Fyctia

Son regard fixé sur Allan, le draconien se rassure en ne voyant aucun changement dans l’attitude de son interlocuteur suite à son mensonge.

— Vous n’avez pas à me donner les détails, poursuit Allan. Par contre, la vue de votre vêtement me rappelle vaguement quelque chose. Un homme est venu au magasin il y a quelques jours et il portait une robe très similaire à la vôtre.

— Vous êtes certain que sa robe ressemblait à celle-ci ? demande Alban, l’inquiétude prenant naissance sur son visage.

— Je vends ce genre de vêtements dans mon magasin. Je sais reconnaître les différences entre les modèles. Cette robe est d’une très grande qualité. Est-ce important ?

— Comme vous venez de l’expliquer, ce type de robe est unique et je doute qu’un simple voyageur puisse mettre la main un vêtement de ce genre si facilement.

— Si vous le dites. Maintenant, pardonnez-moi d’être brusque, mais je dois retourner au village pour voir si quelqu'un a vu mon fils. Mélia, je peux reprendre mon cheval ?

— Bien sûr Allan… En passant, je vais quitter pour un voyage avec Liam. Pourriez-vous informer les villageois que nous serons absents pour un bon moment ?

— D'accord. Avec ce qui se passe ces jours-ci, j’aimerais faire de même dès que j’aurai retrouvé mon fils. Si vous apprenez quelque chose à son sujet avant votre départ, faites-moi signe.

— Évidemment.

Refermant la porte, Mélia se retourne vers Alban qui adopte toujours ce même visage consterné qui est apparu à la mention de la robe noire.

— Je sais que quelque chose te tracasse… lance-t-elle simplement.

— En effet, je suis vraiment effrayé par les implications que cela représente. Vois-tu, cette robe, elle ne provient pas de la Terre des Humains. C'est un vêtement magique d'une grande valeur.

— Il a probablement confondu avec un autre vêtement similaire. Après tout, une robe reste une robe, peu importe sa qualité.

— C'est une possibilité, mais ton ami semblait bien informé. De plus, cet inconnu en connaît beaucoup sur la pierre que je t'ai donnée. Ce point ne fait qu’appuyer mes craintes. Je crois savoir qui est cet homme…

— Tu pourrais aller le confirmer au village ?

— Impossible. Si j'ai raison, il ne faut surtout pas qu’il remarque ma présence ici, car cela ne ferait qu'empirer les choses et mettre notre fils en danger.

— Liam est déjà en danger à en juger par les actions de son ami...

— Oui et c'est pourquoi il doit partir pour la Terre des Elfes aussi rapidement que possible. Cet homme, aussi dangereux soit-il, ne pourra pas le suivre là-bas à moins de se compromettre. S'il le fait, alors je pourrai intervenir et il regrettera amèrement de s’en être pris à mes proches !

— Je ne veux même pas savoir qui est cet homme, car je sens que mon cœur de mère n’y survivrait pas. Promets-moi juste de veiller sur lui et sur Xia, je t’en prie !

— Je te le promets. D’ailleurs, toi aussi tu vas devoir partir pour le monastère dès que possible. Je te suggère d'aller l’annoncer à ton fils de ce pas. Je t'aiderai ensuite à rejoindre le monastère par la magie, car tu ne dois surtout pas être vue sur la route.

Hésitante, Mélia reste immobile alors qu'elle pense et repense à ce qu'elle doit faire. Le cœur serré, elle sait qu'elle ne pourra pas quitter si les émotions prennent le dessus. Déterminée, elle s'avance donc vers son compagnon qui remarque la froideur de son regard.

— Ce que je vais te demander va te paraître épouvantable… commence la femme mure d’une voix vibrante d’émotion. Je dois partir dès maintenant sans revoir mon fils. Je sais que je vais craquer sinon…

— Je n’en reviens pas comme ton cœur est noble ma chère Mélia. Tu n’as pas idée à quel point je suis fier d’avoir fait ta rencontre il y a un peu plus de vingt ans… Tu prends la bonne décision, car Liam aussi aura de la difficulté à partir si les émotions l’envahissent. Va préparer tes affaires et reviens me voir quand tu seras prête.

Sans même répondre, écrasée par l’appréhension vis-à-vis de son départ, la femme s'éloigne pour se rendre à sa chambre sous le regard triste de son compagnon d’infortune. Ce dernier voit bien les larmes qui coulent le long de ses joues et il espère simplement que tout se déroulera pour le mieux.

Lorsqu’elle revient peu après avec un sac sur l'épaule, le draconien est conscient qu’il est préférable de ne pas étirer cette situation difficile. Sortant un anneau de sa poche, il le passe au doigt tremblant d’émotion de sa compagne.

— Cet anneau te permettra un seul voyage. Je ne veux pas mettre ta vie inutilement en danger en te donnant un objet qui permettrait à ce monstre de te retrouver.

— Je comprends. Promets-moi une dernière fois de prendre soin de notre fils.

— Bien que je ne puisse l’accompagner, je te promets de veiller sur lui. Xia aussi sera là. Elle est beaucoup plus forte qu’elle en à l’air, tu peux être rassurée.

— Peut-être, mais le risque est grand, tu le sais autant que moi. Après tout c'est toi qui m'as raconté toutes ces histoires de conflits qui ont opposé les elfes aux humains…

— Liam et Xia partagent une mission commune et un besoin pour l’aventure. Certainement, le plus dur sera de convaincre les autres du bien fondé du rapprochement, mais j’ai confiance en eux...

— Cela me semble une grande mission pour deux jeunes personnes ayant vécu dans la solitude et la protection de leur demeure pendant si longtemps.

— C'est vrai, mais n'oublie pas que Liam possède un bagage génétique que personne ne peut se vanter d'avoir et je peux te dire que Xia est une descendante directe d’une des membres de mon groupe. Ces deux-là peuvent accomplir de grandes choses ensemble.

— Je l'espère de tout mon cœur…

— Je suis désolé de t'imposer cela et je regrette de t'avoir chargé d'une tâche aussi ingrate il y a vingt ans de cela...

— Ne regrette pas. J’ai connu le bonheur pendant la moitié de ma vie humaine grâce à toi. C'est un cadeau inestimable et je t’en remercie.

— Je suis heureux que tu le prennes ainsi. J'espère que notre fils comprendra lui aussi...

— Je l'espère. Adieu Alban, je suis heureuse de t'avoir revu.

— Moi aussi. J'espère bien pouvoir te revoir dans de meilleures circonstances très bientôt.

Ne trouvant pas de mot pour exprimer son doute, Mélia se contente de se concentrer sur l'anneau en visualisant le seul lieu qui puisse lui revenir en tête après tant d'années : la salle où elle a passé de longs moments à discuter avec Alban…

Voyant le corps de sa compagne devenir vaporeux, le draconien reconnaît l'effet du sort de transport qu'il a infusé dans l'anneau. Après quelques secondes, son regard n'a que le mur de l'autre côté de la salle commune sur lequel se fixer.

Le cœur lourd, Alban doit prendre quelques minutes suivantes pour dissiper l'immense tristesse qui l'envahit.

Il doute que son fils prendra aussi bien la nécessité du départ précipité de sa mère...