Arca Lewis WOLF 3.1. Doubles identités

3.1. Doubles identités

Le matin du 3 septembre, je me suis réveillé après Nina, comme souvent, même les jours de télétravail, elle avait le rythme du rail ancré en elle. Elle avait refermé la baie vitrée avant de quitter la chambre pour rejoindre la salle-de-bain.

Je pourrais pondre un poncif misogyne sur le fait que les femmes mettent plus de temps à se pomponner que les hommes, je n'en ferai rien. Je n'ai connu l'intimité que de trois femmes : ma mère, ma sœur et Nina. Un échantillon de trois individus n'est statistiquement pas représentatif, d'autant plus que Nina devait faire particulièrement attention à son apparence. Elle n'avait pas vraiment le choix, si elle voulait être prise au sérieux. De fait, j’aurais dû aller me raser, mais j’évitais autant que possible de la déranger pendant sa préparation matinale. Quand je voulais la surprendre nue sous la douche pour me rincer l’œil, je faisais ça le soir. J’ai coupé mon alarme pour l’empêcher de sonner inutilement et je suis allé dresser la table du petit-déjeuner.


L’odeur de graillon du Memphis flottait encore dans la cuisine et trahissait mon entorse au régime flexitarien que Nina avait instauré à l’appartement. Je faisais la moue en versant dans un bol le muesli bio fairtrade qu'elle m’encourageait à ingurgiter. J’ai allumé la bouilloire, me suis remémoré la réplique désobligeante de Vincent la veille, devant la machine à café, ai dû grommeler un « sale con », puis attrapé le casse-noix en imaginant que le fruit à coque sous la poulie était la tête de cet abruti, avant d’enfin retrouver un semblant de bonne humeur quand la main de Nina a frôlé mes reins.


Je n’ai jamais aimé le maquillage chez les femmes, j'étais sans doute trop imprégné de l'austérité de mes grand-mères sur le sujet. C’est Nina et la finesse de son visage qui m’ont réconcilié avec l’usage des cosmétiques. Elle, elle savait doser. Sublimer son regard vert pour l’aimanter et éviter qu’on soit tenté de s’attarder sur sa poitrine.


— Tu veux des œufs ? lui demandai-je en contemplant son sourire peint en nacarat.

— Volontiers.

— Plat, coque ou brouillés ?

— Vu qu’il n’y a pas de pain frais : brouillés.

— Ok.

— Tu veux qu’on se fasse un resto ce soir ? proposa-t-elle.


Son regard balaya rapidement la cuisine à la recherche de la fragrance suspecte de la veille. Elle devina sans doute que j'avais planqué toutes les preuves de mon forfait dans la poubelle, alors elle ajouta :


— Un végé, bien sûr.

— Tu tiens tant à me transformer en soy-boy ? me moquai-je.

— Pas de théorie du complot à table, Arty ! Ni même jamais !


Je ne sais pas si sa claque sur mes fesses était une punition ou un attouchement sexuel. Dans le premier cas, l’effet était loupé. Dans le second, nous avions malheureusement trop peu de temps de batifoler.


Aussitôt mes fibres et vitamines calibrées avalées avec un thé vert dégueulasse, rendu passable par trois kilos de sucre et la conversation de Nina sur les avancées de son IA d’exploitation des recherches rétrospectives (toutes mes excuses pour le jargon ; je ne peux pas vous en dire davantage sur le métier de Nina sans révéler l’identité de son employeur), je filais à la salle-de-bain.


À chaque fois que mes yeux bruns – sépia, soit disant, d’après Nina – assortis à ma tignasse rêche croisaient leur reflet, je me posais la sacro-sainte question : pourquoi j’essaye d’être présentable pour des gens dont je n’avais strictement rien à foutre ?

Mon rasoir électrique terminait son œuvre lorsque Nina poussa la porte que j’avais laissée entrouverte et son double apparut dans le miroir. Elle agitait son smartphone comme un hochet, si bien que je n’ai pas reconnu tout de suite l’écran de l’application messagerie de WOLF, que je connaissais pourtant par cœur.


— Ton collègue Jibril vient de m’envoyer un message sur Lupa.


Enfoiré ! pensai-je très fort, tandis que le reflet du sourire de Nina se tordait de malice.


— Il dit que si tu ne veux pas venir à la soirée de Noël, je peux y aller seule. Ou accompagnée… par lui.

— Enfoiré, crachai-je enfin à voix haute avec mon dentifrice.

— Tu devrais lui dire la vérité. Juste pour voir sa réaction, gloussait Nina.

— Mauvaise idée.


Pénélope d’IthAQ ne serait pas née si je me souciais de la vérité. Et la seule fois où je me suis accroché à la vérité a bien failli me tuer. Je préfère vivre caché. Nina s’est montrée incroyablement patiente avec moi, jusqu’à un certain point.


— D’ailleurs… tu n’as pas oublié que j’ai rendez-vous chez le médecin vendredi ?

— Non, répondis-je distraitement.


J’ai compris, grâce au silence qui a suivi, où elle voulait en venir.

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7 commentaires

alsid_murphy

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Il y a 2 jours

👍

Paige

-

Il y a 18 jours

Arthur paraît " normal " une fois éloigné de son pc. Rien de spéciale sur ce passage. [Je mets un commentaire quand même pour savoir où j'en suis]

Gottesmann Pascal

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Il y a 2 mois

La relation avec Nina humanise ton héros. Il n'est pas que cynique et désabusé. S'il n'avait eu que Pénélope comme compagne Arthur aurait été invivable. Là il est capable de socialiser.
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