NiniPheelis La citadelle de l'aube Un vilain petit canard (1)

Un vilain petit canard (1)

Derrière la vitre, des lumières dessinaient une ville, ou plutôt découpaient une ville. La lune éclairait les nuages, comme les projecteurs le rideau d’un théâtre d’ombres, faisaient apparaître longs édifices et immeubles massifs parés de rectangles bleus et blancs, les fenêtres, et de triangles jaunes pisseux, l’éclat des réverbères.


Quelle ville ? Esmée le saurait sans doute, si elle avait été plus attentive lors des cours de géographie, mais elle se moquait de la géographie. De toute façon, elle n’avait pas besoin de nom pour s’amuser de ses rectangles noirs qui se découpaient sur le ciel anthracite agrémenté de gros nuages cendre.


Le car roulait depuis une heure avec elle sur un siège et ses deux valises dans la soute, deux valises préparées par sa mère et trouvées au milieu de sa chambre, comme dit sur le mot, sur la table, dans la cuisine. Sur sa montre, elle avait attendu avec amusement que l’écran affiche enfin les quatre zéros qui se suivaient et puis elle avait fixé son regard sur l’obscurité, derrière la vitre.


En vérifiant dans ses armoires et ses tiroirs, inutile sa mère avait tout vidé, elle s’était demandée d’où venaient ces bagages qu’elle voyait pour la première fois. Où était la petite valise vert anis qu’elle traînait depuis l’enfance ? Trop petite sans doute pour sa garde-robe.


En plus de ses deux valises, un sac de sport, dans lequel elle avait bourré les snacks interdits par sa mère qu’elle cachait au fond du tiroir de son bureau, ainsi qu’une besace pleine des affaires de cours achetées pour son lycée, complétaient son équipement.


Dans le car, ils étaient cinq : le chauffeur qui semblait faire corps avec son siège, le poinçonneur dont les chaussures étaient sans doute collées au sol tant il restait stable dans les secousses qui animaient le car, un jeune au regard dur qui devait avoir son âge et qui l’avait toisé de haut avec une moue méprisante pendant qu’elle installait ses valises dans la soute, enfin une vieille dame charmante qui l’avait accueilli avec un grand sourire et des pâtes des fruits.


C’était la première fois qu’elle voyageait seule hors de la ville. Méthodiquement, elle avait suivi toutes les instructions notées sur le mot qui accompagnait une pochette noire pleine de documents organisés dans des chemises, également noires, portant des noms comme pension « Lierres&Lilas », institut Clairjoie, et bien d’autres qu’elle n’avait pas pris le temps de déchiffrer.


Calmement, parce que sonnée, elle avait attendu le car, était montée à bord, avait découvert avec surprise un poinçonneur (cela se faisait encore ?) un chauffeur à la veste en laine assorties au revêtement de son siège (élégant), des rangées de fauteuils bordeaux en majorité vides d’où émergeait deux yeux noirs inamicaux et deux autres noisettes et chaleureux.


Esmée se choisit une place au centre, très éloignée de l’hostile passager, pas trop collée à l’hospitalière voyageuse. La seule bonne nouvelle dans toute cette galère, c’est qu’elle allait enfin savoir où menait cette ligne qu’elle n’avait jamais trouvée sur aucun plan, d’aucune société, d’aucune ville ou région de son coin de monde.


Alors que le car redémarrait, Esmée vérifia une fois de plus les consignes du mot de sa mère ; une amertume s’invita au bord de ses lèvres et dans ses pensées. Est-ce que l’entrée dans les écoles selects de son frère s’était déroulée de la même façon ? Est-ce que sa sœur aussi se débrouillait toute seule pour aller dans son école dont elle refusait de parler ?



— Vous ne descendez pas pour vous rafraîchir ? C’est la seule longue pause du trajet, vous savez ?



À travers la vitre, Esmée découvrit son visage aux grands yeux verts et au travers de celui-ci, une aire de repos illuminé de jaune et de rouge dont le centre commercial qui accueillait les voyageurs avec un très visible panneau « toilettes » couverts de multiples flèches, un autre visage ridé et souriant se tenait à côté du reflet d’Esmée.


D’une main, Esmée effaça la buée sur la vitre. Il faisait chaud dans le bus. Elle n’avait pas besoin de se rendre aux toilettes, mais elle se dit que cela ne lui ferait pas de mal de se dégourdir les jambes et de prendre l’air. Elle trouverait peut-être plus facilement le sommeil après.



— Vous avez raison, je vais descendre, merci de m’avoir prévenu.



— Mais de rien, ma douce.



Les toilettes se trouvaient à l’arrière d’un espace de vente qui proposait toutes sortes de snacks

et de souvenirs kitsch. Elle faillit se laisser tenter par une peluche et se rappela qu’elle avait galéré à tirer ses deux valises pourtant munies de solides roulettes.


Les toilettes étaient pourvues de douches. vingt-cinq minutes d’arrêt, si elle faisait vite, elle aura le temps de passer sous le jet. Cela lui ferait du bien. Esmée le savait. Elle se contenta de passer une serviette en papier humide sur son visage et sur son torse.


Dans le magasin, elle s’attarda devant les revues. De la lecture lui ferait passer la nuit sans encombrer son sac. Au-dessus du présentoir, les vitrines dévoilaient l’aire de repos, le va-et-vient des véhicules, le déversement ou l’engloutissement des passagers des trois cars sur le côté du bâtiment.


Dans un coin du parking, cinq camions s’alignaient. Sous l’auvent qui protégeait les pompes à essence, quelques véhicules faisaient le plein. La vie s’était rassemblée devant et dans le grand hall du centre commercial qui grouillait de monde, beaucoup trop de monde, pour si peu de véhicules.


Et si elle partait ?


L’idée lui était tombée dessus comme une envie de pisser, quelle expression idiote, et pourtant tellement vrai. Comment était-elle passée des idoles sur papier glacé, au parking qui s’étalait devant elle, à une envie de partir loin, de ne plus suivre des consignes sur son bout de papier, de ne pas aller dans cette école.



— Vous prenez un thé ? Ou un café ? Ou un chocolat ? Ils ont même des soupes si vous voulez.



L’invitation avait accueilli Esmée au moment où elle allait passer la porte, presque en courant, pour rejoindre le car, décidée à se mettre à l’abri de ses tentations de fugue. Et comme pour s’excuser ou expliquer sa demande, la vieille dame continua.



— J’ai horreur de boire seule dans les lieux collectifs, mais je ne me suis pas présentée, Mlle Agatha Thymesieult.



La vieille dame se trouvait déjà devant les distributeurs, ses pièces à la main, son regard bienveillant solidement arrimé à la jeune fille, à moins que ce ne soit ce regard qui enchaînait Esmée à cet espace boissons au centre d’une aire, au milieu d’un nulle part qui n’avait pas de nom pour elle.



— Esmée Tergueraulde. Un chocolat, merci.

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5 commentaires

Alaster Penguilly

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Il y a 7 mois

Ce début est intrigant, maintenant, je suis très curieux de voir à quoi ressemblera l'académie de magie ! Esmée y trouvera-t-elle sa place, ou sera-t-elle ostracisée par le reste du monde comme dans ces premiers chapitres ?
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