Fyctia
4_L'épée noire
— Tu… tu parles ?
Et oui, on se sent un peu bête de parler à un objet.
« C’est qu’on est en présence d’un génie ! » aboya-t-elle. « Si je l’pouvais, je t’applaudirais ! Tête d’âne ! Rassure-moi, t’en es pas vraiment un ? Au fait, aucune marque n’est apparue sur ton corps ? »
— Euh, si, sur mon poignet.
L’épée poussa un long râle d’agonie.
« Pourquoi ? Pourquoi moi ? "
"Je vous ai trouvé dans une cave." me surpris-je à répondre par la pensée.
« Et t’aurais dû m’y laisser ! »
« C’est vous qui vous êtes incrusté dans mon sac ! »
L’épée émit un rire sonore et saccadé.
« Tu peux pas l’voir, mais j’ai rejeté ma tête en arrière tellement je m’esclaffe ! »
« Vous avez une tête ? » demandai-je, de plus en plus décontenancé.
« Bien sûr que non, idiot bête ! Je suis une épée ! Concentre-toi un chouilla sinon, on va pas y arriver ! Et pour la même raison, je n’ai pas pu rentrer tout seul dans ton maudit foutu sac ! Car, le savais-tu, les épées n’ont ni bras ni jambes ! »
« Les épées ne parlent pas non plus d'habitude. »
« Oh, commence pas à jouer au plus malin ou je m’arrange pour te couper les oreilles ! »
« C’était juste une observation… »
« Alors arrête d’observer et écoute ! Déjà, petit un, RAMASSE-MOI !!! »
Le volume sonore proféré par l’épée me fit faire un pas de recul. J’essayai de trouver une manière logique de réagir… Echec cuisant. Je me résolus à approcher doucement ma main tremblante de la poignée sertie de diamants. Allons, après tout, même avec un sale caractère, une épée ne pouvait pas mordre.
« Je veux bien te prendre si tu joues pas au volcan dans mon corps comme tout à l’heure. »
« Moi ? Mais c'est pas ma faute ! C’est toi qui sais pas gérer tes émotions. »
« Ok, alors, tu restes par terre. »
« Ok, alors, je vais te tuer. »
Cette répartie me laissa dubitatif, mais ce n’était pas un risque que je souhaitais prendre.
Je glissai précautionneusement mes doigts autour de la poignée. Je ne ressentis rien de particulier, hormis, peut-être, une chaleur sourde au creux de ma paume. Je resserrai ma poigne et me redressa, l’épée noire à la main.
— Ah, c’est quand même mieux. » tonna la voix bourrue. « Bon, alors, qui es-tu ? Un guerrier j’espère ?
« Euh, non… »
« Tiens donc, un mercenaire ? »
« Non plus… »
« Un alterosaure ? »
« … »
« Me dis pas que t’es un Genova !
« Pas du tout ! Je suis… un fils de boulanger et de guérisseuse. »
« Qu’est-ce que ça peut bien m’faire le hobby pratiqué par tes… attends, une minute… t’as quel âge ? »
« Seize ans… Bientôt dix-sept… »
« Ah. T’as déjà tranché quelqu’un en deux ? »
« Non. »
« Comment ça ? Ne m’dis pas que j’ai passé plusieurs dizaines d’années bloquer dans un trou humide, au milieu des portraits hideux et des balais puants, tout ça pour finir dans les mains d’un bleu-bite ! »
« Un quoi ? »
« Un débutant ! Un bégayeur ! Un gros bébé ! Un tremblotin qui s’débinera à la moindre occasion !»
Sans compter les coins de table, c’était bien la première fois qu’un objet me manquait autant de respect.
« Je sais manier une arme, si c’est ça qui vous inquiète Monsieur l’épée. »
Monsieur l’épée manqua de s’étouffer.
« Ne m’appelle plus ja-mais de la sorte, tu m’entends ! »
« Ça, pour vous entendre… alors, de quelle façon vous appelle-t-on dans le monde des armes qui parlent ? »
« Dyf ! Ça ira ? Pas trop long à r’tenir ? Tu peux rajouter le pourfendeur si tu veux m’faire plaisir. Et comment ça, tu sais t’ battre ? T’as pratiqué le duel de baguettes avec ton géniteur ? »
« Non, répliquai-je. On a eu des cours. À l’école. »
« À l’école. » répéta Dyf atterré. « Avant ou après le goûter ? »
« Non, vraiment, toutes les semaines, on apprend à se battre avec des bâtons ou des épées en bois, mais… »
« Qu est ton Maître d’Armes ? »
« Le Don Miloudzi. »
« Don Miloudzi ! Ça fait une paye que j’avais pas entendu c’patronyme ! Si c’est bien le descendant de qui j’pense, il a pas dû vous transformer en as de l’escrime ! Certes, le Miloudzi qu’j’ai connu savait tenir une épée sans faillir, mais jamais, il n'a remporté un duel contre moi ! »
« Vous voulez dire contre votre ancien propriétaire ? »
« C’est pareil ! C’est moi qui fourni tout l’travail. Faut juste pouvoir assumer la puissance derrière ! »
Je n’étais pas certain de bien saisir la signification de cette phrase, mais le Dyf ne me laissait pas le temps de réfléchir.
« Vas-y, montre-moi s’que tu sais faire ! »
L’envie de pratiquer l’escrime au beau milieu de la nuit m’était passée, surtout pour me faire juger par ma propre arme !
L’aurore pointait derrière la fenêtre ronde de ma chambre. L’obscurité devenait moins dense et un liseré jaune rehaussait le col des plus hautes montagnes, annonçant l’arrivée prochaine du soleil.
Au bout du couloir, j’entendis le bruit d’une porte qu’on ouvre et qu’on referme avec précaution.
Mon père ! Il était déjà réveillé ! Ses journées débutaient toujours très tôt - et se terminaient très tard -. S’il me surprenait debout à cette heure, je risquais de passer un sale moment.
« Désolé Monsieur l’épée, je vais devoir vous laisser ! »
« Co… comment ? »
Je la bourrai sans vergogne sous l’amas de fringues amoncelées sous mon hamac avant qu’elle réplique. J’ignorai si c’était confortable pour une épée, mais ma survie était prioritaire.
Je disparus sous ma couette, priant pour que mon père ne remarque pas la lumière des lucioles filtrant en bas de ma porte, et je fermai très fort les yeux pour invoquer le sommeil.
Mais comment dormir après ça ?
10 commentaires
Layla M
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Il y a 10 mois
Gaëlle K. Kempeneers
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Il y a 10 mois
John Wait
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Il y a 10 mois
Samantha Beltrami
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Il y a 10 mois
🌿🌸 É-Stèle 🌸🌿
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Il y a 10 mois
🌿🌸 É-Stèle 🌸🌿
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Il y a 10 mois
Ava D.SKY
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Il y a 10 mois