John Wait La mort dans l'âme 1_Le grand Rek

1_Le grand Rek

Au petit matin, les lucioles s’étaient endormies.


J’ouvris les yeux avec un goût de rouille dans la bouche. Fixa le plafond, un peu pâteux. Des mini-maisons-ballon en allumettes flottaient au-dessus de ma tête, pendue au plafond par un crochet.

J’aurais pu rester là à contempler ce souvenir d’enfance de longues minutes encore sous la chaleur réconfortante de ma couette, bercé par le ballotement du hamac, mais ma mère m’invita depuis le couloir, à venir prendre le premier repas. Je glissai les pieds hors de ma couverture et vis alors le sac.

Des fragments d’images déferlèrent dans ma tête, en une fraction de seconde, tout me revint en mémoire. La visite nocturne chez la Roussine, le butin dérobé, la marque autour de mon poignet gauche, l’épée noire dissimulée sous le tas de vêtements sale.


J’y plongeai ma main pour m’assurer qu’elle était toujours là. Mes doigts rencontrèrent le métal froid. Je les retirais aussi sec, par crainte de réveiller la voix. Comment avait-il dit qu’il s’appelait déjà ? Dyf le pourfendeur ? Quel programme.


J’enfilais ma combinaison scolaire et rejoignis la cuisine en songeant à une nouvelle cachette pour mon épée et l’énorme sac à butin. Pas moyen de les garder dans ma chambre !


D’énormes tranches de pain aux noix m’attendaient sur la table à manger, ainsi qu’une brioche encore fumante. Les avantages d’un papa boulanger.

J’avala l’intégralité de mon infusion aux plantes sucrées en une gorgée -passage aux toilettes assuré -. Ma mère arriva dans la cuisine, une sacoche pleine de papier sous le bras.


— Comment va ton ami ?

— Mirek ! Bien, je crois.


J’évitai son regard. Si elle remarqua ma gêne, elle n’en dit rien. Moment parfait pour changer de sujet.


— Tu n’as pas mis ta tenue de travail ?


Les guérisseurs de Stalion portaient une longue robe blanche en général, sauf qu’aujourd’hui, ma mère avait enfilé un pantalon bouffant et une chemise cintrée.


— Je ne bosse pas aujourd’hui. J’ai rendez-vous a la Haute Riboulerie pour renouveler mon inscription au Registre Royal des Guérisseurs Stalien. C’est obligatoire depuis l’ouverture de la guerre, histoire de faciliter notre recensement dans chaque région. Je leur apporte des fournitures médicales que j’ai confectionnées par la même occasion.


Je fis mine de m’y intéresser en opinant.

.


— Ça m’arrange pas - elle bâilla bruyamment en mettant la main devant sa bouche -, j’aurais bien pris une heure ou deux de sommeil en plus.

— Tu t’es couchée tard ?

— Oui, j’ai eu un client compliqué. Il ne voulait pas se laisser opérer. J’ai dû utiliser la manière forte…

— Les feuilles d’Obey ?

— Exact.


Elle me sourit.


— Il s’est montré beaucoup plus enclin à obéir après ça.


Je voulais bien la croire. Le pouvoir de ces feuilles m’avait impressionné à chaque fois que je l’avais vu à l’œuvre.


Elle tira une corde suspendue pour amener la perche à manteau à sa portée et choisit une veste en cuir. Elle relâcha la corde, la perche repartit aussitôt se caler dans les hauteurs du ballon.


— Si tu veux passer prendre du pain pour Mirek, ton père est d’accord. Après, tu n’es pas en avance non plus pour l’école, vas-y plutôt ce soir. Il vous en mettra de côté.


Je la remerciai en passant la bandoulière de ma sacoche par-dessus mon épaule. Il n’y avait pas grand-chose d’autre que des plumes et des parchemins.


— Salut, maman.

— Bonne journée !


Un bout de tartine entre les dents, j’ouvris la porte d’entrée et me tétanisa sur place.

Adossée aux pilotis du ballon d’en face, la Roussine m’attendait, les bras croisés, regard en biais. Elle paraissait très, très, contrarié.


