Virginie Decamps Iceland 1.2. Maja

1.2. Maja

Chapitre 1


Maja

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À l’intérieur du bâtiment mal isolé, je longe le mur glacé, éclairé par quelques torches aux lueurs sourdes et je croise Astrid. Je lui souris. Elle me montre ses bras chargés de draps qui annoncent un quart de travail loin d’être terminé. La voir trimer du matin au soir pour nettoyer derrière nous provoque une bouffée de honte envers mes pensées mesquines. Dans d’autres circonstances, élevée auprès d’une autre famille, j’aurais pu être comme elle : gagner à peine de quoi survivre et au service d’un tas de personnes qui ne la remarquent même pas.


— Tu en as encore pour longtemps ? demandé-je, essoufflée.


— Je termine, m’assure-t-elle avec un sourire.


Son apprentissage est physiquement bien plus exigeant que le mien, j’en ai conscience, et qu’elle s’autorise à être mon amie est quelque chose qui m’est précieux.


— On se retrouve dehors ? proposé-je.


Astrid acquiesce, nous nous séparons pour aller chacune de notre côté. Ma chambre n’est pas fermée à clé. À quoi bon puisque aucun de nous ne possède quoi que ce soit de valeur ? Selon les érudits et leurs larbins, seul le savoir importe.


D’un regard circulaire, je constate que la pièce a été nettoyée et les couvertures changées. L’air embaume un parfum frais, les poussières ont disparu du minuscule bureau placé sous l’unique fenêtre et la cire a été retirée du bougeoir, désormais orné d’une chandelle neuve.


En deux enjambées résolues, je me cogne au coffre qui me sert de commode et l’ouvre en grand. À mon grand regret, il n’est rempli que de vêtements identiques à celui que je porte., aux teintes tristes et sombres. Tout au fond, je pioche la bourse que j’y ai rangée et me redresse. Elle n’est pas très rebondie, mais suffisamment pour m’offrir une bière ou deux. Cette soirée de liberté m’appelle depuis trop longtemps : pas question d’en perdre la moindre seconde !


Chaque semaine, nous recevons un sou pour notre apprentissage. C’est peu, mais déjà mieux que dans d’autres institutions, où les étudiants ne sont guère payés. De plus, nous sommes nourris et logés par la Bibliothèque, nous n’avons aucune dépense personnelle à effectuer, ce qui est un luxe, surtout en cette période de l’année, quand la nourriture se fait rare.


Un bref regard au miroir accroché au-dessus de mon lit m’incite à libérer mes cheveux de leur coiffure sévère. Avec mes doigts, je démêle les différentes tresses et, une fois satisfaite du rendu, je quitte ma chambre d’un pas allègre. Ma petite rébellion personnelle ! Elle est minuscule. Enfermer mes cheveux dans un carcan rigide ajoute une nouvelle couche à cette triste destinée.


La démarche dansante, je longe en sens inverse les couloirs et m’apprête à sortir à l’air glacé quand une voix sévère me retient :


— Emeliadottir !


Même si je n’en ai pas le droit, j’ai envie d’émettre un « Et merde ! » retentissant. À la place, je pivote sur mes talons, habille mon visage d’un sourire faux et me rapproche du directeur.


— Sir Ingor ? demandé-je.


Mon masque innocent ne le trompe guère. Ses sourcils se froncent alors qu’il me détaille d’un œil critique.


— Où allez-vous ?


Je suis à chaque fois surprise qu’il parvienne à me reconnaître. Nous sommes des centaines à arpenter les divers bâtiments, tous identiques dans nos habits aux couleurs tristes.


— C’est mon après-midi de relâche, expliqué-je. Monsieur.


J’ajoute la formule après coup, tentée de la lui enfoncer au fond du gosier. L’humilité face à nos aînés, face à la hiérarchie, face au savoir transmis par les livres… est tout ce qui importe à ces gens aux vies étriquées.


— Voyez-vous ça, soupire-t-il. Dans une tenue aussi scandaleuse ?


Mes yeux suivent le mouvement des siens, alors qu’il détaille chaque faux pas qui lui saute à la figure : mes cheveux libres, ondulant telle une cascade enflammée, ma chemise rentrée dans mon pantalon et déboutonnée au-dessus de mon décolleté. Rien ne lui plaît. Tout le dérange. Cependant, il ne peut justifier la moindre remarque qui sortira de sa bouche. Je ne fais rien de mal. Persuadée de cela, je relève le menton et patiente.


