Arca Lewis WOLF 6.1 Le retour du fils prodigue

6.1 Le retour du fils prodigue

Merde.


Je restais immobile devant mon écran. Sidéré, je crois que c’est le mot qui convient. J’étais sidéré devant ce nom sorti des abysses. Impossible que ce soit une homonyme, ou peut-être que si…

Je m’empressai d’ouvrir sa page de présentation pour afficher sa photo. Des cheveux bruns et fins. Toujours la coupe au carré. Teint de porcelaine. Des prunelles semblables aux miennes.


Merde. Esther.


Je ne peux pas décrire précisément ce qui se passait dans ma tête, les connexions logiques n'avaient rien de très logiques – la pilule rouge ne passait pas. Je buguais sur le fait qu'il n'y aurait pas dû y avoir son nom. Elle n'avait rien à voir avec WOLF. Elle, l'informatique et la tech, ça ne l'avait jamais branché. Elle avait fait une école de commerce, suivi d'un double master en sciences politiques et en communication à la Sorbonne. Son seul lien avec WOLF c'était moi, sauf que je n'avais rien à voir avec ce papier bizarre, cette société de conseil, cette affaire, « ça », sans vouloir plagier Stephen King.


Qu’importe ce que l’on pense des sociétés de consulting, que c’est de l’arnaque ou à l’inverse que c’est un outil indispensable pour établir une stratégie d’entreprise, que c’est l’avenir de l’audit ou un fucking bullshit concept, quiconque travaillant pour un réseau social doit être extrêmement vigilant dans ce domaine. Deux mots : Cambridge Analytica, le scandale qui a jeté l’opprobre sur Facebook en 2018. Au final, Meta se porte encore très bien malgré cette fuite massive de données employées à des fins électorales qui nous a conduit au Brexit et à la réélection de Trump en ce mois de novembre 2024. En revanche, je n’étais pas certain que WOLF s’en sortirait aussi bien si une affaire similaire éclatait. La politique de la maison reposait sur la transparence et la confiance des états de l’Union Européenne. Plus Qatar, Égypte et Liban désormais.


Je ne savais pas encore dans quoi j’étais tombé, je comprenais simplement que ce nom, dans ce putain l'organigramme, allait m'attirer des emmerdes. Une avalanche d’emmerdes si ce test ranking n’était pas clean. La moindre peine que je pouvais espérer, c'était le chômage après licenciement pour faute grave. Quelle faute grave d'ailleurs ? J'ignorais si quelqu'un quelque part avait réellement commis une faute grave, mais si faute grave il y avait, ce n’était pas la mienne.

La présence d'Esther, à qui je ne parlais plus depuis que je fréquentais Nina, ne pouvait être qu’une coïncidence. Ou peut-être que non. Peut-être étais-je une couverture ? Rien d'anormal à ce que des tests clients soient effectués par quelqu'un de mon réseau de connaissances. Peut-être qu'Esther avait délibérément démarché quelqu'un de mon service pour qu'en cas de fuite je sois accusé à sa place et servir de bouc émissaire…

L'idée ne tenait pas debout, mais dans mon état de fatigue, je ne pouvais plus faire le tri des informations. Entre deux bâillements, j’ai quand même réussi à me demander si je n’étais pas en train de me faire un film complet. Je me disais que la nuit – et en l’occurrence la fin d’après-midi – porterait conseil.


J’ai roupillé une douzaine d'heures à peu près, jusqu’au jeudi matin. J’avais besoin de retrouver ma lucidité pour démêler les nœuds de mon cerveau. Je réfléchissais pendant que je faisais la queue à la boulangerie. Il n’y avait pas lieu de paniquer, je devais d’abord suivre le protocole standard. En d’autres termes : je devais en référer à mon manager. L’idée d’en parler à Vincent m’arracha une mimique répugnée.


Je l’ai trouvé facilement ; le plus souvent, il s’installait dans l’une des salles de réunions, ça lui donnait l’impression d’être important avec son propre bureau individuel. À travers la vitre, il pouvait observer une partie de ses équipes comme un vrai petit capo. Lui tournait le dos à la cloison en lambris, afin que l’on ne voie pas son écran de notebook depuis la salle. Je suppose que ça lui permettait d’aller éplucher le catalogue en ligne des polos Tommy Hilfiger sur ses heures de travail. Médisance gratuite me direz-vous. Oui, sans doute, il devait plus probablement répondre à ses messages privés sur Meetic.

Je me suis raclé la gorge pour signaler ma présence, bien qu’à mon humble avis il m’avait vu arriver par mon ombre portée sur la moquette d’imitation pelouse.


— Vincent, est-ce que la société Leiodes Consulting ça te dit quelque chose ?

— Absolument pas, répliqua-t-il sèchement sans m’adresser le moindre regard.

— On n’a jamais fait appel à eux ? Pour un audit externe par exemple ?

— Arthur, je m’en souviendrais. Je gère, ok ? Je n’ai jamais entendu parlé de cette boîte. Pourquoi tu viens m’enquiquiner avec ça ?


Il daigna enfin m'accorder de l'attention et me transperça avec les pics à glace qui lui servaient d’iris.


— Rien… j’ai juste trouvé un papier dans la broyeuse, et je ne me rappelle pas qu’on ait sous-traité des phases tests récemment.

— Broyeuse ? releva-t-il. Ça ne vient pas de chez nous alors.


Il a reporté son attention sur son Mac. Je n’existais plus.


Je ne savais pas comment interpréter sa réaction. Vincent était un mec imbuvable, dans toutes les situations, je n’aurais pas dû me préoccuper outre mesure de sa façon de balayer ma question d’un revers de main. Pourtant… cela me semblait trop empressé. Je m'étais mal exprimé, ce papier venait bien de notre équipe, mais je n'osais pas revenir à la charge. Je regrettais d’être venu lui parler. Un frisson hérissa mes poils.

Comme je restais figé devant sa table, il m’a lancé :


— Maintenant concentre-toi sur ton travail au lieu de fouiller dans les poubelles.

— Je ne fouille pas dans les…

— Tu es loin d’être au top, Arthur, me coupa Vincent. Tu dois te concentrer. Et puis c’est quoi ce nouveau look grunge que tu adoptes depuis deux semaines ? Tu as braqué un clochard ?

— Ouais, devant le Canapé Queer.


Ma réplique eut le mérite de briser son petit air suffisant. Il fit mine d’être beaucoup trop occupé par ses fichiers invisibles pour me répondre. J’ignorais pourquoi mon abruti de manager cachait son orientation sexuelle et je m’en fichais, tout ce qui comptait, c’était le poids de cette information en ma possession. Néanmoins, j’aurais probablement dû obéir à mon manager et abandonner ce maudit papier dans une corbeille, au lieu de me raccrocher à lui. Pas de Nina, pas de Pénélope… avec le recul, il est clair que mon esprit dysfonctionnel avait besoin d'un exutoire.

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17 commentaires

alsid_murphy

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Il y a 2 jours

👍

Leo Degal

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Il y a 10 jours

Bizarre affaire, cette crainte subite... Curieuse d'en apprendre plus sur Esther...

Gottesmann Pascal

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Il y a 15 jours

L'état intérieur de Guillaume se voit sur son apparence et inquiète son entourage pro. Mais ça va être dur de remonter la pente.

Arca Lewis

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Il y a 15 jours

Arthur (pourquoi Guillaume ? ^^)

Astrid.D

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Il y a 15 jours

Félicitations pour ton CP ! 🥰

NohGoa

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Il y a 16 jours

SunLike :D
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