Elle prit son temps, s’approcha en me fixant droit dans les yeux, sa longue robe violette voltigeant autour d’elle. Je ne l’avais jamais vu d’aussi près. Avec toutes les histoires entendues sur son compte, je m’attendais à la trouver dérangeante, spéciale. En vérité, elle se révéla étrangement assez banale. Sa robe, tout aussi chamarrée que son ballon, était certes originale, mais il n’y avait rien de très mystique là-dedans. Elle paraissait assez jeune. Seule une mèche de cheveux blancs contrastait avec le reste de sa crinière rousse.


Elle s’arrêta en bas des marches en bois qui montait vers mon entrée, puis, lentement, en découpant son geste de manière théâtrale, pointa son index sur moi :


— Sale voleur.


Je manquai de m’étouffer, une miche coincée dans la gorge. En tentant de dissimuler mon désagrément, je posa une main sur ma poitrine, l’air offensé, mais trop tard : j’étais plus grillé qu’une tranche de pain grillé.


— Je sais que vous êtes venue cette nuit chez moi ! Je sais ce que vous avez pris dans son repère.


Sa voix était suave, sévère.


— Vous, euh, devez vous tromper…

— Rends l’épée.

— De quoi ?

— Elle m’appartient ! C’est la mienne ! Rends l’épée !


Mon être se liquéfia sur place. Bonne cause ou pas, je n’assumais plus du tout mon acte.

Même si mes lèvres pesaient des tonnes, j’allai parler, j’allai tout avouer…


— Que faites-vous ici ? demanda froidement ma mère.


Elle venait d’apparaître dans mon dos. La Roussine la dévisagea un instant avant de revenir sur moi. Ses pupilles me transpercèrent. Elle allait parler, elle allait tout avouer…


La seconde d’après, elle déguerpit vers la sortie du village, juste…comme ça. Sans un mot.

Je restai éberlué. Le ton polaire de ma mère me ramena vite à la réalité.


— C’était quoi ça ?

— Je, euh, je sais pas, j'la connais pas, je l’avais jamais croisée, je pense que c’est la Roussine.

— En effet, c’est elle, oui. Mais que fabriquait cette femme devant chez nous ? Elle ne fréquente jamais les villageois du centre…, hormis ceux qui ont assez de piécettes pour la supplier de voir l’avenir.

— C’est vrai, elle voit l’avenir ?

— Là n’est pas la question. Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

— Euh, j’ai pas trop compris, elle a pas eu le temps de s’étendre, tu la fais fuir.


Ce fut au tour de ma mère de me détailler avec l’acuité d’un oiseau de proie.


— Ses phrases n’avaient pas trop de sens, c’était tout décousu, après c’est normal, tu sais, paraît qu’elle est folle.

— Elle n’est pas « folle », déclara ma mère en faisant volte-face. Elle est juste cleptomane.


J’eus immédiatement honte de mes paroles et le rose me monta aux joues.


— Une cleptoquoi ?

— Cleptomane. C’est une personne qui n'arrive pas à s’empêcher de s’accaparer tout ce qu’elle trouve.

— Genre, une voleuse ?

— Si on veut. Sauf qu’elle n’a aucune mauvaise raison derrière la tête, c’est plus fort qu’elle. C’est une pulsion.


Ceci expliquait l’état de sa maison et de son sous-sol.

Ma conscience s’allégea d'un poids. Voler une voleuse, au final, c’est de bonne guerre.

Restait une question :


— Comment tu la connais ?


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11 commentaires

Layla M

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Il y a 10 mois

La fin de chapitre est trop bien! C’est bien trouvé le coup de la cleptomane !

John Wait

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Il y a 10 mois

Huhu ^^

Dixy

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Il y a 10 mois

Vive les mots compliqués ! Tu as une très belle plume en tout cas. Pluie de like pour toi en te remerciant de ton aide ♥️

John Wait

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Il y a 10 mois

Oh bah c'est gentil ça ! Ma plume te dit merci.

Amaya_42_10

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Il y a 10 mois

Pluie de likes pour toi ! Merci de ton soutien ❤️
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