John Wait La mort dans l'âme 3_L'épée noire

3_L'épée noire

Je déboulai sur le chemin menant au centre du bourg, le souffle coupé, les poumons en feu. Un silence endormi enveloppait le village. On entendait que les sursauts métalliques de mon butin tinter au rythme des rebonds sur mon dos et le claquement de mes souliers marquant la terre battue.


Devant moi, Gosny ne se décida pas à ralentir. Il bifurqua sans prévenir dans une allée obscure, puis une autre, et encore une autre. Lorsque je l’eus rejoint, il s’était enfin arrêté et tentait de reprendre sa respiration, les mains sur les hanches. Même dans l’obscurité de la nuit, je percevais son teint rouge et sa peau luisante de sueur. J’en menais pas large non plus. J’essayais de retrouver un brin de souffle, mais l’air se raréfiait autour de moi.


Au bout d’un instant, Gosny se redressa, l’air grave.


— Mon gars, je crois qu’on la semé ! À mon avis, on ferait mieux de se rentrer chacun chez soi, au calme. Je vois mal la Roussine nous poursuivre jusque dans nos hamacs.


Il désigna d’un hochement de tête, le sac posé à mes pieds :


— On avisera demain sur ce qu’on fait de notre trésor et… Nak, pourquoi t’as pris ça ?


Panique oblige, Courgette et moi n’avions pas été très regardants sur la sélection des bibelots, mais je faillis m’étouffer à mon tour quand j’aperçus ce qui déconcertait Gosny.

Le pommeau de l’épée entièrement noire dépassait de l’ouverture du sac de toile. Impossible. A quel moment j’avais glissé cette lame dans mon sac ? Selon moi, jamais, après…, tout était allé si vite.


Gosny leva un sourcil :

— Vu son moral, je sais pas si offrir une arme à Mirek est l’idée du siècle. Enfin, on se posera la question demain !


Je n’avais rien à répondre, j’essayai de me remémorer les évènements du sous-sol…


— En tout cas, bien joué, dit-il en me tendant la main.


J’eus une seconde d’hésitation, avant de la lui serrer franchement.


— Tu penses que Courgette s’en est tiré ? demandai-je.

— Je pense que c’est la première d’entre nous à s’être sortie d’affaire. Elle doit déjà ronfler sous ses draps.

— T’as raison.

— Bon, ne traînons pas, soldat ! À demain !


Je ne relevai pas ce nouveau surnom. La silhouette de Gosny disparut au détour d’une maison-ballon et je me retrouvai seul avec ce sac blindé et cette épée énorme.

La nuit devint, soudain, très inquiétante et j’eus la désagréable impression d’être exposé à la vue de tous.


Par chance, je n’habitais pas si loin. Je repris le sac, son poids me tiraillait le poignet, et me mis en chemin.

Je restai aux aguets tout au long du trajet, scrutant chaque recoin.

Enfin, mon ballon ! Les astres soient loués. Je me mis à marcher sur la pointe des pieds, façon voleur – ce que j’étais au final - !


La fenêtre de ma chambre était toujours ouverte, ce qui était plutôt bon signe. Personne n’avait dû remarquer mon absence. Je grimpai l’un des pilotis qui retenaient mon ballon au sol pour atteindre ma fenêtre, le sac calé contre mon ventre. Je le fis passer en premier à l’intérieur, puis j’enjambai à mon tour le rebord en bois de ma fenêtre. Une fois rentré, je m’empressai de la fermer avec précaution, puis j’allai m’affaler sur mon hamac.


Tout devint plus calme.

Enfin.

C’était fini.

Notre plan s’était déroulé – presque – sans accroc.


J’attendis un long moment que les battements de mon cœur retrouvent leur cadence habituelle. Sous ma veste, ma poitrine se soulevait de moins en moins vite.


Je sortis le petit bocal de ma poche, le portait à ma vue, le secoua doucement, et les lucioles se réveillèrent, transformant les murs et le plafond de ma chambre en un arc-en-ciel coloré qui se mouvait selon le déplacement des insectes. J’eus l’impression que les ombres s’animaient, que les affiches, les étagères, mon bureau, prenaient vie.

C’eut un effet étrangement apaisant. Je posai le bocal sur ma table de chevet avant de m’allonger sur le hamac en ramenant un oreiller sous ma tête.


