Fyctia
2_Départ des engagés d'office
Le cavalier appela le dernier villageois puis claqua les rênes de sa monture. Son kromodon se détourna vers la forêt. Les autres cavaliers encerclèrent les engagés d’office et la formation entama sa marche derrière le premier cavalier.
Gosny, avec son bleu sur le front, posa une main sur l’épaule de Mirek et celui-ci se mordit les lèvres sans que j’en comprenne la raison. La présence de Gosny lui était-elle insupportable, ou, le faisait-il pour tenir bon, pour ne pas s’écrouler.
Le bruit de pas des hommes et des cavaliers se dissipa peu à peu et bientôt, la brume avala le cortège.
Les villageois restés sur place, pansaient leur peine. Certains fixaient, sidérés, l’endroit où venaient de disparaître les engagés d’office, d’autres repartirent vers le bourg, les derniers conversaient à voix basse d’un ton grave. C’est là que j’aperçus ma mère un peu à l’écart de la scène. Elle me souriait avec mélancolie.
Soudain, Mirek me passa devant. Il retournait chez lui d’un pas décidé, sans un mot, sans un regard pour nous.
Je cherchais un truc à dire, un truc du genre, « on est là pour toi », « tout ira bien », mais tout sonnait comme un poncif creux.
Ma mère posa sa main sur mon épaule.
— Tu es venue ?
— Je voulais être là pour toi, Nak.
À cette heure, mon père devait déjà trimer dans son atelier, à préparer sa pâte à pain. C’était la première personne à se réveiller à Bourg Ballon chaque jour de la semaine.
— Tu penses qu’ils réussiront à sauver nos reines ? demandai-je à ma mère, tandis que nous prenions le chemin du retour d’un pas lent.
Je ne sais pas ce que j’attendais comme réponse, je voulais juste entendre quelque chose de rassurant.
— Je l’espère, répondit-elle. Il faudra faire tout ce qui est possible pour y arriver.
Ce jour-là, nous n’avons pas eu cours. Les enseignants avaient vu juste en estimant que personne n’aurait le cœur à se concentrer sur les cours.
Gosny était passé me chercher et nous avons trainé dans l'allée principale du bourg sans jamais évoquer les évènements du matin.
Il me raconta ses leçons d’escrime et comment son père l’encourageait et vantait ses mérites à qui voulait l’entendre, comme si son fils était déjà élu Champion du bourg. Je l’écoutais à moitié. Sa motivation me paraissait déplacée et ces questions d’honneur me passaient par-dessus la tête. Surtout, j’étais persuadé que Mirek échangerait tout l’honneur du monde en échange de son père.
La chaleur du soleil caressait nos nuques. Nos pas nous menèrent vers la ferme de Courgette. C’était la plus belle et la plus grande du village. Dans la cour où était entreposés du matériel agricole et une gigantesque remorque, se cachait le père de Courgette, derrière des piles de cagettes remplies de légumes. Il nous vit arrivés du coin de l’œil, sa moue se contraria aussitôt.
— Qu’est-s’que vous voulez les jeunes ? aboya-t-il, la main en visière pour se protéger du soleil.
— On cherche Courgette, répondit Gosny.
— Pas d’chance, elle est partie, grommela le fermier en prenant une cagette remplie de ribol multicolore.
— Vous savez où elle peut être ?
Le père lâcha sa cagette en haut d’une nouvelle pile et cala ses mains dans le creux de ses hanches pour souffler. Il leva le menton vers nous.
— J’l’ai vu partir d’ce côté, dit-il pas convaincu.
Il indiquait la colline voisine, où habitait Mirek.
Les deux fermiers ne s’entendaient pas terrible. Souvent, j’avais entendu le père de Courgette pester contre son voisin, le traitant d’incapable et de fainéant, tandis que ce dernier bavait de son côté sur le père de Courgette, le décrivant comme un prétentieux au cœur sec. Dans ces moments-là, mieux valait ne pas prendre parti et attendre que l’orage passe.
