à chaque ballotement. Le temps aurait dû s’arrêter là, me laissant revivre cet instant en boucle. Sauf que la vie est cruelle. Les premiers rayons du soleil ont percé volets et paupières, m’obligeant à ouvrir les yeux pour affronter la réalité.

Mon regard se posa sur le paquetage posé dans un coin de la chambre et la boule dans ma gorge doubla de volume.

Je quittai mon hamac d’un pas trainant et déplia le paquet. À l’intérieur, il y avait ma tenue de Champion.

Une combinaison noire confectionnée dans une matière fluide - matière que je n’avais jamais vu porter par des gens du coin.

Le paquetage comprenait également un gilet cuirassé sans manche au large col. Ce dernier, ainsi que les coutures, était doré. Il y avait aussi une sacoche à nouer autour de son torse, une épaulette métallique et un fourreau pour mon épée. J’enfilais la tenue comme une pénitence. Le tout se montra étrangement agréable à porter. Légère, mais robuste, elle s’adapta parfaitement aux lignes de mon corps. Pourtant, impossible de reconnaître le garçon renvoyé par le reflet de mon miroir. Ce n’était pas moi, j’avais l’air ridicule. Je retirai l’épaulette avant de rejoindre la cuisine, résigné.


Mes parents m’y attendaient autour du Premier Repas. L’ambiance était bizarre. Personne n’osa trop parler, ou alors pour échanger des banalités.

Papa n’a même rien dit. Il fixait la fenêtre comme si elle lui devait des sous. Exceptionnellement, il n’était pas parti au travail ce matin. Il ne fit pas semblant d’être de bonne humeur pour autant. Quant à ma mère, son visage s’assombrissait au fur et à mesure que l’heure avançait.


Vint le moment où il fallut partir.

Le pas lourd, on a traversé le village tous les trois en nous tenant la main. Mon père portait dans son dos, un énorme sac de toile rempli de petits pains. Il s’était levé plus tôt qu’à l’habitude pour les confectionner. Les ballons se balançaient doucement dans la brise du matin. Le ciel avait déployé un bleu éclatant, le soleil étincelait, le monde avait décidé de me narguer.


À l’endroit où, la veille, se tenait le pavillon du Grand Rek, l’entièreté du village était venue me dire au revoir.

Tu as aimé ce chapitre ?

9

0

0 commentaire

Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.