Arca Lewis WOLF 2.3 Pénélope d'IthAQ

2.3 Pénélope d'IthAQ

Mon goût pour la satire remonte à l’adolescence. Il s’est développé en parallèle de mon cynisme et de ma misanthropie. C’est ce qui arrive en général lorsque vous êtes à la fois le vilain petit canard du groupe et son élément le plus performant. Vous développez un complexe de supériorité, tout en étant convaincu que le monde entier vous déteste et vous détestera toujours.

J’ai eu ma révélation après le bac en 2012, quand Le Gorafi a été créé. Leurs conneries m’éclataient. Je suis immédiatement devenu fan. Peu après, j’ai découvert l'existence de son équivalent américain The Onion. Grandiose ! Et surtout, ce qui m’a fait halluciner : il y avait des gens qui prenaient leurs articles au sérieux. La fameuse Team « Premier Degré » que je retrouvais avec plaisir sur les réseaux sociaux. Ma carrière de troll pouvait débuter.

Je me souviens encore des commentaires remplis de smileys colériques face à des titres aussi stupides que : « Émeutes dans un bar gay après la diffusion par erreur de la chanson La pêche aux moules. » Celui-là, il venait de Nordpresse. Leur humour était plus noir et plus trash que tout ce que je connaissais jusqu’à présent. Sans filtre. Ils n’hésitaient pas à utiliser des théories du complot pour leurs canulars, sans se soucier de quel courant politique elles provenaient. Je crois que c’est ce site belge qui a provoqué le déclic chez moi. Ça et bien sûr les attentats de Charlie Hebdo. J’avais la rage contre tous ces faux-culs hypocrites qui s’affichaient sur les réseaux avec leur JE SUIS CHARLIE en 2015 alors qu’ils n’avaient jamais ouvert un Charlie Hebdo de leur vie. Moi je l’achetais quasiment toutes les semaines. Et contrairement au commun des mortels, je savais aussi ce que ça faisait d’être régulièrement menacé de mort depuis mes neuf ans.


Il y a une chanson de Billy Joel qui dit : « We didn't start the fire. It was always burning, since the world's been turning. » Je suis d’accord avec ça. Moins avec la suite « No, we didn't light it, but we tried to fight it. » Clairement pas. Je n’avais pas envie de combattre l’incendie. J’avais juste envie de courir autour du feu avec un bidon d’essence pour accélérer l’Apocalypse, et c’est ce que faisait Pénélope. Elle n’avait rien à perdre. JE n’avais rien à perdre. Jusqu’à Nina.


J’avais ouvert le brouillon de mon prochain article dans un onglet :

  • POLITIQUE : DU NOUVEAU DANS LA TENTATIVE D’ASSASSINAT CONTRE DONALD TRUMP

Pour capter l’attention du public, je devais surfer sur le mood du moment. Or, l’avantage avec mon travail, c’est que je passais mes journées à me tenir au courant des fake news à la mode pour bloquer leur visibilité. Si je m’en tenais à l’actu globale, il n’y avait pas grand-chose d’intéressant. On venait de se bouffer quasiment deux mois de Jeux Olympiques, bof. Le conflit Israelo-Palestinien n’avait pas grand intérêt non plus ; on était sur l’équivalent géopolitique des Feux de l’Amour – les Feux de la Haine donc – la série durait depuis 1973, la guerre depuis 1948. Ça faisait réchauffé, il n’y avait rien de bien original à raconter dessus. Pas mieux pour la guerre en Ukraine. Le problème avec les violences au Sahel, c’est que la plupart des gens qui consultaient mon site ne savaient pas où se trouvait le Sahel. J’ai donc pris une valeur sûre d’occidental : l’élection américaine et le possible come-back de Trump.


« Du nouveau dans la tentative d’assassinat contre Donald Trump en Pennsylvanie le 13 juillet dernier !

Comme vous le savez, Républicains et Démocrates se sont renvoyés la balle en s’accusant mutuellement de coup monté. Joe Biden a-t-il réellement ordonné le meurtre de son adversaire ? Trump a-t-il mis en scène cet attentat contre lui pour gagner des points dans les sondages ? Beaucoup accusent le Deep State, mais vous connaissez ma position sur le sujet. Biden comme Trump sont des pro-israéliens, aucun intérêt à mêler les francs-maçons à ça… »


Malgré la bonne insonorisation, j’entendis la porte de l’appartement claquer par-dessus les cliquetis de mon clavier. Ma colocataire venait de rentrer. Je restais concentré sur ma rédaction. Je tenais un bon truc.


