Fyctia
4_Adieu Bourg Ballon
Voir ces visages que je connaissais par cœur me saluer me fit quelque chose.
Le régent apparut sur le dos de son kromodon, ses Garde-Roi à ses côtés. Arrivé à mon niveau, il me souffla :
— Lève la lame du Pourfendeur dans les airs.
— Quoi ?
Il attrapa le manche de l’épée et me la fourra dans la main. Il me prit le poignet armé pour le brandir dans les airs, dans un geste qui se voulait solennel :
— Bourg Ballon, voici votre Champion !
Il y eut des applaudissements de la part d’à peu près tout le monde même si la plupart n’arrivèrent pas à cacher leur surprise de me voir ici.
Au premier rang des effarés, Courgette et Gosny, évidemment. Elle, me fixait avec de gros yeux ronds.
Gosny se révéla moins expressif. Il ne devait pas comprendre. Qu’est-ce que je trafiquais là ? Moi qui lui avais rabâché ma réticence sur le sujet. Qui connaissait pertinemment son désir brûlant d’être à ma place.
Le capitaine arriva à son tour à dos de kromodon, bientôt rejoint par les trois autres Champions. Le notable, lui, ne nous suivrait pas. Il avait terminé sa tâche, nous apprit-il.
Le blond menait un kromodon harnaché sans cavalier. Il fallut qu’il l’amène sous mon nez pour que je réalise qu’il m’était destiné. Sauf que je n’étais jamais monté sur cette bête-là ! Une chance sur combien pour que je me ridiculise devant tout le monde ?
Il me passa les rênes et partit rejoindre ses compagnons, me laissant seul avec mon malaise et un lézard de 900 kilos. Les Astres soient loués, ce dernier resta placide. Il m’observa à travers ses grands yeux jaunes, expirant de bruyantes bouffées d’air par ses naseaux. De tout ce que j’avais jamais vu, c’était ce qui se rapprochait le plus d’un arkosaure. Pour autant, je n’aurais pas parié sur l’existence des kromodons avant la chute de l’Alfarok.
Je plaçais ma main sous son museau pour me présenter. En guise de réponse, il gratta le sol avec son museau.
Quelqu’un s’esclaffa dans la foule. Merci du soutien.
Ma mère vint à mon secours et, d’un geste assuré, releva la grosse tête du kromodon par la bride.
— Va vite dire au revoir à tes amis, murmura-t-elle.
Je la remerciai intérieurement et courus vers Gosny et Courgette.
— Désolé les gars, c’est arrivé si vite, j’ai pas eu le temps de vous expliquer, ça n’a aucun sens…
Courgette me sauta dans les bras et je dus m’agripper à elle pour ne pas tomber à la renverse.
— On imagine bien que t’y es pour rien, pauvre idiot ! dit-elle. J’ignore dans quelle galère tu t’es fourré, mais tu vas nous manquer, mon vieux ! Sans ta sagesse d’esprit, on va être obligés de faire plein de bêtises ! Reviens-nous vite ! Et essaie de pas te faire croquer par le premier arkosaure qui passe.
— Tu vas me manquer aussi Courgette. Prends soin de Mirek surtout. Je sais pas si tu sais, mais il n’a plus de maison.
— Quoi ?
Bon, c’était sans doute un peu brutal de l’apprendre ainsi, mais je n’avais pas le temps d’épiloguer.
— Désolé, il t’expliquera…
— Allez, on bouge, beugla le capitaine en claquant un coup de talon sur le ventre de son kromodon.
— Ne t’inquiète pas pour nous Nak, fit Gosny en me prenant à son tour dans ses bras. Fais attention à toi. Tu vas assurer là-bas, c’est obligé.
Son sourire tordu n’étouffa pas la pointe d’amertume de son intonation.
C’était tellement injuste pour lui.
— Nak ?
Je reconnus aussitôt la voix de mon ami.
— Paraît que tu vas à Alastar ? dit Mirek avec un sourire forcé.
Il vacillait légèrement, son teint n’avait jamais été aussi pâle et les énormes poches sous les yeux trahissaient son manque de sommeil .
J’approuvai d’un hochement de tête en m’excusant pour sa maison, mais il n’y prêta pas attention.
— Si… si jamais tu vois mon père…
Il ne finit jamais sa phrase. Deux grosses larmes coulèrent le long de ses joues et il s’effondra à genoux. Pour la première fois, je le voyais s’autoriser à craquer.
Le capitaine Ichon insista :
— Allez, fin des adieux, on doit rejoindre le bataillon avant midi.
Le régent s’était déjà mis en route.
Courgette vint à ma rescousse en serrant Mirek dans ses bras.
— Vas-y Nak, je m’en occupe.
— Mirek ! Je te promets, dis-je en m’éloignant à reculons - je voulais le lui dire dans les yeux -, je prendrais soin de lui…
Je n’eus pas l’occasion de continuer ma tirade, car un bruit de pas précipités s’approcha derrière moi.
« Oh non, pas elle ! » s’écria Dyf dans mon esprit.
Sa voix trahissait une certaine panique.
C’était la Roussine, essoufflée. Elle semblait avoir couru depuis son ballon pour ne pas rater mon départ…, ou pour récupérer son épée ! Elle ne pouvait pas choisir pire moment !
Elle m’attrapa par le bras avant que je puisse faire demi-tour :
— N’y va pas !
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