Fyctia
Un vilain petit canard (2)
Pourquoi avait-elle accepté l’invitation ? Était-il si crucial pour elle de permettre à une vieille dame de prendre une boisson chaude ou avait-elle juste besoin de se raccrocher à une personne dans ce moment si déstabilisant ? La machine coupa ses interrogations par un tintement qui se transforma en un vibrato lorsqu’il relâcha le liquide chaud.
— J’ai eu un Tergueraulde en classe, Eseulp Tergueraulde. Un membre de votre famille ?
— Mon père, s’étonna Esmée qui réalisait que cette information rendait son géniteur absent
terriblement réel, avant de reprendre d’une voix plus neutre, vous avez eu mon père en classe ?
La vieille dame apporta les gobelets sur la table haute prêt de la vitrine à laquelle elles s’étaient installées.
— Vous êtes bien triste, ma douce, triste et inquiète. Avez-vous besoin d’aide ?
La question était tellement directe, qu’elle surprit Esmée. De l’aide ? Dans sa poche, l’affiche arrachée à l’arrêt de bus de son ancienne vie formait une boule. Tout en sirotant son thé à petite gorgée, la vieille dame la couvait d’un œil aiguisé, dans lequel Esmée croyait deviner de la tendresse.
Est-ce cette tendresse réelle ou imaginée qui provoqua l’ouverture des vannes ? Toujours est-il, qu’Esmée se retrouva à raconter à une personne âgée qu’elle croisait pour la première fois toute l’histoire de son départ précipité, de sa solitude dans ce changement qu’elle voyait comme grand, alors que le comportement de sa mère laissait entendre que ce moment allait de soi, était évident et surtout insignifiant.
Elle embraya, elle ignorait pourquoi, sur le fait que de toute sa fratrie, elle était la seule à n’avoir jamais été inscrite dans une école privée jusqu’à aujourd’hui, alors que son frère et sa sœur y allait depuis la primaire. Cette situation qui l’avait toujours isolée, par l’absence de ceux-ci à la maison, mais également par la différence de vécus des uns et des autres, avait fini par complètement les séparer, de faire d’elle un membre à part dans la famille. Sentiment renforcé par le mystère que son frère et sa sœur faisait planer sur l’endroit où ils allaient.
— Les enfants sont cachottiers entre eux, expliqua avec un sourire contrit Mlle Agatha lors d’une pause que prit Esmée pour reprendre son souffle, il ne faut pas vous en formaliser. Ils vous en veulent sans doute de rester à la maison, alors qu’ils sont obligés de partir chaque semaine. Garder pour eux cette expérience est sans doute un moyen de vous faire payer le temps que vous passer avec vos parents.
— Peut-être, murmura-t-elle sans conviction. J’ai toujours eu le sentiment d’être le vilain petit canard, celui qui n’a rien à faire dans le nid familial. Mon frère se plaint constamment d’être toujours là pour réparer mes bêtises et ma sœur… ma sœur elle a inventé la discrétion.
Un long silence s’installa entre les deux femmes, tandis qu’un car qui venait d’arriver libérait un flot de passagers pressés de venir s’appauvrir entre les parois de verre du centre.
— Je suis désolée, soupira Esmée, je vous ennuie avec mes enfantillages.
— Pas du tout, décréta Mlle Agatha en scandant sa réponse, avant de continuer d’une voix douce en lui souriant et lui tapotant l’avant-bras. Vous avez un petit coup de mou et c’est bien compréhensible, après avoir préparé au pied levé votre départ et surtout être montée dans un car inconnu pour une destination tout aussi inconnue. Pour tout dire, je vous trouve très courageuse, je connais bien des jeunes filles, que votre mère aurait retrouvée sous leur couette, pleurant à chaudes larmes.
Un car klaxonna à l’extérieur faisant naître dans le centre commercial des cris d’effroi et des courses précipitées. Les deux femmes regardèrent les passagers se précipiter vers leur véhicule et y pénétrer sous les remontrances du conducteur et de son acolyte. Elles se regardèrent et éclatèrent de rire.
— Eh bien, nota Mlle Agatha en vérifiant la montre qu’elle portait à une chaîne autour du cou, nous ferions bien de ne pas perdre des yeux la course du temps, nous pourrions nous faire bien méchamment tirer les oreilles.
— Vous avez le temps, le car ne repartira pas sans moi et j’ai encore quinze minutes de pause obligatoire avant de reprendre la route, annonça une voix derrière Esmée.
L’épaisse veste en laine moutarde et betterave fut la première chose qu’Esmée découvrit en se tournant, avant de reconnaître le chauffeur qui enfournait de colossales fourchettes de gratin en barquette du distributeur, qu’il accompagnait de larges tranches de pain recouvert de généreuses tranches de fromage.
— Voilà de quoi nous rassurer, décréta Mlle Agatha. Maintenant, ma douce, revenons à votre embarras. Je rentre chez moi à la Citadelle de l’Aube, c’est là que vous allez et je connais assez bien la ville et ses établissements. Par où commencer…
La question ne trouva pas de réponse immédiate, Mlle Agatha ayant décidé qu’il lui manquait quelques douceurs pour accompagner son thé et ses explications, elle s’était approchée des distributeurs pour en examiner le contenu.
— Pour commencer, reprit-elle en bataillant avec l’ouverture facile particulièrement récalcitrante d’un paquet de madeleines, la Citadelle de l’Aube est une ville fortifiée, qui a une histoire trop longue à raconter ici, et qui de toute façon nous perdrait plus qu’elle ne nous ferait avancer. C’est un lieu qui réunit un grand nombre de fonction : gouvernementale, administrative et ce qui nous occupe de sauvegarde du savoir et d’enseignements. Nous bénéficions dont de nombreux établissements d’enseignement réputés dont Clairjoie, c’est un très bon établissement, qui revendique une ambiance chaleureuse, une éducation innovante, et se dit très à l’écoute des élèves.
La prévenante dame s’arrêta pour laisser la jeune fille intégrer ses premières informations et pour croquer dans la madeleine qu’elle venait enfin de libérer de son paquet et de la mauvaise volonté de l’ouverture.
— Clairjoie n’a pas d’internat, mais un réseau important de famille d’accueil pour les enfants qui n’ont pas de solutions d’hébergement. La pension « Lierres&Lilas » accueille des élèves de différents établissements. Mon amie, Obsidée Hautepierre tient à conserver cette diversité et cette ouverture dans sa clientèle. C’est une pension qui reste familiale, Obsidée est très disponible pour les jeunes qui logent chez elle et vous pourrez compter sur elle en cas de difficultés.
1 commentaire
maddyyds
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Il y a 4 mois