« Par contre, je suis tombé sur plusieurs sources qui relatent une théorie beaucoup plus intéressantes d’après moi. La force de Trump contre Biden c’est sa forme physique. Joe Biden est sénile et malade, on l’a vu sur plusieurs vidéos. Eh bien de nouvelles sources ponctionnées secrètement dans une clinique privée de Miami révèlent que… »


Au bout de deux ou trois minutes, une lumière vive provenant du salon pénétra dans ma caverne, Nina venait d’ouvrir la porte du bureau. Je me retournai pour la voir apparaître sur le seuil de la pièce, dans sa jolie robe d’été verte et blanche qui lui arrivait aux genoux. Elle l'avait resserrée autour de sa taille par une large ceinture en faux cuir. À Bâle aussi, les beaux jours poursuivaient l’été. Son col en V laissait apparaître ses clavicules saillantes. La simple vue de sa silhouette découpée dans le contre-jour commençait déjà à me stimuler. Peut-être bien que la phrase de Jibril m’est revenue à l’esprit : « elle est trop bien pour toi cette fille, le breton », ou alors j’étais juste perturbé d’être pris en flagrant délit de malveillance.


Imperceptiblement, ses sourcils se sont froncés.


— Tu es sur ton blog ?

— Yep.


Un soupir puissant a précédé sa réponse.


— Je vais me coucher.


Et elle disparut derrière la cloison, sans refermer la porte. À son intonation, je devinais que j’allais dormir sur la béquille.


Nina m’a plusieurs fois demandé pourquoi je faisais du trolling. J’ai tenté de botter en touche avec le fameux 42. Hormis la première fois où elle m’a souri, les suivantes elle n’a pas apprécié la blague. Je crois qu’elle aurait pu concevoir mes motivations si mes fake news avaient abouties à un gain quelconque ou un intérêt personnel, mais ce n’était pas le cas. Il n’y avait aucune publicité sur mon blog, je ne touchais pas de revenu contrairement à d’autres sites conspirationnistes. Au contraire, si mes collègues avaient su ce que je faisais sur mon temps libre, j’aurais eu de graves problèmes.

J’ai tenté de lui expliquer que je me voyais comme un anarchiste nihiliste. Je ne peux pas affirmer qu’elle ait compris, néanmoins elle a accepté de prendre mon passé comme excuse à mon comportement, au moins au début. Elle est la seule à qui je me suis confié.


Le problème, c’est que j’étais devenu accroc à la connerie humaine. Je voulais voir ces minables abrutis croire mes mensonges et s’offusquer pour n’importe quoi. J’en voulais plus, toujours plus… Et vous devez connaître le problème avec les drogués : ils ont beau être conscients que leur vie est en train de partir en vrille, ils n’arrivent pas à décrocher.

Tu as aimé ce chapitre ?

20

20 commentaires

alsid_murphy

-

Il y a 2 jours

👍

Merle Hewitt

-

Il y a 6 jours

Je peux comprendre, c'est vrai que ça doit être particulièrement addictif. Destructeur aussi, je suppose...

Paige

-

Il y a 18 jours

Quand tu parles de " colocataire " pour ton couple, c'est que t'es un abruti de toute manière. Je vois pas ce que Nina peut lui trouver à cet imbécile x)

Arca Lewis

-

Il y a 18 jours

Mais vous êtes tous cruels avec mon pauvre Arthur !

Leo Degal

-

Il y a un mois

Mmm, ça sent l'eau dans le gaz pour ce couple, s'il ne peut pas décrocher...

Arca Lewis

-

Il y a un mois

La ligne rouge, oui...

Gottesmann Pascal

-

Il y a 2 mois

Ah je comprends pourquoi il fait ça. Accro à la connerie humaine...c'est une drogue comme une autre et je la classerai comme parmi les plus dangereuses. Je comprends qu'il veut juste s'amuser aux dépens de ses lecteurs, ou du moins de certains.
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.