John Wait La mort dans l'âme 2_Adieu Bourg Ballon

2_Adieu Bourg Ballon

— D’autant que tes propos pourraient paraître déplacés. On ne parle pas de partir en conquête pour gonfler nos égos ou renflouer les caisses du pays. On parle d’une mission pour sauver nos reines.


— J’ai bien saisi l’importance de la situation. Évidemment, je me sens concerné au même titre que chaque Stalien et suis disposé à rendre service à mon pays. Mais, il y a des gens ici… Prenez mon pote Gosny, c’est son rêve de défendre la couronne de Stalion !


— Le môme qui s’est battu contre mon capitaine ? demanda-t-il sans prendre la peine de cacher son scepticisme.


J’opinai timidement. Il balaya l’idée d’un geste de la main comme on chasse une mauvaise odeur.


— J’ai besoin d’un Champion, pas de chair à canon. Ichon n’a même pas eu besoin d’utiliser son alter pour battre ton ami.


— Je ne suis pas beaucoup plus efficace que lui au combat. On a suivi les mêmes entraînements, à peu de choses près.


— Tu oublies une chose importante, bonhomme. Tu possèdes une chose que ton ami ne possède pas.


Il considéra l’arme que je tenais à la main.


— C’est une lame incarnée n’est-ce pas ?


Je n’avais jamais entendu cette expression.


Il tendit ses mains à plat vers moi. Une longue seconde passa avant que je comprenne l’intention de son geste. Je m’empressai de donner l’épée au Grand Rek. Il prit son temps pour l’examiner sous toutes ses coutures, la maniant avec un soin précieux. Je crus même déceler une lueur admirative percée ses pupilles.


— C’est un bel objet que tu as eu là, Nak. As-tu… une marque sur toi qui serait apparue lors de l’obtention de cet objet ?


Je relevai ma manche gauche en silence, comme si j’avouais une énorme bêtise.


Absorbé par mon poignet, il ne prêta aucune attention à mon expression piteuse. L’intensité de son regard avait doublé à la vision de ma marque.


— Fascinant… L’épée, a-t’elle déjà… communiquée avec toi ?


Je fus pris d’un étrange vertige. Comment pouvait-il savoir ?


— Oui, un peu...

— Et qu’est-ce qu’elle te raconte ?

— Oh, rien de très intéressant.


La marque à mon poignet s’échauffa légèrement.


— Raconte-m’en plus.

— Elle dit qu’elle s’appelle Dyf…

— Dyf ?…


— Oui. Contrairement à moi, il semble déterminé à se battre et…, je ne comprends pas. C’est quoi une lame incarnée ?


Il fut surpris par ma question. Il me détailla lentement de bas en haut, puis, d’une voix posée, m’expliqua :


— Les lames incarnées sont des artefacts des Temps Ancestraux. Des armes qui ont modifié le cours de bien des batailles durant l’Ère Pourpre.

— Vous voulez-dire… que cette épée a plus de cent ans !

— Aisément. Je crains néanmoins qu’elle ait servi le camp de nos opposants.


Je contemplais l’épée de Dyf le Pourfendeur, aussi impressionné qu’effrayé. Dyf aurait été… un chasseur d’alteran ?


— C’est peut-être injuste, mais si c’est toi que l’épée a choisi, et cette marque le prouve, alors tu nous es indispensable. Dans les mains d’une autre personne, elle ne sera guère différente de la première lame venue. Dans les tiennes…


Le Grand Rek considéra une dernière fois l’épée avant de me la rendre. Il posa ses mains sur mes épaules, aussi lourdes que le poids du monde.


— Je comprends tes doutes Nak, ils sont légitimes, surtout de la part d’un fils de guérisseuse. Le moment de nos vies où l’on comprend qu’elles se résument à une confrontation permanente entre nos aspirations et la réalité est toujours un souffrance.

— C’est sur, si on ne change pas la réalité…

— De quoi parles-tu ? Changer le monde ? Voilà une idée sensationnelle ! Sans vouloir te brusquer, je ne crois pas que tu sois le premier d’entre nous à l’avoir eu. Même moi, engoncé dans mon rôle et mes responsabilités, j’ai ce rêve.


Il éleva la voix et j’eus l’impression que les flammes du brasero l’imitèrent.


— La plupart des guerriers et des guerrières qui ont manié les armes incarnées sont devenus légendaires, souvent pour de sombres raisons. Je crois, mon garçon, qu’il est temps pour cette arme de s’acquitter de sa dette en se mettant au service des Genovae. Quelque part, tu rétablirais la balance.


À ces mots, l’épée vibra contre ma paume. Que les Astres soient loués, le régent ne s’aperçut de rien.


— Dis au revoir à tes proches dès ce soir. Je t’attendrais, ici, demain matin, six heures.


Je voulus rétorquer, quoi, je ne sais pas, de toute façon, il leva la main pour m’en dissuader. Sa décision était prise. Mon sort, scellé.



Bien qu’il ne faisait pas particulièrement chaud sous le pavillon du régent, l’air frais du dehors agit comme une libération. J’étais sonné, la sensation que tout m’échappait, incapable de prendre la mesure de ce qui venait de se jouer.


— Alors, heureux ?


Burr m’attendait à la sortie de la tente un paquetage à la main. À quelques mètres, un feu de camp avait été monté. Kélis et le blond s’étaient assis autour. Je sentais leurs regards me jauger à travers le brasier.

Burr me fourra le paquetage dans les mains.


— Voilà tout ce dont tu auras besoin mon bonhomme.


J’eus le droit à une nouvelle tape dans le dos qui manqua de me déboiter la clavicule.

Après avoir bredouillé un remerciement minable, je m’éloignai, l’épée à une main, paquet sous le bras. Sûr qu’à l’instant, je n’avais pas grand-chose d’un Champion.


Alors que je les dépassais, le grand blond s’écria :


— Ne sois pas en r’tard !


J’aurais voulu courir loin d’ici, loin du village, disparaître et qu’il ne me retrouve jamais. Ou leur balancer l’épée en leur disant de se débrouiller avec.

Je ne fis rien de tout ça.

Je traçai ma route, accablé.


« T’as entendu s’qu’il a dit ! Que j’étais légendaire ! Légendaire ! »


Pour une fois, Dyf avait presque l’air de bonne humeur.


« Vraiment ? C’est tout ce que t’as retenu ? »

« J’aurais préféré que le compliment vienne d’un collègue, mais ne faisons pas la fine bouche. Le roi de ta cambrousse a admis ma supériorité, c’est pas dégueu non plus. Reste que tu vas pas travailler pour ces grosses têtes, hein ? »

«Me donne pas d’ordres. D’ailleurs, je ne veux plus t’entendre. Et je te jure que plus jamais, je te laisserais prendre le contrôle de moi-même.»

« C’est s’qu’on verra ! »


C’est s’qu’on verrait, ouais.

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