Fyctia
0 - Un homme à la guerre
La guerre t’avale et te digère.
Kaaris, poète d'un autre plan
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"L’ombre de l’Alfaroc a recouvert la terre bien avant de la percuter,
Puis elle a déchaîné le feu,
Avant d’amener la nuit qui a déchiré les peuples."
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"On ignore si les arkosaures furent les premières créatures à fouler le sol de notre planète,
on suppose qu’ils se trouvaient déjà là quand l’Homme est devenu Homme."
Extraits des Mémoires du Monde — relaté par la première Strange
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An 998 ap. l’Alfaroc
Aucun flocon de neige ne tombait sur la forêt de Somor. Pourtant, partout où mon regard se posait, le paysage était couvert de blanc. Un blanc sale. Celui des cendres portées par les colonnes de fumée atteignant le ciel en perçant la cime des grands arbres. Elles voltigeaient dans les airs tels des flocons, au gré du vent, avant de rejoindre le sol, maculant au passage les branches, les feuilles, les racines.
La forêt se revêtait d’un manteau gris comme pour mieux cacher l’horreur qui s’y dissimulait.
Restait l’odeur.
Rien ne pouvait étouffer l’odeur âcre, si caractéristique, de grillade morbide qui imprégnait mes narines. L’odeur de la guerre.
Sourcils froncés autant que possible, je brandis l’épée bien haut devant moi. La sueur gouttait le long de mes sourcils et je serrai la mâchoire pour contenir le tremblement de mes membres.
Là-bas, au loin, on percevait le clinquement des métaux et les cris qui s’étirent, aspirés par l’aube. Ici, les cristobombes Negassiennes avaient tout ravagé. Les arbres, les hommes, les animaux.
Aux alentours de la clairière, que des cadavres et des étincelles, une nature calcinée, des amas de corps et de bois brisés, rongés par les flammes.
Mais pas le temps de m’y attarder. J’étais trop occupé à m’engueuler avec une voix dans ma tête.
« Je crains que t’aies plus le choix, mon gars ! Épargner des vies, c’est un luxe que tu peux pas te permettre ! »
« On a toujours le choix ! J’ai qu’à te ranger bien au chaud dans mon fourreau ! »
« Quoi ? J’ai été forgée pour ça ! Et toi, t’as été recruté pour ça ! Si tu voulais pas être là, fallait rester couché ! »
« Genre, j’ai eu le choix ! »
« Je croyais qu’on avait toujours le choix ? »
Je foudroyai mon arme du regard. Je détestais cette épée.
« Et qu’est-ce qu’on fait si on tombe sur un ennemi ? On le laisse te découper en disant "après vous" ? »
« Suffit d’aller là où ils ne sont pas !» pensai-je sans trop de conviction.
« T’es marrant, on trouve que ça des ennemis et sur des kilomètres à la ronde ! On est sur leur territoire pour rappel. Ah, qu'est-ce que j'ai fait pour tomber si bas ? Un soldat qui refuse de tuer, ça pouvait tomber que sur moi. »
« C’est mieux que de tomber sur une épée qui donne son avis en permanence sans qu’on lui ait rien demandé ! »
« Les lamentations de Nak, le retour. Sortez les mouchoirs ! »
J’allai répliquer, mais un bruit sourd fit trembler le sol. Un bruit qui se répétait, aussi régulier que… des pas.
Autour de la poignée de mon épée, mes doigts se crispèrent.
Le silence parut s’aggraver tandis que le son se rapprochait.
Les feuilles bruissaient.
Je restai là, immobile, à scruter la forêt, la bouche pâteuse.
Ça venait sur ma droite.
« Ça sent pas bon mon gars, tu ferais mieux de décamper fissa ! »
Quelles créatures locales pouvaient provoquer autant de vacarme en se déplaçant ? Pas mal, en vérité. Il y avait de grandes chances que ce bruit soit provoqué par un arkosaure et dans ce cas, mieux valait prier que ce ne soit pas un carnivore. Mais vu le contexte dans lequel je pataugeais, il existait une autre possibilité plus que probable.
Ainsi, quand le Bronks surgit des bois, hache à la main, je restai droit sur mes appuis.
Pourtant la créature était haute comme trois moi et elle pouvait m’attraper la tête avec une seule de ses mains. Si ses petites jambes paraissaient ridicules, son tronc taillé en V faisait ravaler la salive au plus prétentieux des troufions.
En me voyant, il se gratta le sommet du crâne :
— Hé, oh, ssé pa toua keu chcherchai !
Il me fallut un moment pour capter sa drôle d’élocution - en même temps, l'augure de ma mort imminente polluait ma concentration -.
Vêtu d’un seul pagne, le Bronks exhibait fièrement les cicatrices qui le zébraient au gré des reliefs de sa musculature outrancière.
« Je t’en supplie Nak, bouge-toi, sinon on va tous y passer ! »
« JE, vais y passer. Toi, t’as qu’à attendre dans la boue qu’un idiot dans mon genre te ramasse ! »
« Et appartenir à un Bronks ? Plutôt crever ! »
Peu réputé pour leur patience, le Bronks en question nous interrompit :
— Ssé pa vrémen d’chanss pour toua pti ga, mé cé leu jeu deu la guairrr. Allé, ramaine toua !
Dilemme. Je ne souhaitai ni le vexer ni obéir. Alors, le géant prit l’initiative. Sa hache fendit l’air, une fois, deux fois. Je parvins à me dérober in extremis - pour combien de temps - ?
— Alorrr, peuti tom, on néssé mêm pa deu seu défandrrr ?
« C’est un lâche, il ne veut pas vous tuer ! »
— C’est contre mes principes ! m’écriai-je.
Le géant ricana :
— Ah, ah, dé baitiz jen nantan bokou ssouvan, mé dé com ssa ! Moua, ssa marrange. Ça fé un Champion gratui à mon tablo dchassss.
D’un geste vif, il dessina un arc de cercle meurtrier avec sa hache. Le tranchant de son arme me frôla le nez, je basculai ma tête en arrière au dernier moment. Le souffle du métal vibra près de mon épaule, je me jetai sur le côté. La hache frappa le sol et son impact se répandit le long de ma colonne vertébrale.
Je détalai de toutes mes forces. Malheureusement, les enjambées du Bronks ridiculisant les miennes, il me rattrapa en quelques foulées. Ce fut le moment que choisit mon pied pour s’engouffrer sous une pierre. Je m’écroulai, tête la première.
Cette fois, je fus sonné, mais pas assez pour ignorer Dyf qui déversait sa rage dans tout mon crâne :
« Abruti de Stalien ! Relève-toi donc ! Et dégomme ce gros balourd ! »
Terre et cendre plein la bouche, je m’appuyai sur les mains pour me relever. C’est alors que l’ombre du Bronks me recouvrit entièrement. Je tournoyai sur le dos et vis deux choses : la silhouette du géant en contre-jour, et un éclat de soleil fiché sur le tranchant de la hache qui fondait sur moi.
C’était fini.
Tuer ou être tué.
J’avais choisi.
J’avais perdu.
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EL Shepard
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Il y a 6 mois
Gottesmann Pascal
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Il y a 10 mois
Tony M. Joe
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John Wait
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Layla M
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John Wait
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LouiseLysambre
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John Wait
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🌿🌸 É-Stèle 🌸🌿
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Il y a 10 mois
John Wait
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Il y a 10 mois