Fyctia
1. Prologue
Prologue
Reinar
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J’emplis mes poumons de l’air marin, me gorgeant de cette fragrance particulière, chargée de sel et de férocité.
Les jambes légèrement écartées pour conserver mon équilibre sur l’épaisse couche de glace, je cartographie chaque soubresaut de l’horizon plombé. L’océan qui m’entoure n’est qu’à une foulée de ma position. En plissant les paupières, je perçois l’écume des vagues se fracasser contre le récif envahi par les glaces. Au loin, j’imagine les ombres déchiquetées du continent, leur population affamée et sans cesse repoussée par les miens, leurs bateaux pitoyables malmenés par les flots déchaînés.
— Rien en vue ? me hèle Dagur.
— Rien, confirmé-je.
Des éclaireurs nous ont rapporté que des continentaux s’agitaient depuis plusieurs jours. De rapides incursions sans conséquence, mais répétées. À cette période de l’année, quand les tempêtes succèdent aux épisodes neigeux de grande envergure, c’est de la folie de s’aventurer sur l’océan. Naviguer maintenant équivaut à une véritable gageure. Même s’ils crèvent de faim, j’ai du mal à visualiser ces hommes mal organisés prendre la mer pour nous envahir et razzier nos maigres provisions. Comme eux, nous subissons les affres d’un hiver long et rigoureux. Un de plus. Ce que nous sommes parvenus à amasser à la dernière saison estivale ne mérite pas de prendre de tels risques.
— Ouais, soupire mon lieutenant. Je l’aurais parié.
Il s’est rapproché et se tient désormais à ma droite. Sa respiration provoque un nuage blanchâtre devant sa bouche. Le menton couvert d’une barbe fournie, un bonnet au ras des sourcils, il ne dévoile qu’un minuscule morceau de sa figure renfrognée. Son regard bleu pâle me transperce, épinglant mon âme de sa sagacité.
— On aurait mieux fait de rester au camp, conclut-il.
J’approuve, aussi frigorifié que lui. Qu’importe à quel point nous nous couvrons lors de nos patrouilles, le froid nous prend aux tripes et risque à chaque fois de nous enlever des bouts de nos extrémités. Ils sont légion ceux qui ont perdu une partie de leurs doigts ou de leurs orteils à cause des températures polaires.
— Rentrons, décidé-je.
Avant cela, je jette un dernier regard circulaire, par acquis de conscience. Je n’ai pas envie de passer à côté de quelque chose. Les incursions ne sont jamais nombreuses en Iceland, surtout en plein hiver, mais elles existent. En général, il ne s’agit que de quelques groupes isolés, portés par le désespoir, espérant trouver de quoi survivre, un ou deux mois de plus. Mais ce que les missives de la capitale laissent entendre n’a rien à voir avec des attaques ponctuelles, souvent perpétrées au début du printemps, par des hommes mal préparés. D’après le général Gunnarsson, les continentaux se regroupent. Ils s’organisent. Leur but n’est pas simplement de glaner un peu de nourriture, selon mon supérieur : ils veulent s’emparer de l’île. Je secoue la tête, peu convaincu : quel non sens ! Contrairement à eux, nous avons une armée, prête à les recevoir.
— Reinar, m’appelle mon second.
Il a déjà entamé sa marche vers notre base, longeant la falaise escarpée. Pressé de se réchauffer et boire le bouillon de poule que le cuisinier nous a préparés, il ne s’embarrasse pas de précautions inutiles : l’un et l’autre, nous connaissons les lieux et leurs pièges, même au bord de ces escarpements rocheux, là où l’océan déchaîné se fracasse contre les pierres émoussées.
Je m’attarde un instant, puis avance à mon tour.
Mes semelles crantées crissent dans la neige verglacée, tandis que je me rapproche de la falaise, les yeux plissés. Au loin, des ombres se meuvent, erratiques, ballotées comme des noix entre les vagues furieuses.
— Rein’ ?
Une note d’inquiétude colore le timbre rauque de Dagur.
— Regarde ! intimé-je.
L’index tendu, bien protégé par mon gant de cuir doublé de fourrure d’ours, je désigne les silhouettes encore indistinctes que la mer semble vomir sans délicatesse. Des navires. Des dizaines de bateaux qui se dirigent droit vers l’Iceland.
— Putain de merde ! s’écrie Dagur.
On n’a jamais vu ça. Les continentaux n’ont pas autant de bateaux à envoyer sur nos terres. Surtout, ils ne les regroupent pas pour passer à l’offensive. Ensembles.
En gestes saccadés, Dagur décroche son cor, le porte à ses lèvres et souffle dedans.
Une fois.
Deux fois.
Trois fois.
Lorsque la quatrième, longue et plaintive, résonne à travers la lande désolée, je ferme les yeux et prie.
Nous sommes attaqués.
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