Fyctia

La courte vidéo s’est lancée. Je n’ai pas reconnu le plateau de tournage avant de me renseigner, mais je compris qu'il y avait peu de chance que ce soit un des gros médias d’information, je les connaissais presque tous par cœur. Du haut de sa trentaine débutante (elle devait être à peine plus âgée que moi), la présidente de l'association Sciences, Femmes et Fictions s'agitait sur son siège face à un présentateur en costume austère assorti à sa mine de qui n'a pas l'air d'aimer son taf.

— Le monde du digital est un néopatriarcat. En France, les femmes ne représentent que 33 % des emplois du numérique, on tombe à 16 % quand il s’agit de métiers techniques, comme développeurs.

— Vous insinuez que la France serait en retard sur les États-unis ? persifflait le présentateur à la raie sur le côté.

— Non ! Dans la Silicon Valley, c'est pire ! On compte à peine 7% d’entrepreneuses de la Tech. Pourquoi ? Parce que c’est le nouvel Eldorado ! Les milliardaires de demain seront encore des Elon Musk, des Bill Gates, des Steve Jobs, bref : des hommes. C’est le schéma même du patriarcat : les hommes vont chercher l’argent et le pouvoir là où ils se trouvent, et ils les gardent pour eux.

Le journaliste tapotait ses petits feuillets de notes, sa pommette percée d'un petit rictus sournois. Le spectacle de cette militante s'exprimant avec les mains comme une italienne énervée semblait le délecter.

— Les chiffres que vous donnez, sur quels critères reposent-ils exactement ? D’après MES chiffres, les entreprises les plus innovantes sont celles qui incluent le plus de personnes trans et en situation de handicap. C’est une bonne chose, non ?

— Les femmes trans, ce sont des hommes biologiques, assena Morales. Elles ont été élevées comme des petits garçons, avec tout ce que cela implique sur l’enseignement scolaire des matières scientifiques. On les a poussées à être fortes en maths avant leur transition, raison pour laquelle elles s’insèrent mieux dans la Tech que les femmes cis. Et pour les personnes en situation de handicap, encore une fois, ce sont massivement des hommes, pas des femmes.

Mon sang n’a fait qu’un tour. Normalement, ce genre de discussion idéologique me laissait froid, parce que j’étais au-dessus de tout ça. Supérieurement intelligent, d’abord, évidemment. Et nihiliste surtout. Cela ne servait à rien de jouer aux héros dans ce monde absurde au bord du gouffre, voire déjà dedans. Je n’étais pas en quête de plus d’équité ; Arthur palpait son gros salaire pour manger gras et voyager en explosant son bilan carbone, tandis que Pénélope créait du spectacle devant lequel Arthur pouvait manger son popcorn sucré (il faut être bizarre dans sa tête pour manger du popcorn salé). Le troll n’est pas un SJW, c’est même l’antithèse du Social Justice Warrior ! Limite son ennemi juré. Mais entendre qu’une femme trans est un homme biologique attaquait mon mode de vie personnel. Attaquait Nina. Je ne pouvais pas laisser passer un truc pareil. Con et amoureux c’est un mélange dangereux, mais je n’avais pas conscience de l’être – très con et très amoureux.

J’ai abandonné mes morceaux de poulets pour me ruer dans le bureau. J’ai allumé la lumière dans un réflexe, puis le PC rouge, j’allais faire péter la matrice ! VPN, machin, truc, là, j’étais parti pour faire une saloperie violente.

La première idée qui me soit venue était de faire un deepfake porno de cette militante et d'aller la poster sur des réseaux de masculinistes. Sauf que ce genre de fausses vidéos de féministes se prenant des éjac faciales il y en avait déjà qui traînaient un peu partout. Non, si je voulais vraiment la faire taire définitivement, je devais la discréditer auprès de ses soutiens : les femmes, sensibilisées aux violences systémiques.

Je me suis lancé dans une recherche OSINT à son sujet en explorant le deep web. Date et lieu de naissance, formation, parcours professionnel, anciens partenaires, liens politique...

Bingo.