C’est là que je vis la marque bleue autour de mon poignet gauche. À la manière d’un énorme bracelet tatoué sur ma peau.


Au début, je crus à une vision de l’esprit à cause des mouvements aléatoires des lucioles lumineuses, mais non. C’était bien là.

Ce que j’avais pris pour une douleur due au poids de mon sac était en réalité causé par l’apparition de ce… « bracelet ». Pris de panique, je me mis à gratter la marque avec frénésie, rien n’y fit. Le fourmillement que j’avais ressenti dans le sous-sol de la Roussine s’éveilla de nouveau, sillonnant cette fois tout mon bras. Il progressa vers mes poumons jusqu’à atteindre mon cœur.

Que m’arrivait-il ?

De l’extérieur, je devais paraître fou, à genoux sous mon hamac, à me tenir le bras comme s’il s’apprêtait à disparaître.


Le pommeau de l’épée dépassait toujours du sac. Comme si elle cherchait à aguicher mon attention. Je l’agrippai sans réfléchir avec la main gauche.


Une onde de chaleur saisit mon poignet là où se trouvait la marque bleue. Je contemplai les lueurs multicolores des lucioles se refléter sur la lame, brillant tel un saphir noir. Son métal, si sombre, semblait absorber chaque éclat de lumière qui osait lui glisser dessus.


L’épée était moins lourde que ce j’imaginais. Au contraire. L’arme et mon corps se combinaient dans un équilibre parfait.

Me voilà debout, au beau milieu de ma chambre, à brandir une épée comme un guerrier. D’instinct, je portai quelques coups d’estoc dans le vide. Le geste à peine effectué, je senti mes veines bouillirent et une vague de puissance déferla dans mon bras avant d'envahir tout mon corps tel un tsunami de flammes.


Choc blanc.


Je lâchai l’épée.

Elle s’échoua sur le sol dans un fracas métallique.


« Aïe, mais qu’est-ce que tu fais ? » s’écria la voix.


J’haletai façon marathonien en fin de course. Au fur et à mesure que les secondes passaient, une étrange fièvre se dissipa.


« Me laisse pas traîner par terre, t’as cru qu’j’étais une chaussette ! Dépêche-toi de me ramasser ! »


La voix était identique à celle entendue dans le sous-sol, sauf que, ce coup-ci, je dus me résoudre à l’évidence. La voix provenait de l’épée et résonnait contre les parois de mon crâne.

Je tendis l’oreille, craignant d’entendre mes parents se réveiller au bout du couloir…, aucun bruit a signalé. Étais-je le seul à l’entendre ?


« Tu fais semblant d’être sourd ou quoi ? »


Je me baissai prudemment vers l’épée, sans oser la toucher.


— Tu… tu parles ?


Et oui, on se sent un peu bête de parler à un objet.

Tu as aimé ce chapitre ?

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3 commentaires

Layla M

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Il y a 10 mois

En tous cas moi je te lis et j’aime beaucoup ! Il y a certaines formulations dont je ne suis pas certaine qui m’ont un peu accroché à la lecture: C’eut un effet étrangement apaisant par exemple et aussi les mots tsunami et marathonien, ca m’a interpellé ! Apres je suis plutôt prise dans l’histoire et je fais une piètre relectrice 😅 Mais j’ai vraiment beaucoup aimé comment tu as amené la decouverte de l’épée qui parle, j’ai trouvé ca super interessant la maniere dont il l’essaie et qu’elle s’adapte parfaitement à lui comme si elle le completait. J’imagine que c une « competence » de l’epee (j’ai oublié son nom 😅) Mais j’adore sa personnalité ! En tous cas super chapitre tres coherent et bien amené!

Sarah Pegurie

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Il y a 10 mois

Coucou :) Je t'envoie une pluie de likes sur les chapitres que j'avais pas encore aimé ! J'ai pas encore tout lu mais ne lâche rien ton histoire est bien. N'hésites pas à venir liker mes projets aussi, j'apprécierai beaucoup

John Wait

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Il y a 10 mois

Merci, c'est gentil. On va essayer même si c'est pas tout les jours facile. Vu le faible nombre de gens qui s'arrêtent pour commenter, j'ai un peu l'impression de publier dans le vent ^^
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