John Wait La mort dans l'âme 2_Des nouvelles fraîches

2_Des nouvelles fraîches

On l’apercevait rarement en vérité. Sa colline, c’était surtout l’endroit parfait pour causer au calme, loin des adultes, les fesses fourrées dans l’herbe grasse.

Sans surprise, ces dernières semaines, la majorité des discussions gravitaient autour du même sujet.


— Mon père m’a engagé un maître d’armes personnel ! se vantait Gosny, allongé à mes côtés dans les herbes hautes. Il vient chaque soir me donner des cours.


Les parents de Gosny travaillaient à l’office du village et étaient encore plus riches que les miens.


— Mon pèèère à engager un maître d’aaarmes, imita Courgette en forçant son accent pompeux.


Elle subissait ce surnom à cause de la taille de son nez. Ça nous faisait rire, elle, un peu moins, mais étant la seule fille du groupe, elle ne protestait pas trop.


— Tu serais prêt à quitter Bourg Ballon pour partir à la guerre ? demandai-je à Gosny.

— Pour sauver nos reines tu veux dire ? Bien sûr ! C’est l’honneur ultime de devenir Champion ! Papa a bon espoir que je sois le seul villageois à savoir me battre dignement. T’imagines, Nak ?


J’imaginais surtout comment ça me faisait pas rêver. Gosny pouvait m’aligner tous les arguments du monde, son excitation ne m'effleurait pas d'un poil.

Il n’était pas le seul à éprouver cet entrain, nombreux alteran et guerriers du pays devaient attendre le passage de notre régent avec fébrilité. Et ce, malgré l’enjeu crucial de cette mission sauvetage.


La mort de nos reines n’était pas envisageable.


Sans elles et le pouvoir indissociable de leur lignée, Stalion passerait de royaume dominant à région dominable, l’ordre du monde se verrait bouleversé - et pas dans le sens qui nous arrangeait-.

Ces considérations ne semblait pas affecter Gosny.


— C’est quand même dommage qu’on finisse toujours par se taper dessus avec Alastar, réfutai-je.

— Bah, tu veux faire quoi ?

— Je sais pas. La paix ?

— Mouais.

— C'est toi "mouais" ! Tu trouves ça classe de quitter sa famille, ses potes, pour aller croisé le fer ?

— Bin… oui ?


Je soupirai. Pourtant, je savais me battre, moi aussi.

En dehors des horaires d’études, j’apprenais le combat à l’épée et le tir à l’arc dans la cour de l’école. Bon, dans les faits, nous combattions avec des bâtons de bois. Reste que ces entrainements étaient délivrés par d’anciens chevaliers royaux, OK, pas de première fraîcheur, mais leur vénérable expérience éclipsait ce détail.

C’est sans doute pour cette raison que ces sessions baston coutaient un bras. Parfois, des enfants de famille moins aisées nous rejoignaient. Les parents touchaient une bourse attribuée par le royaume leur permettant de payer quelques leçons d’entraînements à leur progéniture... moyennant contrepartie. En échange de cette aide financière, ils étaient, en cas de guerre, inscrits d’office sur le registre des soldats de première ligne, là où la mort cause le plus de ravages.

Certaines familles, genre celle de Mirek, ne pouvaient se passer de cette solde. Il ne leur restait plus qu’à prier fort pour qu’aucun conflit n’éclate dans les années à venir.


— Ça se trouve, ça sera une Championne ! lança Courgette en arrachant une touffe d’herbe.


Mirek émit son habituelle grimace comme si l’idée de Courgette paraissait inconcevable.


— Quelle fille du coin peut impressionner le Grand Rek à ton avis ? interrogea Gosny en remontant ses énormes lunettes sur son nez.

— Bin, je sais pas, mais ça s’pourrait.

— N’importe quoi ! soupira Mirek, ce qui fit voltiger une de ses longues mèches noires en arrière.


Mirek, comme Courgette, était fils de fermier. Sauf que la ferme des parents de Courgette était vaste et colorée, et celle du père de Mirek, modeste et déprimante. Elle se résumait en un lopin de terre qui semblait laissé à l’abandon. Mirek vivait seul avec son père . Leur maison était la seule au village à ne pas avoir de ballon en guise de toit. À la place, il vivait dans une maison de plain-pied, une masure rustique sans cesse ombragée par la plus haute colline de la vallée.