— J’espère pour vous que vous prenez vos précautions.


Le sous-entendu me mortifie et une rougeur subite me brûle les joues.


— Oui, Sir, assuré-je.


Je ne mens pas : évidemment que je suis protégée contre une grossesse non désirée. Chaque mois, j’ingurgite comme tous les autres étudiants pubères — garçons et filles — une mixture à base de plantes qui prévient ce genre de risques inutiles.


Le directeur fouille mon expression avec une suspicion vexante. Apparemment, il ne trouve rien à y redire car il conclut, de mauvaise grâce :


— J’exige votre retour avant l’heure du repas.


— Oui, Sir.


Je lui dédie une sorte de révérence parfaitement narquoise et me sauve avant qu’il ne trouve une excuse quelconque pour me forcer à rester enfermée dans cet endroit de malheur.

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12 commentaires

Mary Lev

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Il y a 6 mois

Je me demande si la destruction de l’avant poste a un rapport avec l’attaque du prologue

Virginie Decamps

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Il y a 6 mois

Ah oui ! C'est la même attaque :-)

Gottesmann Pascal

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Il y a 6 mois

On attend les réactions au chapitre suivant. En tout cas l'ambiance de ce cabaret est très bien retranscrite et l'écriture immersive. J'aime bien Astrid et sin caractère chaleureux.

Virginie Decamps

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Il y a 6 mois

Merci :-) J'espère que la suite te plaira ^^

Anna C

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Il y a 6 mois

Tu sais toujours aussi bien attisée notre curiosité Virgile ! Avec cette fin, on reste le souffle coupé et on attend d'en savoir plus de la bouche de Kristof. Qu'est-ce qui a bien pu se passer ? Une attaque surprise ? Un traître ? En tout cas, le chapitre est très visuel, j'ai imaginé les personnages, visualisé à l'action dans la taverne en plus des informations que donnent mentalement Maja sur Fridjik et sa bande. Tu dissémine très bien les info, sans que cela n'en fasse trop, mais de manière à nous donner envie d'aller à leur rencontre avant qu'ils ne finissent par rejoindre Maja. Merci Virgile de nous proposer des histoires aussi intriguantes et vibrantes. :3 Qu'est-ce qu'il va bien pouvoir se passer maintenant ? La panique va-t-elle gagner les rangs ? Des ennemis sont-ils en route vers leur direction ? Est-ce que ça va être la chaos et les rumeurs à la Bibliothèque ? Qu'est-ce que Kristof va bien pouvoir ajouter en plus après cette information qui tombe pile au bon moment pour apporter du suspens ? Oh et j'adore Maja ! Ça sent qu'elle a une bonne de caractère comme il faut et que ce n'est pas une jeune femme qui se laisse faire facilement, parfait ! Au revoir les mains baladeuses, casse tout et montre aux autres c'est quoi les bonnes manières ! #Warrior Pas une ambiance viking pour rien. 👌🏻

Virginie Decamps

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Il y a 6 mois

Merci Anna ! J'espère que tu auras l'occasion de lire la suite :-)

Rosa canina

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Il y a 6 mois

Ton écriture est super maîtrisée. Du côté de la narration, tu as l'air de savoir où tu vas (Je ne sais pas si c'est le cas 😅). De mon point de vue, ça marche vraiment bien. Tu m'embarques avec toi!!

Virginie Decamps

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Il y a 6 mois

Merci beaucoup. J'ai un plan pour mon texte, en effet, même si je peux me laisser surprendre de temps en temps pas mes personnages ;-) Architecte, mais pas entièrement non plus :-p

cedemro

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Il y a 6 mois

Aille, la finale de ce chapitre n'annonce rien de bon pour la suite. La guerre arrivera plus vite que je ne l'aurais cru. Ce qui est certain, c'est que tu maîtrise parfaitement ta plume (tu as un don nettement plus grand que ton héroine à cet effet !). Tes descriptions sont incroyables. J'ai l'impression de vivre cette histoire comme si j'en regardais l'adaptation cinématographique. Un grand bravo à toi !

Virginie Decamps

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Il y a 6 mois

Merci beaucoup pour ton commentaire et ta lecture. J'espère que la suite te plaira aussi et que tu auras la curiosité de continuer :-)
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