Fyctia
3.3. Doubles identités
J’attrapai ma sacoche suspendue au porte manteau et m’enfuis de l’appartement pour échapper au regard de Nina que j’imaginais rempli de déception.
Une fois dans l’ascenseur, portable entre les doigts, en train de consulter toutes les notifications de cette chiotte hyper-connectée, je fus rattrapé par le boulot. WOLF. Réunion. Wolfgang le messie. Vincent et sa tête de con. Crotte. J'aurais mieux fait de rester plus longtemps avec Nina et d'affronter ses questionnements chirurgicaux.
Je compte être parfaitement honnête dans ces pages, la première fois de ma vie que ça m'arrive ! C'est un mal nécessaire pour rompre définitivement avec ce que j'étais. Avec Arthur, comme avec Pénélope. Donc, soyons honnête : je n'ai pas délibérément choisi de travailler dans le fact-checking. J'ai obtenu ce poste par hasard.
Là encore, il me faut remonter à 2019 et ma rencontre avec Nina. Après m’être envoyé en l’air une demi-douzaine de fois avec elle au congrès de Rouen, on est restés en contact. Je lui ai d’abord rendu visite en Suisse, en janvier 2020. Ensuite, vous savez tous ce qu’il est advenu. Covid-19 ! De par ma nature asociale, je pensais bien vivre l’isolement pendant la pandémie, il n’en fut rien. Je voulais voir Nina, je ne pouvais pas. Pénélope est née à ce moment-là… Coïncidence ? Je l'ignore. J’avais sans doute un vide à combler.
Entre deux confinements, heureusement, Nina a trouvé du taf sur Paris. Je lui ai proposé de l’accueillir chez moi. Même sans épidémie mondiale dans l’équation, la recherche de logement en Ile-de-France ressemble trop à un mauvais western. Il était une fois dans l’Ouest parisien, des bons, des brutes, des truands. Tu dégaines ton dossier de garants comme une paire de Colt Baby Dragoon, mais on te fait comprendre que ton nom est personne. La horde sauvage déferle sur Auteuil-Neuilly-Passy et pour quelques euros de plus, on te fait visiter une chambre de bonne au dernier étage d’un immeuble haussmannien non désamianté.
L’avantage de la Tech, c’est qu’à nous deux, à tout juste vingt-sept piges, enfin vingt-huit pour Nina, on dépassait les sept mille euros de revenus mensuels nets. Une fois cette merde de virus « maîtrisé » (Pénélope ne serait pas d’accord avec le terme) on a décidé de mettre nos fonds en commun pour louer un appart d’une taille honorable de cinquante mètres carrés. Trois mille balles par mois le machin, et à ce prix-là on avait encore froid l’hiver, nous n’y sommes de toute façon pas restés très longtemps. Nina avait une opportunité pour aller bosser à Bâle, ville et pays qu’elle adorait, salaire mirobolant. Or, Bâle-Strasbourg c’était 1h20 en TER, du moins quand il n’y avait pas de sanglier sur les voies. Cette anecdote m’avait même inspiré une théorie du complot :
- FERROVIAIRE : DES SANGLIERS DRESSÉS PAR L'ONF POUR ENDIGUER LA FUITE DES CERVEAUX
Pour en revenir à WOLF, j’ai envoyé une candidature spontanée chez eux. J’avais bien remarqué que plusieurs postes correspondaient à mon profil sur la page des recrutements, mais j’avais la flemme d’en choisir un. Résultat, après deux entretiens, on m'a collé à la tête du projet Fake-Checking, parce que pendant ma thèse j'avais publié un article sur la programmation de l'IA pour traquer les deepfake.
Arrivés à Strasbourg, on a récupéré un logement flambant neuf avec douze mètres carrés de plus, en tant que proprio cette fois, via une SCI. Nina et moi avons mis tout ce rythme de vie au point sans jamais une seule fois se poser la question de la nature de notre relation. On n’était pas un couple. Pour être un couple, il faut le concevoir, il faut le dire. Nous, on vivait dans une colocation. On avait un compte joint, on dormait dans la même chambre (et dans le même lit), on avait des relations sexuelles exclusives et monogames, on invitait des amis, j’ai même rencontré sa famille, mais on n’a jamais dit qu’on était un couple. On ne s’était jamais dit « je t’aime » non plus.
On était installé depuis un mois dans la Blue Krystal quand ma mère m’a appelé pour prendre des nouvelles et que le mot m’a échappé : « ma copine ». J’ai buggé sur mes propres mots. Je n’ai jamais réitéré ce lapsus, même si ma mère n’a plus loupé une occasion de me demander « et ta copine ? » à chaque fois qu’elle me passait un coup de fil. Rarement, heureusement. Je disais Nina. Simplement Nina. Idem avec mes collègues...
Mes merveilleux collègues, que je retrouvais encore scotchés à la De’Longhi Rivelia, d’une humeur plus maussade que la veille, à l’exception de Jib qui devait parfois prendre du cannabis euphorisant. Il fallait au moins ça pour supporter Vincent.
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alsid_murphy
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