Fyctia
5.5. Femmes fatales
Les canidés du treizième étage m’ont accueilli à leur manière, complètement indifférents au trouble qui m’habitait.
— Alors ? Ça fait du bien de retrouver de l’eau chaude ? me lança Jib après avoir bruyamment reniflé sur mon passage.
— Ouais ouais… marmonnai-je.
— Tu viens prendre un capuccino ? me proposa Titouan.
— Non merci, je suis passé au Starbucks.
— En fait t’es dans un mood ours des cavernes ? C’est pour ça que tu ne t’es pas lavé la semaine dernière ?
— Je connaissais le loup dans la bergerie, mais pas l’ours dans la meute de loups, rigolait Titi.
Je bougonnais sur mon incapacité à trouver une réplique cinglante. Qu’importe, grâce au contact de Jib chez Facebook, j’avais eu mon prétexte pour contacter Juliette et l’employer comme diplomate auprès de Nina. Je pouvais bien lui pardonner ses blagues de merde.
Je cherchai Matis des yeux et le repérai vite sur notre table habituelle. Visiblement, il était déjà à fond sur son Hewlett-Packard. Je déposai mon gobelet de café gribouillé d’un Artur sans H à côté de lui et grognai un :
— Salut.
— ‘Lut.
Notre dialogue s’arrêta là.
On a bouffé du Kamala Harris et du Donald Trump toute la journée, puis toute la nuit, jusqu’à ce qu’il ne reste que Trump et ses MAGA à la con. Pardon, les MAGA, les Évangélistes et les bots russes avec leurs applications de traduction pourrie. J’avais fait le tour du cadran quand le 47e président des États-Unis a annoncé sa victoire, et Pénélope ne pouvait même pas s’en mêler en titrant :
- POLITIQUE : TRUMP EST-IL UN AGENT INFILTRÉ DU KGB ?
Elle regardait, derrière mon masque d’Arthur, les commentaires stupides s’enchainer sur la toile, frustrée de ne pas en être.
J'avoue que celle-là était presque drôle.
J’avais lu, ado, un truc de Terry Pratchett sur la santé mentale des gens qui utilisent plus d’un point d’exclamation par phrase. Alors cinq…
— On dirait que c’est plié pour les démocrates, annonça Jibril.
Sa voix tonitruante me fit sursauter. Il était rentré chez lui quelques heures, tout comme Titouan un peu plus tard, et venait de revenir avec une boîte de gâteaux. Je n’avais pas faim, mais j’aurais avalé le carton avec pour calmer mes démons intérieurs.
— J’ai ramené des donuts à la Homer Simpson pour fêter la victoire du sandwich au caca. T’as la réf, le breton ?
— Évidemment, grommelai-je la bouche pleine.
— Il revient à quelle heure, Titi ? demanda Matis.
— Aucune idée. Le petit a besoin de ses huit heures de sommeil et de son verre de lait pour dormir.
— Il est plus vieux que toi, rétorqua Matis face à un Jibril hilare.
J’avais la tête dans un étau, et perdu le compte des heures ainsi que du nombre de cafés ingurgités. Je voulais dormir… je voulais dormir avec Nina. Nina. Je ne désirais rien d'autre qu'un câlin de réconfort. « Une de perdue, dix de retrouvées » comme disait l’autre ahuri de Jib à chacune de ses ruptures. Qu’est-ce que je pouvais retrouver exactement ? La seule belle relation que j’avais eu de ma vie avec un autre être humain, c’était avec elle. Comment je pouvais remplacer ça ?
Une légère tape dans l'épaule m'incita à revenir m'ancrer dans la réalité.
— Arthur, c’est toi qui viens de modifier ça ?
— Hum ?
Je me suis penché vers Matis. Il pointait du doigt sur son écran une ligne de code sans le moindre sens, mais c’était bien la mienne.
— Oui... désolé.
— Ok, la prochaine pause est pour toi, se contenta-t-il d’affirmer avant de corriger ma connerie.
Je devais me rendre à l’évidence : je n’étais plus en état de travailler. Mon cerveau avait été réduit en bouilli.
Je suis sorti du siège de WOLF et fut accueilli par un ciel d'orage marquant la fin des beaux jours, au propre comme au figuré. Je traînais les pieds sous la pluie battante. L'eau martelait mon corps, elle suintait sous mon manteau à l'étanchéité trop éprouvée. Il ne s'agissait que d'une averse automnale, mais elle me donnait un avant-goût d'apocalypse. Le tumulte généré par les gouttes frappant par milliards le pavé, l'odeur infâme du bitume mouillé, le désert humide créé entre les immeubles de standing... s'il s'agissait d'un nouveau déluge, pourvu qu'il m’emportât avec le reste de la merde. Personne ne voudrait de moi sur son arche de toute façon. Nina était mon unique bouée de sauvetage. Je pensais que la vie n'avait pas de sens, elle en avait un, finalement, et je l'avais perdu.
Là où d'autres auraient eu – ont eu – des pensées suicidaires, moi j'avais une telle haine de l'humanité que par-delà le désespoir et la tristesse de mon amour perdu, j'avais encore envie de me venger du monde. Créer du chaos, quoi que la réalité allait bientôt dépasser la fiction outre Atlantique.
J'entrai dans mon appartement trempé jusqu'à la moelle. J'abandonnai tous mes vêtements au sol pour déambuler en caleçon dans l'appartement. Mes jambes me conduisirent dans un automatisme jusqu'au bureau aux rideaux tirés, irrésistiblement attirées par l’ordinateur rouge. Je l’avais recouvert d’une pile de feuilles qui trainaient le lendemain du départ de Nina, pour ne pas être tenté de retourner sur IthAQ. Je la déplaçai sur mon Dell et libérai la porte du monde des ténèbres : l’Acer de Pénélope. Avant de l’allumer, je me perdis dans la contemplation de notre photo de vacances au Japon sur la gauche, au-dessus de ma tête. Nina. Ma Nina. Ses beaux yeux verts et ses lèvres fines.
J’étais crevé, moralement à bout de nerfs, physiquement sur les rotules. Pourtant, ce fut à ce moment précis, après une dizaine de jours complètement amorphe, que ma libido se raviva par pure mécanique hormonale. Je décidai de ne pas aller sur IthAQ. À la place, je fis une chose que je n’avais plus faite depuis le lycée. VPN activé, mode secret, pare-feu activés, sur la barre de recherche de mon explorateur internet, à côté du nom du site porno le plus fréquenté au monde, j’ai ajouté trois lettres.
21 commentaires
alsid_murphy
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Il y a 2 jours
Carl K. Lawson
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Il y a 19 jours
Carl K. Lawson
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Il y a 19 jours
Mapetiteplume
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Il y a 20 jours
NohGoa
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Il y a 20 jours
Gottesmann Pascal
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Il y a 21 jours
Arca Lewis
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Il y a 21 jours