Fyctia

— Si tu t’en vas, l’amour va mourir, je serai une âme en peine vagabondant dans le monde à ta recherche !

Je m’esclaffe en réaction à la phrase de Will. Ce type est simplement génial et m’a fait vivre un bon moment, excluant toutes mes pensées qui torturaient mon esprit. Boire une bière dans un troquet pas loin du campus et parler de conneries, voilà ce dont j'avais besoin.

Ses pupilles pétillent de malice.

— T’es philosophe ! lui dis-je.

— Intello, mec.

Nous marchons les mains dans les poches, côte à côte. Cette première journée n’aura pas été si mauvaise finalement. J’ai raté le premier cours, mais je ne le regrette pas.

Je lui jette un bref coup d’œil. Son visage se fend d’un sourire taquin.

— Et sportif ? complété-je, suite à son allusion quelques minutes plus tôt, sur ses performances athlétiques.

— Les deux, ouais, rit-il.

— Sérieux, à qui appartient ta phrase ?

Depuis qu’on se connaît, c’est-à-dire moins de 24 heures, il n’arrête pas de me citer de grands écrivains de la littérature anglaise. Je dois avouer qu’un mec qui s’entraîne physiquement quasi non-stop chaque jour pendant deux heures est déjà dément. Et qui participe à chaque grand marathon de l’année dans les rues de New York, avec l’objectif de battre le record du monde, tout en s’intéressant aux lettres, n’est pas commun.

Mon attention percute son clin d’œil.

— À une fille qui m’aime alors qu’elle ne le sait pas encore.

— Quelle meuf ?

— Déjà, tu ne connais pas trop de meufs ici, donc, si je te le dis, ça ne te servira à rien. Pas encore, quoi.

— Dis toujours.

— C’est pas une meuf, mec. C’est une femme. Mûre, précise-t-il avec une grimace hilarante.

J’éclate d’un rire franc à sa boutade. Ce mec deviendra mon plus grand pote, je le sens.

— C’est là qu’on se quitte, mon appart est par là, m’indique-t-il.

— Ok. À demain, Will !

Il me salue d’un geste de la main avant de partir presque en courant. Comme s’il commençait son entraînement d’aujourd’hui.

Mes pas bifurquent sur le Washington square Park. J’ai besoin de décompresser avant de rejoindre la maison de Morgan. Cet endroit se situe pile dans le quartier de Greenwich Village, ce qui me rapproche de mon domicile éphémère, tout en m’en éloignant.

Le temps pour Eden de rentrer, s’enfermer dans sa chambre, et moi, d’éviter de la croiser sur le pas de la porte.

Pour les repas, aucun problème. Chacun s'alimente quand il le souhaite, d’autant plus que Roxane et Morgan sont souvent de sortie en ce moment. Que le frigo contient toujours des plats prêts réalisés par le mec de la maison. Et que ma meilleure amie ne me demandera pas de dîner avec eux, comme d’habitude, parce que depuis sa fiancée, Morgan préfère manger comme les français : en famille.

Et que ça ne m’arrange pas en ce moment…

Mon regard se perd dans le vide devant moi, n’écoutant que le bruissement des arbres. Ce parc contraste avec le rythme soutenu de New York. Son atmosphère paisible me plaît.

Mes yeux s’émerveillent à la vue du Washington’s Arch, une arche érigée pour célébrer l’investiture de George Washington, sous laquelle je passe. Un pianiste s’évertue à faire tinter les touches de son instrument pour y déverser une mélodie entraînante qui m’est inconnue, mais agréable à l’oreille. Cette ville est vraiment surprenante, mais rien d’étonnant. Ce parc attire des artistes et d’après Roxane, certaines stars célèbres s’y sont produites. Peut-être même qu’elle fera une représentation un jour, qui sait ?

Je poursuis ma route, dépassant les étudiants qui s’arrêtent pour l’écouter.

J’adore la musique moi aussi, ce n’est pas pour rien que je faisais partie du groupe de Roxane à Paris et que j’ai accepté sa proposition ici.

Soudain, au souvenir de la capitale parisienne et de ma mère, une pensée sombre perce mon intérieur et un nœud se forme sur ma gorge. Je déglutis et le chasse.

Un homme ne pleure pas. Jamais.

J'aspire une grande bouffée d’air, éjecte la phrase fétiche de mon daron qui ose encombrer mon esprit. Je repère un banc et j’y prends place, abandonnant mon sac à mes pieds. Mes pupilles se baladent sans but, tout autour de moi. Mes lèvres s’étirent quand je découvre un message de déclaration d’amour écrit à la craie sur le sol, puis je sors un paquet de clopes de ma poche de pantalon. Celui qui poireaute sagement d’être ouvert depuis que j’ai posé les pieds sur le sol américain.

Ça aussi c’est nouveau. Pourtant, j’avais arrêté.

Mais, les derniers évènements vécus à Paris ne m’ont pas vraiment aidé. Et puis, conjugués à l’histoire avec Eden…

J’inspire puis expire longuement.

Roxane ignore tout et je ne veux pas lui encombrer l’esprit avec tout ça. Elle est heureuse, va se marier en juin, dans 4 mois, attend des jumeaux. Je le lui dirai plus tard. Elle doit savoir que j’ai changé.

Ce que j’ai fait.

J’efface mes pensées d’un coup de balai virtuel, puis me concentre sur mes environs. Du coin de l’œil, j’épie les gens, tandis que sort un Zippo de ma poche. J’allume ma clope. J’aspire profondément puis lâche un nuage de fumée dans les airs. Ça me fait du bien.

Je sursaute presque quand dans la pénombre de la nuit qui se pointe, j’aperçois des yeux océans qui s’approchent de moi. Je les aurais reconnus entre mille, même si l’obscurité devenait totale.

Ça me fou la frousse, putain.

Parce que j’ignore si je parviendrais à l’oublier un jour.

La silhouette de la meuf qui a choisi de rentrer au bercail pour suivre des études dans mon campus, plutôt que l’université de Californie où elle se trouvait, s’avance à pas lents vers moi.

Une fois à ma hauteur, elle stoppe ses pas, puis s’assieds à mes côtés. Je me demande si elle arrive là par hasard ou… si elle me cherchait ?

Ses sourcils qui se froncent et son air qui semble me prévenir qu’elle va me réprimander me font sourire.

— Roxane sait que tu fumes ? me dit-elle d’un ton agacé.

Je tire sur ma clope, crache la fumée sur le côté pour éviter de lui vaporiser le visage de nicotine, puis affiche un rictus.

— Roxane n’est pas ma mère, lui dis-je avec arrogance.