Fyctia
1_Adieu Bourg Ballon
Je laissai à regret Mirek au milieu des décombres de son domicile démoli.
Avant de quitter mon ami, je lui lançai un regard désolé, voir, désespéré. C’est alors que je l’aperçus, sa crinière rousse ondulant au crépuscule. Du haut de sa colline, La Roussine n’avait rien raté du spectacle. Elle était trop loin pour que je puisse lire son expression - néanmoins, il y avait de grandes chances qu’on soit sur de la colère.
En même temps, elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle ! Quel genre de tarée gardait des objets aussi dangereux dans son sous-sol ? Des coffrets possédés, des épées sanguinaires ? Quoi d’autre ?
Les champions m’ont emmené devant un grand pavillon noir dressé à l’orée du village. La lumière du crépuscule faiblissait peu à peu aussi deux torches avaient été érigées sous le dais de la tente. C’était peut-être le blond cracheur de feu qui les avait allumées - je n’osai pas demander. Leurs flammes faisaient étinceler l’épaulette lustrée, frappée du blason de Stalion, des deux Gardes-Roi surveillant l’entrée. Impossible de se tromper quant à l’identité de l’occupant de ce pavillon.
— Attends ici bonhomme, marmonna Burr avant de disparaître derrière le rabat de la tente.
J’attendis de longues minutes en effet, seul dans la fraîcheur du soir. L’occasion pour mon esprit de turbiner à plein régime.
Qu’allaient dire mes parents ? Mirek pourrait-il surmonter ce nouveau désastre ? Allais-je vraiment devenir le Champion de Bourg Ballon ?
Ça sonnait invraisemblable, j’étais le pire choix possible. Le régent n’était pas idiot, il s’agissait d’un homme d’expérience et de recul, il allait s’en rendre compte. Tout allait rentrer dans l’ordre.
Alors que j’essayai de me convaincre, une personne sortit du pavillon royal. Kélis, la jeune fille à la peau tachetée sortie de la tente. Elle m’aperçut, marqua une légère pause en passant une main nerveuse entre ses tresses, et s’éloigna d’un pas pressé.
La tête de Burr apparut brièvement par l’ouverture du rabat.
— Allez, ramène-toi, dit-il, clin d’œil compris.
J’inspirai le plus d’air possible et obéis.
À l’intérieur du pavillon, je m'attendais à découvrir une atmosphère royale avec pléthore d'ornements, de décorations luxueuse. Mais hormis la tenture en fil d'or qui séparait l'habitat en deux parties et les tapis ouateux où s’enfonçaient mes sabots, l’habitat du régent n’avait rien d’ostentatoire.
Il était assis derrière son bureau, au centre de la tente, attelé à l’écriture d’une missive qui semblait requérir toute sa concentration.
Il ne releva pas la tête lors de mon entrée. M’avait-il remarqué ?
Je raclai doucement la gorge pour faire part de ma présence.
Sans quitter sa feuille des yeux, il me fit signe d’approcher puis continua de m’ignorer.
Une longue minute s’écoula durant laquelle je sentis le malaise monter. Je contractai tout mon corps pour me tenir le plus immobile possible. Pas moyen que je foute la honte à ma famille.
Le régent laissa tomber sa plume dans l’œuf de bilboulo et relut son travail consciencieusement.
La présence d’un jeune homme vêtu comme un paysan au beau milieu de sa tente dut enfin l’interpeller, car il leva la tête vers moi et me dévisagea. Imaginez, deux billes d’acier qui vous fixe avec intensité. La commissure de ses lèvres forma un étrange sourire.
Je ne pus m’empêcher de fixer à mon tour, le mélange de force et de noblesse qui caractérisait ses traits.
Voyant que je n’osais pas parler encore aurait-il fallu que je parvienne à déglutir -, il prit l’initiative de briser le silence.
— C’est vous l’épée ?
Au moins, je savais pourquoi j’étais là.
— Euh, oui.
— Burr m’a raconté votre exploit. Je vous en félicite. Dites-moi, jeune homme, quel est votre prénom ?
— Nak.
— Nak. Je suis Rek Wan, éternellement dévoué à la Race Mère, serviteur et suppléant obligé de nos reines vénérées, actuel régent du royaume de Stalion.
Pourquoi prenait-il la peine de se présenter ? Je savais pertinemment qui il était. Et au cas où, l’immense bouclier en forme d’écaille tissé sur le pan du fond de la tente s’avérait un indice clair.
— Je sais que tu sais, mais c’est plus équitable ainsi tu ne trouves pas ? dit-il comme s’il avait lu dans mes pensées. Tu es le fils de la guérisseuse n’est-ce pas ?
La crainte sourde qui m’essorait les boyaux depuis quelques jours se réveilla.
— Euh, oui…
Il quitta sa chaise, pris sous son bras un casque qui trainait sur le bureau.
— Bien. Je me suis entretenue avec elle tout à l’heure.
Un frisson glacé me parcourut l’échine.
— Tu comprends Nak -il souligna mon prénom comme s’il était fier de l’avoir retenu, quand personne ne se montre à la hauteur pour devenir Champion, nous embauchons soit un artisan, soit un guérisseur. Il se trouve que ta mère est reconnue dans la région pour ses talents. Tu dois être fier d’elle.
Je baissais la tête. Je voyais où il voulait en venir.
— Pour être transparent avec toi, je n’ai guère été impressionné par les représentations de tes concitoyens, soupira-t-il en posant son casque sur une énorme malle cloutée. Je m’étais résolu à engager ta mère, mais - il se tourna vers moi, un large sourire illuminant son visage -, apparemment, Bourg Ballon ne m’avait pas dévoilé tous ses secrets.
La fierté avec laquelle il me considérait me troubla. Je n’avais jamais lu sur le visage de mon propre père.
Il s’approcha de moi d’un pas lent. Il devint… si proche.
— Pourquoi ne t’es-tu pas présenté au notaire tout à l’heure ? Mon discours ne t’a pas semblé assez convaincant ?
Devais-je avouer la vérité ? Esquiver ? Mentir ? Et s’il devinait mon mensonge, que m’arriverait-il ?
Debout face à moi, le Grand Rek attendait ma réponse.
— Mon respect pour nos reines est total et… inaltérable, mais - un, deux, trois -, je ne souhaite pas prendre part à cette guerre.
Le régent eut un mouvement de recul comme si je l’avais insulté. Il se plongea dans sa refléxion et se mit à faire les cent pas autour de moi.
— C’est embêtant, marmonna-t-il en caressant ses fines moustaches comme pour en extraire une idée.
— Oh, ne vous inquiétez pas, m’empressai-je d’ajouter, vous trouverez de quoi faire, ici…
— Non, c’est embêtant que tu penses avoir le choix.
Il s’arrêta de marcher, l’air inquiet.
— C’est-à-dire que je n’ai pas été assez clair tout à l’heure, quand je me suis exprimé devant tes comparses. Des personnes aussi aveugles que toi ont pu croire qu’ils avaient le choix.
J’eus l’impression qu’une main massive se refermait en étau autour de ma gorge.
0 commentaire