John Wait La mort dans l'âme 1_L'épée noire

1_L'épée noire

Il y a des nuits où l’on ferait mieux de rester dans son lit.


Tout le monde avait répondu présent à notre rendez-vous nocturne. On faisait le guet, postés derrière un muret de pierre en piteux état construit face à la colline de la Bonne Aventure. Au sommet de celle-ci trônait le ballon coloré de la Roussine. Il y avait de la lumière chez elle, mais rien ne semblait bouger à l’intérieur.


Gosny se montra le plus investi d’entre nous. Même quand la nuit fût totale et qu’on y voyait que dalle, il ne détacha pas son attention de la maison. Il avait apporté un énorme sac de toile pour accueillir notre futur butin. Courgette avait ramené des parts de gâteaux au ribol préparé par sa mère. Bilan, une heure plus tard, le plat était vide et il n’y avait toujours eu aucun mouvement côté Roussine.


On passe de l’excitation, à l’inquiétude, à l’ennui. Les bâillements se multiplièrent et Courgette finit par s’endormir.

Mes parents me croyaient tout aussi assoupi dans mon lit et je senti un filet de honte me bruler l’estomac d’avoir fait mine d’aller me coucher dans ma chambre après le dîner.


— Tu penses que la Roussine nous fera quoi si elle nous surprend à l’espionner ? murmurai-je à Gosny.

— Je préfère ne pas y penser, dit-il sans quitter l’habitation des yeux.

— On aurait peut-être dû prévenir Mirek…

— Laissons-le tranquille pour le moment. Il préfère être seul.

— Ouais…


J’avais dit ça comme ça. Le temps devenait long et l’air de plus en plus frais. Mon attention était sans cesse attirée par la masse sombre de la forêt qui s’étendait autour des collines de la plaine. Des bruits inconnus en provenaient et, couplée à l’obscurité profonde, l’ambiance devenait de plus en plus inquiétante. Seule brillait au loin telle une paire d’yeux étincelants, la lumière à travers les deux fenêtres de la maison de la Roussine.

Je me laissai tomber, dos au muret, et me perdit dans la contemplation de l’immensité étoilée au-dessus de nos têtes. Comme à chaque fois que j’observais les Astres, je me sentis vain petit, écrasé. Comme à chaque fois, j’imaginais la réaction de la première personne à avoir vu l’Alfaroc tombée du ciel…, quand Gosny s’écria :


— Nak !

— Quoi ?

— Regarde !


Il pointait la maison du doigt. J’étouffais une exclamation de surprise. La lumière s’était éteinte.

On attendit dans le silence nocturne, les yeux rivés sur l’habitation avec tellement de concentration que mon cœur aurait sauté si quelqu’un avait surgi derrière nous à ce moment-là.


Au bout de longues minutes, je finis par rompre le silence :


— Elle est peut-être allée se coucher, chuchotai-je au bout de quelques minutes.

— Chut, trancha Gosny.


Je lorgnais vers Courgette affalée dans l’herbe, plongée dans un profond sommeil. C’était peut-être elle qui avait raison.


— Nak !


Mon regard se reporta aussitôt vers la maison. La Roussine ! Elle était là, en train de refermer sa porte d’entrée derrière elle.

Elle se tourna dans notre direction et une décharge glacée me traversa.

La seconde suivante, Gosny et moi nous baissions derrière le muret, mon cœur résonnant dans mes tempes à chaque battement. J’avais arrêté de respirer sans même m’en rendre compte.

On s’est jaugés du coin de l’œil avec Gosny, puis, on a lentement levé la tête par-dessus le muret. La Roussine s’était volatilisée. Purement et simplement.


Une bouffée de stress s’empara de moi.


— Mince ! Elle est passée où ? Elle nous a vus ?

— Tais-toi, gronda Gosny. Elle est là-bas.


