Fyctia
3_Des nouvelles fraîches
Gosny dut sentir mon malaise, car il s’empressa d’ajouter :
— En vrai, si on reste sur les filles, pourquoi pas La Roussine ?
Courgette grimaça. Elle aurait préféré un autre exemple pour défendre son point de vue.
— Si elle voit vraiment l’avenir, ce serait un avantage considérable par rapport aux Arkoprim, développa Gosny.
J’acquiesçai.
— Mais si elle est folle, c’est pas non plus la meilleure idée.
Toute sorte de rumeurs couraient au sujet de la Roussine. Elle détiendrait des pouvoirs, mais rien à voir avec ceux des alterans, non, elle, elle lirait l’avenir. Ça ne faisait aucun sens à nos oreilles, donc on préférait la résumer à une zinzin. Cependant, j'avais déjà surpris certains habitants, pas très fiérots, montés chez elle.
— Moi je pense qu’elle cache des prisonniers dans son sous-sol, marmonna Mirek. Ou des fantômes.
— N’importe quoi, grogna Gosny, c’est un trésor qu’elle abrite dans sa cave.
— Mouais. L’argent ça parle pas. Et moi, la nuit, j’entends des voix.
D’entre nous, Mirek était celui qui habitait le plus près de la colline de Bonne Aventure.
— Des voix comment ?
— Une voix d’homme, qui grogne très fort.
Gosny soupira.
— Tu fais ton intéressant.
Pris d’un coup de sang, Mirek lui envoya une caillasse en pleine tête. Gosny geignit en se tenant le front :
— Hey, mais t’es malade ?
— Je dis pas des mensonges !
Nous étions habitués aux mouvements de colère de Mirek. Bizarrement, c’était souvent Gosny qui prenait pour tout le monde.
— S’ils ont réussi à capturer nos reines, les Arkoprim doivent avoir des pouvoirs incroyaux eux aussi, poursuivit Mirek comme si rien ne s’était passé.
— Ça se dit pas incroyaux, railla Courgette.
— Et bah maintenant que j’le dis, ça existe, répliqua Mirek en lui jetant une poignée d’herbe à la figure.
Les deux se mirent à se chamailler bruyamment en roulant dans les hautes herbes pour s’envoyer des mottes de terre.
Mirek n’avait complètement pas tort. C’était du jamais vu. Pourtant, le conflit qui opposait Stalion à Alastar avait débuté bien avant ma naissance. Comment les Arkosaures avaient-ils procédé pour pas se faire chopper à peine le pied posé dans l’enceinte du palais Genova ?
Et comment avaient-ils pu soumettre les êtres les plus puissants du royaume – dans tous les sens du terme ?
Plus personne n’avait envie de discuter à présent. Mirek et Courgette se couraient après en contrebas de la colline, Gosny massait sa pauvre tête, là où pointait le début d'une bosse, et moi, une vague inquiétude embrouillait mon esprit, déjà bourré d’interrogations.
Une brise fraîche décolla du sol et rafraichit nos mollets.
Au-dessus de nos têtes, le soleil déclinait vers l’Est et des trainées violacées se déployaient dans le ciel, annonçant la soirée naissante. Il était temps de rentrer au village.
Alors qu’on descendait la colline de Bonne Aventure d’un pas traînant, la voix de Mirek s’écria au loin :
— Hé, matez-moi ça ! -Il pointait du doigt le petit chemin qui bordait la rivière en contrebas. - C’est la rapporteuse !
J’aperçus la silhouette qui arpentait le chemin à l’aide d’un grand bâton.
Gagnés par un regain d’énergie, nous dévalâmes la colline au pas de course pour la rattraper en hurlant :
— Rapporteuse ! Dites-nous tout ! Quelles sont les nouvelles du Royaume ? Avez-vous des infos croustillantes ?
Elle haussa les yeux au ciel sans s’arrêter pour autant. Elle portait un énorme sac à dos plein à craquer. La trentaine bien tassée, les cheveux coupés ras, le visage au teint d'un écrevisse enrhumée, elle pestait sur chaque caillou que rencontrait sa godasse – malgré ses énormes bottes.
Elle soupira bruyamment en nous voyant débouler :
— Oh, nan, pas vous.
On s’aligna en file tous les quatre derrière elle et la suivit, aussi droits que de bons petits soldats. Elle essuya son front constellé de gouttes de sueur d'un revers de bras avant de ronchonner -sans se retourner -:
— Ça sert à rien de me harceler, j’vous racont’rais que dalle tant que ch’rai pas arrivé dans votre bled.
— Rapporteuse, dis-nous tout, entonnèrent Mirek et Courgette en balançant la tête en rythme. Rapporteuse, dis-nous tout, où c’est toi qu’on rendra fou !
— On dit folle ! Et arrêtez d’m’appeler comme ça, faces de rigole ! Vous connaissez pertinemment mon prénom !
On le connaissait même très bien. Toutes les semaines ou presque, la Rapporteuse passait à Bourg Ballon déclamer les nouvelles en échange de quelques pièces, avant de reprendre sa route vers la ville suivante où elle répéterait la même chose.
On rappliquait dès que nous l’apercevions, histoire de lui soutirer les infos en avance sur les autres villageois, même si c’était une question de minutes.
Pour respecter cette tradition, Mirek la bombarda de questions :
— Dis ! Quand est-ce que Rek Wan va se pointer chez nous ?
— T’es bien familier gamin ! Et j’en sais foutrement rien ! La dernière fois j’l’ai vu, s’t’ait au Nord, vers la cascade de Shaye. Ça r’monte facile à deux s’maines !
Mes yeux s’écarquillèrent quand elle évoqua la cascade. J’avais toujours rêvé d’aller la voir. On disait qu’elle était plus haute qu’une montagne, si haute que la chute d’eau s’évaporait avant d’atteindre le sol. Et ce, sans alterisation !
— Est-ce que vous avez croisé des alterans ?
— …
—Des arkosaures ?
— ...
— Est-ce qu’ils parlaient ?
— J’espère pas, grommela Gosny qui avait oublié sa douleur.
— La Célébration du Père des Pères aura lieu quand ? continua Mirek, jamais fatigué.
De dos, la rapporteuse semblait garder son calme, mais je notai qu'elle serrait fort son bâton de marche.
— C’est vrai que les culottes de nos Reines sont serties de pierres précieuses ?
Courgette tapa généreusement le plat du crâne de Mirek, dissipant aussitôt son air de gros malin.
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Camille Salomon
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Tony M. Joe
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LouiseLysambre
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🌿🌸 É-Stèle 🌸🌿
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