On remercia le père de Courgette pour son aide, mais celui-ci était déjà retourné à ses cagettes.
Le chemin qui reliait les deux fermes était bordé d’arbres chétifs aux troncs tachetés de blanc. On trouva Courgette assise au pied d’un d’entre eux, la tête posée sur ses genoux. Elle avait le teint rosé, les joues humides et semblait prise de soubresauts. Gosny s’accroupit devant elle et lui demanda la raison de son chagrin.
— J’ai, j’ai, j’ai… j’ai été voir Mirek pour… pour le consoler !
Elle hoqueta bruyamment. Gosny attendit qu’elle retrouve son calme puis l’invita à poursuivre.
— Et alors ?
— Il… il m’a claqué la porte au nez ! lâcha-t-elle avant de fondre en larmes.
Elle enfouit sa tête au creux de ses bras en reniflant bruyamment. On alla s’asseoir à ses côtés, abattu par l'état de notre amie.
— Si je pouvais, j’irais à la place de son père, déclara Gosny en remontant sa paire de lunettes sur son nez.
Personne ne répondit. L’absurdité de son propos dut le faire tilter car il changea de sujet sans attendre :
— Il faut qu’on fasse quelque chose pour notre pote !
— Mais quoi, marmonnai-je dans ma non-barbe ?
— Mirek ne veut pas de notre aide, mais il va avoir besoin d’argent au plus vite. Ça fait deux ans que les récoltes de son père ne donnent quasiment rien.
Courgette sauta sur la proposition :
— T’as raison, faut faire ça ! Il faut absolument le faire !
Mais elle perdit aussitôt son sourire.
— Mes parents ne céderont jamais un kopeck à Mirek.
— Les miens non plus, soupirai-je, mon père n’arrête pas de se plaindre qu’on est toujours limite-limite.
Gosny acquiesça. Je lme tourna vers lui :
— Et les tiens ? C’est peut-être les personnes les plus riches de Bourg Ballon, ils doivent bien avoir quelques piécettes de trop !
— On parle pas de piécette, dit Gosny. Mirek a besoin de beaucoup plus. De toute façon, mon père te répondrait surement que ce n’est pas en étant charitable qu’on protège sa fortune. Surtout si l’argent est destiné à Mirek.
— Tout le village est en froid avec son père ou quoi ?
Vu que personne ne détenait la réponse, personne ne répondit.
L’excitation qui s’était emparée de nous retombait déjà. Chacun contemplait le vide, l’air déçu ou contrarié. Courgette se mit à attraper les cailloux qui lui tombait sous la main, les balançant l’un après l’autre sur le tronc de l’arbre qui poussait de l’autre côté du chemin.
En observant la trajectoire des cailloux se finir dans l’herbe, j’eus cette idée absurde.
— Et si on volait le trésor ?
Gosny se redressa, soudain attentif :
— Le trésor, tu veux dire LE trésor ?
— Le trésor, oui.
— De quoi vous parlez ? s’impatienta Courgette.
— Le trésor de la Roussine, qu’elle cache dans son sous-sol, dit Gosny.
— On est même pas sûr qu’il existe vraiment !
— Ça ne coûte rien d’essayé, fis-je remarquer.
— C’est vrai. M’enfin, elle nous laissera jamais faire !
— Il suffit d’attendre qu’elle quitte son ballon, continuai-je en réfléchissant à voix haute. J’ai entendu dire qu’elle était du genre à se promener en forêt au clair de lune.
— Pourquoi faire ?
— Ça j’en sais rien, mais si c’est vraiment le cas, ça nous offre une occasion en or.
On échangea tous les trois un regard crapuleux.
Je finis par demander :
— Alors, vous faites quoi ce soir ?
18 commentaires
Tony M. Joe
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Il y a 10 mois
LouiseLysambre
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Il y a 10 mois
Layla M
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Il y a 10 mois
John Wait
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Il y a 10 mois