Cette fois, il désignait la forêt. En plissant les yeux, j’aperçus la silhouette de la Roussine courant vers le bois, ses longues boucles rousses rehaussées par le halo bleuté de la lune rebondissant sur ses épaules. Elle tenait un panier autour du bras. Après quelques foulées, elle disparut dans les fourrés.


J’échangeais de nouveau un regard avec Gosny.

Le moment était venu.


— Réveille Courgette ! ordonna Gosny. C’est maintenant où jamais !


Je secouai doucement notre amie qui se mit à grogner et lui murmura à l’oreille :

— La voie est libre.


Elle se redressa illico :


— Quoi ? La folle s’est barrée ?

— Exactement, répondit Gosny, et il n’y a pas de temps à perdre !


Courgette franchit le muret de pierre et traça vers le repère de la Roussine sans nous attendre.


— Vous pensez qu’elle va fabriquer quoi en pleine nuit dans une forêt ? demandai-je tandis qu’on la rattrapait.

— On s’en fout, dit Courgette. Le principal, c’est qu’elle y reste !


Je croisais les doigts pour qu’elle soit exaucée.


On se retrouva tous les trois devant la porte d’entrée. Chacun jugeait l’autre pour savoir qui oserait l’ouvrir en premier.


Gosny gonfla sa poitrine et, le plus sérieusement du monde, énonça :


— Bon, Nak et moi, on va rentrer à l’intérieur, ce sera sans doute dangereux. Toi, Courgette, tu restes là, à surveiller le retour de la folle.

— T’as raison ! dit Courgette.


Gosny n’eut pas le temps de ciller que le genou de Courgette se fichait dans son bide. Il s’effondra au sol, le souffle coupé, en se tenant le ventre.


— Ramène-toi Nak ! Laissons mossieur l’commandant surveiller la porte. Avec ses grosses lunettes, c’est le plus disposé à la voir arriver d’loin !

— J’assure vos arrières, approuva Gosny, les dents serrées.


Je priai les Astres et ouvris la porte. Par chance, elle ne l’avait pas clenchée.


La maison-ballon de la Roussine était constituée d’une seule pièce pourtant, il y avait tellement de trucs en tout genre accrochés aux murs ou sur des crochets pendus au plafond, disposés en vrac sur une table, une commode ou dans l’évier, qu’il était dur de tout assimiler d’un coup.

Devant mon hésitation, Courgette me bouscula sans prévenir vers l’intérieur.


— Allez, on va pas y passer la nuit !


Elle fit le tour du propriétaire, le parquet grinçant sous ses bottines, ouvrit tous les placards, vérifia les tiroirs tandis que je bloquais devant une série d’ustensiles métalliques dont je ne savais pas trop s’ils servaient à la cuisine ou a la torture.

Dans une main, je tenais le sac en toile de Gosny.


— On est pas là pour la dévaliser, rappelai-je, tout en vérifiant où je posais le pied. Il faut qu’on trouve l’entrée de sa cave !


Je faillis marcher dans une énorme bassine en cuivre. L’odeur piquante de l’étrange mixture collée au fond manqua de me faire éternuer. Je l’évitai au dernier moment grâce au reflet d’un rayon de lune ricochant sur le rebord de la bassine. Lugubre, la lumière de l’astre transparaissait à travers les rideaux blancs, leur donnant un aspect fantomatique.


— Là ! m’écriai-je en soulevant un long manteau de pluie dissimulant une porte.

— Pas mal, Nak l’anorak ! gloussa Courgette.


J’avalai péniblement ma salive. La poignée de la porte était glacée. Et si au lieu d’un trésor, nous tombions sur des prisonniers morts de faim, comme l’avait sous-entendu Mirek ? On aurait l’air malin.

Derrière moi, Courgette trépignait d’impatience.


— Tu comptes l’ouvrir cette porte ou t’attends qu’on t’amène des croissants ?

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14 commentaires

Tony M. Joe

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Il y a 10 mois

Ouvre la porte, bordayl !!!!
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