Arca Lewis WOLF 5.4. Femmes fatales

5.4. Femmes fatales

Après le taf, je suis parti faire un tour en ville. Je ne voulais certes pas aller attendre Nina à la gare et passer pour un sociopathe, mais mon instinct m’a tout de même porté jusqu’aux lieux qu’elle fréquentait avec ses amis. Sait-on jamais, une rencontre fortuite anodine restait possible et me donnerait l’occasion de m’excuser à nouveau, en direct. Je suis d’abord passé devant Shopforgeek, sans osé rentrer, les gérants me connaissaient, je ne voulais pas qu’ils subissent la même agression olfactive que Jibril. J'ai lorgné à travers la vitrine : pas de Nina. Rien d’étonnant, il était encore tôt, son train en provenance de Bâle n’était sans doute pas encore arrivé. Mon détour chez Avril Cosmétiques ne servait pas à grand-chose non plus, j’en étais parfaitement conscient. Le Golden Gate qu’adorait la bande de Juliette étant fermé le lundi, je suis parti roder autour du Canapé Queer pendant une demi-heure avant d’enfin oser m’asseoir à l’intérieur. J’ai rembarré deux mecs qui voulaient s’installer près de moi avec un « j’attends ma copine » moyennement convainquant. Le troisième a renoncé de lui-même, probablement à cause de mon odeur de fauve. Vers les vingt-et-une heures, j’aperçus Vincent par la fenêtre, accompagné d'un mec en doudoune et casquette. Il ont traversé la rue sans s’arrêter au bar - tant mieux - mais toujours pas de Nina.


J’ai finalement quitté les lieux et slalomé dans le quartier pour vérifier tous les restaurants bio ouverts, sans plus de succès. En arrivant au niveau de la façade du 231 East Street, je me suis demandé ce que je foutais. Je me trouvais pathétique. Absurde et pathétique.

J’ai commandé un double cheeseburger, des frites au cheddar et trois cookies, non, quatre, et je suis resté là-bas jusque la fermeture. Au fur et à mesure que mon estomac se remplissait, je prenais conscience que ma balade urbaine de stalker incompétent n’avait pour seul but que de retarder l’échéance de mon retour à domicile.


L’angoisse m’étreignait la poitrine lorsque je pénétrai dans mon immeuble. J’étais terrifié à l’idée de remettre les pieds dans mon appartement. D'ouvrir la porte, constater que Nina n’était toujours pas là ou, pire, découvrir que ses autres affaires avaient disparu. Peut-être avais-je eu tort d’arpenter la ville, et si j’avais loupé la visite de Nina ? La Nina de Schrödinger, elle était à la fois dans l’appartement et ailleurs. Partie et restée.

Ma main tremblait sur la clenche. Le silence sépulcral tant redouté m’accueillit et me donna envie de régurgiter mon orgie new-yorkaise. Pas d’écharpe au porte-manteau, pas de bottes dans le placard, par contre il y avait toujours la photo des parents de Nina et de sa petite sœur sur la console en bois du vestibule. Je respirais à nouveau. « Dude, weak », putain, ta gueule, Kyle !


Je pinçai les lèvres en repassant devant le poster le lendemain matin, je croyais sincèrement l’avoir déchiqueté en rentrant. Simple fantasme d’une nuit trop courte. Je serais volontiers resté dormir au bureau si Jibril ne m’avait pas fait de remarque sur mon hygiène corporelle. Cela tombait bien, c’est plus ou moins ce qui était prévu : session de travail nocturne pour l’élection américaine. Une idée de Vincent, on n’a pas vraiment eu le loisir de dire non vu le contexte.

Sur le chemin du boulot, je fis un léger détour par le Starbucks. Tout en marchant, je surveillais par intermittence les connexions de mes contacts. J’espérais capter Juliette avant le début de ses cours, elle enseignait la philosophie dans un lycée strasbourgeois. Elle s’est miraculeusement connectée à WOLF en même temps que Nina, j’y ai vu un signe. J’ai aussitôt lancé un appel sur Lupa. Chaque sonnerie m’arrachait les viscères. Je craignais qu’elle ne décroche pas.


