Fyctia
Chapitre 21 - Part 1
Jared
Lorsque je sors des vestiaires, j’affiche un sourire en coin. Marley a le don, même dans les moments où je touche le fond, de faire ressurgir des tréfonds de mon esprit celui que j’aime être avec elle par-dessus tout.
J’aimerais tellement lui expliquer ce qui s’est passé. Lui confier mes soupçons concernant ce type, cette impression qu’une part de moi n’est pas vraiment moi et que ça me bouffe de l’intérieur. Chaque tentative s'est soldée par le même genre de décharge que je me prends dans ces cas-là. C’est con à dire, mais j’ai la sensation que je m’habitue. Plus ça va, moins ça m’atteint. Alors, je croise les doigts pour qu’un jour, cette douleur soit si insignifiante que je pourrai tout lui raconter.
Je pousse les portes battantes du gymnase et d’instinct, je cherche après elle. C’est dingue comme en peu de temps, elle est devenue ce havre de paix auquel j’aspire. Auprès d’elle, tout est plus facile, tout fait moins mal. Parfois, j’en oublie presque ce besoin que j’ai de me souvenir. De retrouver qui je suis. Le temps de quelques minutes ou quelques heures, je suis juste moi.
Sans difficulté, grâce à cet œil qui m’aide plutôt pas mal, je la repère et fronce les sourcils. Si tout à l’heure avant qu’on se quitte, sa mine était plutôt joyeuse malgré les soucis qu’elle se fait pour moi, cette expression que je lui découvre m’inquiète. En pleine discussion avec le prof de sport, il prend un air grave, grimace et lui désigne le banc un peu plus loin. Résignée, Marley acquiesce et, le pas trainant, file s’asseoir.
Un coup de sifflet retentit, les équipes se forment, mais mon attention reste focalisée sur elle et je passe à côtés de mes coéquipiers pour la rejoindre. Elle me suit du regard jusqu’à ce que j’arrive à sa hauteur puis, lorsque je m’assois à côté d’elle, elle esquisse un léger sourire.
— Tout va bien ?
Elle jette un coup d’œil aux étudiants qui se dispersent sur le terrain et acquiesce.
— Ouais, c’est juste… Je me sens pas super bien.
Je fronce les sourcils pour la énième fois et me concentre sur elle. Les battements de son cœur sont fort et irréguliers. Il peine à reprendre un rythme normal et ce n’est pas la première fois que je le constate.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? tenté-je.
Elle soupire, baisse les yeux sur ses doigts pour que je ne distingue pas son visage et mon inquiétude monte d’un cran. Merde, mais qu’est-ce qu’elle me cache ?
— J’ai sauté le petit déjeuner ce matin, ça doit être ça.
J’acquiesce, sceptique, et la fixe tandis qu’elle ne bouge pas. Pourquoi est-ce que j’ai l’impression qu’elle me ment ? Est-ce qu’elle angoisse à mon sujet au point de perdre l’appétit ? Si c’est le cas, je dois arrêter avec mes conneries et la tenir un peu plus à l’écart.
— Pourquoi t’as l’air aussi triste ?
Ces derniers temps, mes phrases ont tendance à sortir toutes seules. Certaines d’entre elles me valent souvent une décharge. Celle-ci semble passer au travers. Peut-être parce que s’inquiéter pour quelqu’un rentre dans le cadre d’une amitié.
Elle lève ses orbes verts sur moi, j’essaye de deviner ce qui se passe dans sa tête et elle hausse les épaules.
— C’est rien, j’avais juste envie de jouer avec toi et de leur mettre la pâtée. Ce sera pour une prochaine fois.
Au même moment, le prof me rappelle à l’ordre et me demande de ramener mes fesses pour qu’il puisse siffler coup d'envoi. Un instant, je songe à l’envoyer balader pour rester avec elle.
— Vas-y, t’en fait pas. Et fait leur mordre la poussière. Enfin pas trop, faudrait pas qu’ils te grillent non plus.
Elle devine toujours à quoi je pense. Cette fois, ses lèvres s’étirent un peu plus et j’opine avant de me remettre sur mes pieds pour trottiner vers mon équipe qui patiente.
J’enchaîne les passes décisives, les dunks, les lancers francs, sans jamais rater aucune de mes actions. Pourtant, mon esprit est braqué sur elle. Mes pupilles dès qu’elles le peuvent vont à la rencontre des siennes qui ne me lâchent pas une seconde. Elle se lève parfois pour m’encourager ou m’applaudir et en moi, un sentiment nouveau nait. Quelque chose qui me vaut immédiatement un rappel à l’ordre. La douleur parcourt mon corps et me force à m’arrêter alors que je cours. Le souffle court, je me penche en avant et pose mes mains sur mes genoux, histoire d’encaisser. Durant quelques secondes, plus rien autour ne m’atteint sauf ce mal qui me rappelle souvent que je ne suis pas comme les autres.
Heureusement, personne ne s’en aperçoit et la fin du cours sonne. Ce n’est que lorsque je sens une main sur mon épaule que je reprends pied et que la souffrance s’évapore. Je me redresse, baisse le nez sur Marley qui m’examine, soucieuse, et je lui souris comme je peux.
— Ça ne va pas ?
J’ouvre la bouche, rien ne sort comme d’habitude et je me contente de hausser les épaules. Elle comprend aussitôt que je ne peux pas faire plus. Ses doigts pressent avec bienveillance mon bras, une nouvelle décharge, beaucoup plus légère m’avertit, mais je l’ignore. Elle est largement supportable.
Afin de la rassurer, je lui souris un peu plus, puis, pour envoyer chier cette part de moi qui me défie, je passe mon bras sur ses épaules.
— Allez, viens, soufflé-je en désignant les vestiaires.
Sans résister, elle avance à mes côtés, tandis que je repasse en boucle dans mon esprit ce qui vient de se passer. Devant la porte, je me détache d’elle et nous nous séparons pour aller nous changer.
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