Fyctia
Les « gueules cassées ».
Il hésite, il s’avance, une dame fort grassouillette lui fait signe de faire la queue, elle déclare haut et clair que plus personne n’a d’éducation de nos jours.
Il marmonne une excuse avec la peur même que sa voix éraillée par le manque de tout puisse être considérée comme une autre répulsion. Dix bonnes minutes sont là, il tremble si près de tous ces aliments qu’ils n’osent plus regarder de peur de les manger des yeux et qu’ils se consument sans avoir pu en toucher rien qu’un.
Son tour est là, le marchand le regarde avec dédain pensant bien sûr que ce n’est qu’un rien, ce rien que l’on ignore, mais il fait son métier, alors il lui demande.
— À votre bon cœur m’sieur, je vous sers quoi ?
Pierre ose lever ses yeux devenus trop grands sur son visage émacié.
— Beh…Monsieur, je venais vous demander si quelques fruits et légumes gâtés pourraient m’être donné.
Le marchand le regarde, outré, comment un homme si démuni pouvait-il avoir un langage si châtié et faire l’aumône de son travail durement fait.
— Monsieur, je ne suis pas une œuvre sociale, ces cagettes, c’est ce qu’on appelle « les gueules cassées » ou légumes « moches » c’est bon pour mes cochons, je ne les donne pas.
Pierre n’ose plus rien dire, il est donc aux yeux des êtres moins que les bêtes, après tout plutôt que leur ressembler, il préfère presque être un animal.
Il s’éloigne de ce marché et de ces gens qui ne sont pas plus dotés d’humanité qu’un morceau de glace. Ses pas traînants le poussent jusqu’à des marches de ce qui semble être une église, un lieu de culte où ils doivent tous aller avec leurs cœurs flétris et leurs âmes voulant expiées des péchés dont ils ne doivent visiblement pas mesurer la grandeur.
Le temps est là, celui qui passe sans que le battement de l’aiguille des secondes ne fasse entendre son rythme. Sur ces marches depuis des heures dans l’ignorance des passants, le marché s’est envolé et la moindre miette sur les pavés, balayée. Les magasins ont fermé, les cheminées s’activent, les odeurs de la préparation d’un souper viennent jusqu’à Pierre. Il ne réagit plus, encore un jour sans un aliment, un déchet, un reste pour nourrir son corps si affaibli et il meurt, il en est sûr. Il ne reste rien que le bruit des gargouillis dans ses intestins et l’esprit vide dans le néant.
Il lui reste sa dignité, il se lève, se dirige vers le puit fait de grosses pierres mal taillées, surélevé par une masse de roches faisant un creux où de vieux journaux sont empilés. Il se dit qu’avec sa chance le seau a été enlevé. Il se penche et longe du regard la corde tressée puis, souffle…le seau est là.
Il défait le nœud de la ferronnerie du puit, plonge le seau dans cette eau qu’il pourrait presque toucher du bout des doigts en tendant la main. Ce village a de la chance, il est protégé, si fermé de l’extérieur que le cercle de maisons qui le composent, traduisent aussi la fermeture des esprits de ses habitants. Il remonte et pose ce seau de bois cerclé de métal d’où s’échappe des rigoles de ce fluide précieux. Il trempe ses mains, s’en imbibe le visage, les cheveux qu’il étire vers l’arrière, il se regarde dans le reflet. Il n’a pas tant changé, il n’est que le reflet de son intérieur finalement, contrairement aux gens qu’il croise.
C’est dans cet instant sous le reflet de son âme qu’une idée lui vient tel un éclair dans ce soleil qui décline sous des fluides de nuages épars et de rouge-orangé.
Il réajuste le sac à dos et part vers le chemin où il ramasse des brindilles, quelques morceaux de bois, il retourne sur la place, près du puit. Il regarde les pierres, l’ensemble qui fait de ce puit l’idée tant priée, jumelée à la faim, l’humidité d’une fin de journée se pose.
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Ashley Moon
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