— Tu penses que les filles sont moins capables, c’est ça ? râla Courgette.

— Pas du tout !

— Alors pourquoi tu dis ça ?

— J’en sais rien moi, faut bien dire des trucs !

— Nos rois à nous, c’est bien des filles à s’que j’sache !

— Ouais, Siara et Ariana, OK, concéda Mirek, mais elles, c’est des Genovae, et de la plus pure lignée. Elles ont le rang, elles ont le pouvoir. Les filles de notre village, elles ont juste des ongles sales.


Dans la bouche de Mirek, le reproche tenait de la mauvaise foi la plus crasse. Il avait, quelle que soit l’occasion, l'air de sortir d’un terrier et portait la même chemise, jour après jour. Quand on traversait l'allée centrale du village, les adultes le mataient de travers. Il était connu pour son odeur… particulière et son désintérêt total pour tout ce qui avait attrait à l’hygiène ou l’apparence. Ce qui ne l’empêchait pas de juger celles des autres.


— C’est le pigeon qui se paie le pétrodon ! s’esclaffa Gosny.

— Je travaille au champ moi, monsieur ! Excusez si je n’ai pas le temps de prendre un bain matin, midi, soir !

— Pourtant, les autres paysans du bourg sont propres, eux !


Mirek se renfrogna devant l'argument de Gosny.


J’attrapai une marguerite et la fis vriller entre mes doigts.


— Ce débat n’a ni queue ni tête.


Au fond, un Champion, une Championne, ça revenait au même.


— Ta mère Nak ! balança Gosny.


— Non mais qu’est-c’qui te prend ?


Je pointa la marguerite vers lui façon épée.

Mirek, soulagé de ne plus être le centre de la conversation, ria à gorge déployée.


— Nan, je veux dire, ta mère, elle a largement assez de compétences pour servir parmi les guérisseurs de l’armée, se reprit Gosny. Elle est réputée dans la région !

— J’avoue, dit Mirek. Elle, d’accord.

— Ah, bah tu vois ! Quand t’y cogites un minimum, ça vient tout seul ! fanfaronna Courgette.


Je baissais les yeux pour réfléchir aux mots de Gosny. Il avait raison l’enfoiré.

Ma mère, partir à la guerre. Pour combien de temps ? On sait jamais combien ça dure ces trucs-là. Six mois ? Un an ? Peut-être plus. Peut-être toujours.


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45

45 commentaires

WildFlower

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Il y a 7 mois

Je suis curieuse de découvrir comment Nak a fini dans la fâcheuse situation de départ ! Sinon, j'avoue que j'ai toujours un peu de mal avec le récit à la première personne au passé... Mais c'est ton choix ^^

John Wait

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Il y a 7 mois

Interessant ça, pourquoi ? Tu trouves ça dissonant ?

WildFlower

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Il y a 7 mois

Oui, je suppose que je suis un peu fermée par rapport à ça, pour moi la première personne ça passe mieux au présent et inversement la troisième personne au passé ^^

Layla M

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Il y a 10 mois

Très beau chapitre avec beaucoup de profondeur, j'ai adoré!

John Wait

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Il y a 10 mois

Rooh, c'est gentil ça, merci ! On essaie, l'air de rien, d'effleurer quelques thématiques ^^

🌿🌸 É-Stèle 🌸🌿

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Il y a 10 mois

super ton machin, passe sur mon roman ! <<<<<<<<<< Nan je rigole ! Les dialogues sont bons, j'assiste à leur conversation, spectatrice tout comme le narrateur.

Paige_eligia

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Il y a 10 mois

La guerre c'est comme les réunions on sait quand ça commence jamais quand ça se termine !

Paige

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Il y a 10 mois

Ûne guerre, on sait déjà jamais très bien quand elle commence, alors quand elle se termine : c'est une autre paire de manches. Gosny a l'air horripilant au possible, Mirek mérite de gagner quelques neuronnes, mais j'aime bien Courgette ^^ !
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