— Putain, réponds… soufflai-je.

— Allo ?


La perplexité s'entendait très bien dans sa voix. J'ai dégluti avant de me mettre à bégayer comme un couillon.


— Ouais, euh, salut Jul... euh, c'est c'est Arthur.

— Oui ? fit-elle, avec un "i" étiré clairement méfiant.

— Je t'appelle pour le truc que tu m'as demandé sur euh Meta. J'ai fait quelques vérif et… ça me semble évident qu'il y a une bulle de filtre sur les contenus LGBT. Si euh… si tu veux j'ai récupéré les coordonnées d’un gars qui bosse pour Facebook sur Paris. Tu veux que je lui en touche deux mots ?

— Oh, oui… oui ! Merci ce serait génial ça Arthur.

— Ok, bah je m'occupe de ça tout à l’heure et euh...


Mon stress m'imposa un silence non désiré de quelques secondes.


— Dis, euh, est-ce que Nina est chez toi ?


Il y eut un nouveau silence, plus pesant encore. Il n’était pas de mon fait celui-ci. J’entendais de vagues bruissements étouffés, peut-être des voix lointaines, des murmures, elle n’avait pas coupé le micro, mais elle devait le boucher avec son pouce « à l’ancienne ».


Au bout d’interminables secondes, le bruyant soupir de Juliette résonna dans mon oreille.


— Oui, elle est chez nous, mais elle ne veut vraiment pas te parler pour l’instant.

— Je comprends… ok. Je te tiens au courant dès que j’ai une réponse du gars et… juste euh, dis à Nina qu’elle me manque. Et que je suis désolé.

— D’accord, je lui dirai.


Honnêtement, j’avais un gros doute sur le fait qu’elle transmette mon message. Je ne pouvais malheureusement rien faire de plus. Si j’insistais, elles finiraient par crier au harcèlement, Nina comme Juliette.


— Merci, Jul… Euh… passez une bonne journée. Et passe le bonjour à Jade, aussi.


Juliette raccrocha la première. Mon propre soupir n’avait rien à envier au sien. J’étais dans une impasse. J’avais pris l’habitude d’éliminer mes sentiments négatifs à travers IthAQ, combler mon ennui en cherchant des arguments pour prouver que la Finlande n’existe pas, chasser le blues avec des photos truquées de Trump et Poutine torses nus sur un cheval, évacuer ma colère en attaquant des féministes TERF… Je ne pouvais pas. Je devinais que Nina ne reviendrait pas si Pénélope postait à nouveau quelque chose.

Voilà comment s’étendait le néant : plus de Nina, plus de Pénélope. Il ne restait que WOLF et le fact-checking. Pour l'instant.

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16 commentaires

alsid_murphy

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Il y a 2 jours

👍

Leo Degal

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Il y a 23 jours

On le plaindrait presque, ce pauvre Arthur...

Gottesmann Pascal

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Il y a 24 jours

Ah ouais. Si Arthur laisse tomber Pénélope c'est la plus belle preuve d'amour pour Nina. Beaucoup aimé la Nina de Shrodinger.

Simon Saint Vao

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Il y a 25 jours

Frustrant d'attendre 3 jours pour lire un nouveau chapitre !

Arca Lewis

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Il y a 25 jours

Désolée ^^' et ça ne va pas aller en s'améliorant vu que je ne vais pas à la pêche aux likes et que je n'ai pas le temps de faire le commenter donne des ailes.

Simon Saint Vao

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Il y a 25 jours

Ton histoire est excellente, le côté thriller en toile de fond est en train de monter crescendo sans qu'on s'en aperçoive (enfin j'imagine), vraiment excellente histoire.
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